Il est 4h25, mon smartphone me sort de mon sommeil au son de La SNCF fait grève donc tu dois te lever une heure plus tôt que prévu. Je rentre dans ma voiture et lance Waze mécaniquement. Je consulte en ligne d’éventuels changements sur mon trajet et avertis rapidement mon chauffeur à Paris que mon train a déjà vingt minutes de retard. Je profite de mon trajet en train pour travailler sur mon ordinateur portable et, une fois arrivé à la gare, je lui passe un coup de fil pour se retrouver.
Tant d’actions anodines et quotidiennes jusqu’à l’arrivée sur le lieu de rendez-vous…envahi de 12 voitures d’au moins 30 ans. Si quelques modernes ne s’étaient pas insérées dans le troupeau, j’aurais franchement cru faire un bond dans le temps. Mais ce qui marque avant tout, c’est l’état de conservation de ces voitures. Sorties du musée Renault à titre exceptionnel, elles ont toutes été restaurées et sont dignes de la sortie d’usine. Ces voitures, nous allons pouvoir en conduire quatre !
Renault 20 TS de 1979
La Renault 20 TS arrive en 1977 et inaugure le 2 litres essence. Elle dispose d’équipements avant-gardistes pour l’époque : vitres électriques, bouclier conçus pour absorber chocs avants et arrières et même, dès 1981, un régulateur et un limitateur de vitesse.
Ce qui marque en premier lieu, ce sont les sièges. Vous êtes au cœur d’une épaisse moquette confortable…qui ne bénéficie d’aucun maintien latéral. Mais ce n’est pas grave, car vous êtes tellement engoncés dans l’assise et collé au duvet du revêtement que je vois mal ce qui pourrait vous en déloger. Le moteur démarre au quart de tour, le ralenti est stable, rien ne traduit la présence du carburateur. L’embrayage est souple, la direction en fait de même, elle est assistée par ailleurs. Ce n’est pas si courant en 1979. Elle vous le rappelle fort bien par un bruit de succion qu’on ne connait plus aujourd’hui.
Je suis extrêmement surpris par la facilité de conduite de cette voiture mais également par son confort et son aisance sur nos routes actuelles. Le moteur est souple, reprend correctement avec ses vigoureux 109 chevaux qui sont amplement suffisants pour les 1 280 kilos de la voiture. Il ne manquerait en fait qu’une cinquième vitesse pour évoluer vraiment correctement sur l’autoroute. Le freinage n’est pas non plus à critiquer, à aucun niveau. En terme de tenue de route, nous sommes évidemment sur un aspect plus confortable que dynamique mais on s’en accommode bien volontiers.
L’état de conservation et de restauration de la voiture participe grandement à l’expérience de conduite, c’est vrai. Mais il faut aussi rappeler qu’à l’époque, cette voiture constituait le haut de gamme de Renault et qu’elle n’est finalement pas si vieille. Enfin, question de point de vue : je n’étais pas né quand elle est sortie.
Renault Espace 1 Turbo DX de 1990
On avance de 10 ans et on monte dans ce qui était une révolution pour l’époque : l’Espace ! Véritable tournant de l’automobile et succès incontestable, l’Espace est un véhicule marquant pour Renault. Sa première apparition publique se fait en 1984 au Mondial de Paris. En 1989, il obtient le prix de la sécurité ainsi que celui de voiture de la décennie.
Sur la route, on retrouve assez bien les caractéristiques décrites dans la Renault 20 ; à savoir une voiture confortable, extrêmement facile à prendre en main et absolument pas “hors d’âge”. Le moteur, un 2 litres turbo de 88 chevaux, n’est en revanche pas aussi vigoureux qu’on aurait pu le croire, surtout pour un véhicule destiné à être chargé. Raisonnement de l’ère internet, on avait peut-être moins de chevaux mais on avait plus de temps.
C’est l’intérieur qui me marque le plus. Beaucoup de plastique, oui, mais une architecture tellement plaisante. Il n’a pas pris une ride ! Stylisé, il a traversé les années comme un bon vin qui se serait bonifié avec le temps. D’autant plus qu’on lui trouve ce charme vintage si populaire de nos jours… Encore une fois, l’état de conservation est très important dans ce ressenti. Vous ne verrez pas beaucoup d’Espace 1 dans un tel état…
Renault Estafette de 1980
La Renault Estafette inaugure la première traction avant de la marque. Elle arrive en septembre 1959 et possède de nombreuses déclinaisons comme fourgon, microcar, plateau… A son lancement, elle possède un moteur de 843 cm3 et une charge utile de 600 kilos. Renault en écoulera plus de 500 000 exemplaires !
Alors là, on change de monde. Pourtant, on est à un an près sur l’année de production de la Renault 20 ! Mais la conception est de 20 ans antérieure. Rien que l’entrée est critique : l’expression “monter à bord” prend tout son sens. Vous êtes en revanche confortablement installé puisque le siège conducteur est monté sur une sorte d’amortisseur.
Au démarrage, le valeureux 1 289 cm3 de 43 chevaux réveille la carlingue. Le moteur, issu de la Renault 8 et positionné à l’origine à l’arrière, s’est retrouvé à l’avant de l’Estafette et donc subi une rotation de 180 degrés. De fait, la boite de vitesse se retrouve dans l’autre sens sans qu’elle n’ait été modifiée. La première est alors en bas à gauche, la seconde en haut à gauche et ainsi de suite. On s’y fait vite mais ce n’est que la première partie du souci.
