Lamborghini : avant l’Urus

La prochaine grosse nouveauté de Lambo, c’est l’Urus. Cédant à la mode des SUV, le constructeur italien va présenter ce qui s’annonce comme le plus rapide/puissant/efficace/cher/prétentieux de tous. Et pourtant, Lamborghini est parfaitement légitime sur ce créneau, bien plus que tous les autres !

Et non, cher lecteur taquin, ce n’est pas en raison des origines agricoles de Lamborghini (quoique), mais bien en raison de l’existence dans sa gamme du premier vrai gros SUV de luxe et de sport : le LM002.

Au milieu des années 70, depuis le départ de Ferrucio Lamborghini, la marque se porte mal financièrement. La situation restera d’ailleurs chronique jusqu’au rachat par Audi, mais c’est une autre histoire. La crise pétrolière est passée par là et les ventes de la spectaculaire Countach restent confidentielles. Quant au reste de la gamme, les Jarama et autres Urraco, elles manquent nettement d’une image forte et les ventes s’en ressentent.

Histoire de redresser un peu les finances, Lamborghini tente de trouver des contrats externes. Il y aura par exemple la conception du châssis de la BMW M1 (et la construction des 400 voitures nécessaires à l’homologation) et puis aussi un juteux contrat militaire américain pour remplacer les Jeep et autres MUTT. Celui-ci prévoit la construction d’un premier prototype en se basant sur les plans fournis par la petite société américaine MTI (Mobility Technology International). Le deal est simple : MTI conçoit et commercialise aux États-Unis tandis que Lamborghini fabrique en Italie et vend « éventuellement » des versions civiles dérivées. Les italiens n’ayant strictement aucune expérience en matière de véhicule tout terrain, c’est plutôt une bonne idée de laisser la conception à quelqu’un d’autre, surtout pour un véhicule militaire qui a des exigence plutôt élevées.

MTI fabrique la caisse en fibre de verre, l’expédie en Italie, où Lamborghini installe un V8 Chrysler de 5,9 l en position centrale arrière, ainsi qu’une boîte automatique à 3 rapports. Oui, vous avez bien lu : moteur central arrière. Le Cheetah, puisque tel est son nom de baptême, fera sa première sortie publique au Salon de Genève 1977 il y a 40 ans. La même année, Porsche révélait sa 928 et, dans un style plus « proche » (tout est relatif), Matra Simca sortait sa Rancho.

Mais cette révélation va s’avérer en fait le début de la fin. Le constructeur américain FMC va porter plainte contre MTI et Lamborghini pour plagiat et copie de son XR311 (ah… quelle poésie dans ces noms d’engins guerriers). Et les mauvaises nouvelles s’accumulent : BMW décide de ne plus faire fabriquer ses M1 chez Lambo, mettant en danger les finances chancelantes de la firme. Quant au Cheetah, il faut bien avouer que son architecture tout à l’arrière le transformant en gros buggy de 2 tonnes n’est pas la plus adaptée pour ce qui est de la maniabilité, même si il parviendra à atteindre la vitesse de 170 km/h en tout terrain. Le projet sera revendu par MTI à Teledyne, mais Lamborghini, exsangue et placé sous administration judiciaire, jette l’éponge en 1978. C’est la fin du Cheetah et la victoire de ce qui deviendra plus tard le Hummer (ou Hummvee) de chez AM General.

En 1981, les frères Mimram rachètent Lamborghini et décident de se diversifier un peu. On les imagine fouillant dans les cartons d’archive et ressortir des photos jaunies du Cheetah en se disant « ah mais dis donc, pas mal ce truc ! ». Et hop, les voilà partis pour revoir le concept. Enfin… « revoir » c’est un bien grand mot car ce qui deviendra le LM001 conserve l’architecture boiteuse du Cheetah : un V8 américain (de chez AMC à présent) en position centrale arrière. La carrosserie est largement revue pour éviter les procès. Terminé le look de buggy, bienvenue dans un monde tout carré, avec des vraies portes et un vrai toit, facile à blinder. Mais tout ce “luxe” va encore augmenter le poids de la bête (1800 kg pour une puissance de 180 ch, je vous laisse juges…). La vitesse atteint péniblement 160 km/h, c’est correct, mais insuffisant, d’autant que la maniabilité de l’engin reste catastrophique. Quant au nom “LM”, deux significations sont données : “Lamborghini Military” ou “Lamborghini Mimram”.

Révolution en 1982 : les ingénieurs de chez Lamborghini ont enfin compris que leur projet était voué à l’échec si il restait en l’état. Ils décident du coup de tout changer : le moteur passe à l’avant sur un tout nouveau châssis pour enfin avoir un équilibre des masses correct, et les V8 américains sont remplacés par le noble V12 de la Countach, à peine retouché. Le LMA002 est ainsi présenté au Salon de Genève (le “A” signifiant Antiore, antérieur) avec de sévères retouches esthétiques par rapport au LM001. Ça reste du massif et du brutal, mais il n’est pas forcément disgracieux. La libération de l’espace arrière a permis l’installation de banquettes à ciel ouvert permettant d’accueillir 6 personnes, pour un total de 10 passagers. Le poids a encore augmenté, très nettement, pour atteindre 2600 kg. Le V12 développe ici 338 ch, et il se trouve accouplé à une transmission manuelle ZF à 5 rapports permettant la transmission aux seules roues arrières ou aux 4 roues. La clientèle recherchée : les militaires américains ou du Golfe Arabo-Persique, mais aucun contrat ne se concrétisa. Imaginez un peu des tout terrain Lamborghini équipés de V12 de supercar avec une batterie de 6 délicats carburateurs double corps Weber pour comprendre les réticences…

Il faudra encore 4 ans à Lamborghini pour perfectionner son proto et surtout changer radicalement la finalité de la voiture : au lieu de le vendre aux armées, les clients se trouveront dans la cible traditionnelle de Lamborghini : les riches personnalités de ce monde, désireuses d’un véhicule différent. Et dès 1986, après sa révélation au Salon de Bruxelles, la liste des clients célèbres possesseurs d’un LM002 commence à s’allonger : Hassan II, Sylvester Stallone, Tina Turner, Van Hallen, Pablo Escobar ou Mike Tyson, sans compter de nombreux notables moyen-orientaux qui ont trouvé là la monture idéale pour affronter le désert et aller chasser. A l’intérieur, c’est le grand luxe : moquette épaisse, cuir, autoradio, et même un des tous premiers système de navigation par satellite.

Puissant (450 ch), rapide (210 km/h sur route et 180 km/h en tout terrain), le LM002 était le symbole même du véhicule hors norme et m’as tu vu, si ancré dans l’esprit de la fin des années 80. Il gagnera le surnom de “Rambo Lambo”… Toute une époque !  Jusqu’en 1993, il se vendra à 301 exemplaires (ou 328 selon les sources).

Sans surprise, le LM002 s’avère un gouffre financier pour les acheteurs. Outre une consommation éléphantesque (environ 30 l / 100 km, à peine rassasiés par les 290 l des deux réservoirs), le V12 réclamait un entretien fréquent et les fameux pneus Pirelli Scorpion Runflat développés spécifiquement (encore une première) coûtaient également une petite fortune. Mais la clientèle n’en avait cure et cela n’empêcha pas non plus l’engagement de LM002 en rallye raid, notamment le Paris Dakar en 1988 et le Rallye des Pharaons en 1987 avec une voiture usine (révolution pour Lamborghini !).

La production s’arrêta en 1993. Quelques dérivés exotiques furent construits durant les 7 années de production. Le LM003, version équipée d’un 5 cylindres diesel à destination du marché militaire (décidément !) ne connut aucun succès. Il faut bien avouer que 150 ch pour 2,6 tonnes, ça ne pardonne pas. A l’autre bout du spectre, le LM004 était une version préliminaire équipée d’un V12 de 7 litres (dérivé du V12 de bateau offshore produit par Lamborghini). Trop lourde (plus de 3 tonnes !), cette version fut écartée, mais selon la rumeur il était possible de commander son LM002 avec ce moteur en remplacement du 5,2 litres…

Plus raisonnables, les 60 derniers exemplaires furent vendus par l’importateur américain sous le nom LM American sous la forme d’une “série spéciale” (tout est relatif, ce n’est pas non plus une 106 Kid). Ces voitures étaient dotées de jantes alu OZ, de pare-chocs chromés (ah… ces américains), de quelques améliorations dans l’habitacle, et surtout pour certains modèles, du V12 à injection de la Diablo. Et pour être tout à fait complet, il ne faut pas oublier le LM002 Estate, version break rallongée unique fabriquée par le carrossier italien Diomante sur commande spéciale du Sultan de Brunei.

A la fin des années 90, Lamborghini est détenu par des capitaux indonésiens, et eut l’idée de donner un successeur au LM002. Ce potentiel LM003 Borneo (à ne pas confondre avec le LM003 équipé d’un diesel) ne vécut que sur les planches à dessin d’un designer anglais, et du bureau d’étude de Zagato. Le projet n’ira pas plus loin faute de marché potentiel et Lamborghini a peut être ici loupé le coche : le premier SUV premium, le Porsche Cayenne, arrive en 2002. Et après les premiers cris d’effroi de la part des puristes Porsche, il faut avouer que c’est un beau succès commercial depuis 3 générations. Et aujourd’hui, il n’est plus un constructeur de luxe qui n’ait au moins un projet allant dans ce sens (oui, même Ferrari ou Aston Martin). Quant à l’Urus, il sera dévoilé début décembre.

Oubliez la dénomination simpliste de SUV : ce sera un SSUV, pour Super Sport Utility Vehicle. On annonce pour lui un V12 comme son illustre ancêtre et une motorisation hybride. Prions pour qu’il évite au moins le diesel de son cousin Bentley Bentayga, il y a quand même peu de chance d’arriver à en vendre aux militaires !

Crédits photos : essentiellement Lamborghini !

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