En effet, le levier de vitesse se trouve presque derrière l’assise. Si d’aventure votre main agrippe le haut du grand volant et que vous souhaitez passer la troisième vitesse, alors vous aurez droit à un bel exercice d’écartement des bras. Pour ne rien arranger, le moteur est littéralement à portée de main : une trappe, juste à coté de vous, permet d’y accéder. Il est implanté sous vos pieds.
Pour le reste, on s’écarte un peu de ce qui est facile à conduire tous les jours dans notre circulation. La première vitesse ne sert qu’a vous arracher de l’arrêt mais vous serez presque constamment en deuxième ou même troisième tant le moteur est souple à défaut d’être puissant. On se demande bien comment ils pouvaient charger des choses là-dedans. A 90 km/h, vous avez presque atteint sa vitesse maximale. Une bonne descente avec le vent dans le dos vous permettra peut-être de scorer un beau 110 km/h en ayant l’impression de pouvoir se satelliser à tout instant. La direction est bien évidemment approximative et le freinage peu encourageant bien qu’il aurait pu être pire. L’ergonomie ne semble pas encore avoir de définition à cette époque…
Pour autant, on passe un tel moment, c’est un véritable shoot de nostalgie. Mon smartphone est dans ma poche, mon Coyote est resté dans ma voiture, pas besoin de tout ça. Pas besoin de radio non plus, pas besoin de GPS, de Waze, de Deezer, de bluetooth. Nos mains sont bien trop occupées à gérer le flou de la direction et le levier de vitesse. Nos pieds, eux, doivent être prêt à sauter vivement sur les freins pour stopper la frêle carcasse de 1 175 kilos. Ceci pour anticiper toute voiture qui aurait la bien mauvaise idée de balancer un freinage du 21 ème siècle. Et nos yeux sont bien trop rivés sur la route pour anticiper tout virage qui nécessitera plus d’un tour de volant tout en rétrogradant au fin fond de la grille de la boite de vitesse, tant bien que mal.
Renault Frégate Domaine de 1957
La Renault Frégate arrive en 1950 mais sa version break, la Domaine, arrivera seulement en 1955. La Renault Frégate Domaine est encore quelque-chose de totalement différent : une carrosserie break aux accents américains. Pourtant très jolie, elle n’est pas un succès commercial pour deux raisons. Tout d’abord, elle est chère, et souffre d’un cruel manque de puissance au regard de la concurrence. Elle bénéficie cependant d’une capacité de chargement de 1000 litres, voire 2000 litres avec la banquettes rabattue. C’est plus encore qu’une BMW Série 5 Touring contemporaine !
On s’éloigne encore un peu en terme d’ambiance. Les ceintures de sécurité sont absentes, c’est vraiment perturbant. La commande de boite de vitesse se trouve au volant. Il n’a y a pas de rétroviseur latéral droit. Les clignotants ne reviennent pas tout seul (j’ignore si c’est d’origine ou alors du fait de l’ancienneté de la voiture). Avant de partir, on nous indique la manipulation du levier de vitesse au volant, qui n’est finalement pas si compliquée. Il faut juste penser à bien décomposer ses mouvements et y aller doucement. D’ailleurs, notre passager nous demande si on souhaite avancer le siège. Je souris intérieurement car c’est une banquette commune pour le passager et le conducteur. Mais apparemment, on peut vraiment l’avancer.
Encore une fois et à mon grand étonnement, rien n’est franchement complexe à la conduite. En revanche, je dois bien avouer que la direction surprend par son flou. Où diable peut-on perdre autant de précision dans un mouvement si mécanique ? Le châssis fait un peu bateau mais on est correctement suspendu. A l’époque, elle inaugurait des suspensions indépendantes !
En revanche, il est vrai que le moteur manque cruellement de puissance, même en sortant de l’Estafette. Ce n’est pas juste une question de perspective. J’aurais finalement beaucoup de mal à comprendre comment remettre la deuxième, n’ayant de cesse d’enclencher un semblant de marche arrière. Cela signifie un arrêt complet de la voiture pour pouvoir repasser une première. Première qui est extrêmement courte et présente uniquement pour vous extraire de l’arrêt complet de la voiture.
Une expérience hors du temps
Je suis un passionné de voitures sportives et j’ai pourtant passé un merveilleux moment dans ces voitures toutes plus lentes les unes que les autres. Pourquoi ? Parce que le temps n’a pas de prix et Renault nous a fait prendre notre temps. Hormis mon boitier reflex sur les genoux pour faire des images, j’ai complètement perdu la notion actuelle de l’automobile : les problèmes de pollution, de radar, les GPS et les diverses assistances. J’ai également oublié toutes mes mauvaises habitudes comme le coude à la portière, le coup d’oeil au portable au coin du pare brise ou même la surveillance régulière du compteur de vitesse.
Ces voitures nécessitent une telle attention que vous êtes quoi qu’il arrive toujours bien trop occupé pour vous affairer à quelque-chose d’autre. De plus, rien à bord n’est là pour vous distraire, certaines se passaient même de radio. Le fondement de l’automobile est là en quelque sorte. Être en voiture pour simplement conduire et on l’oublie bien trop souvent de nos jours.
Merci à Renault d’avoir sorti ces machines à remonter dans le temps. Merci également pour l’organisation compliquée de cet essai en période de grève. Ces vieilles voitures n’ont en tout cas pas encore pris leur retraite.
Photo : Aymeric et Renault (intérieur de l’Espace)
Bonus : d’autres voitures du plateau à l’essai, mais que dont nous n’avons pas pris le volant