Mon père regarde mon papier rose tout neuf de ce matin avec un air dubitatif. “C’est pas parce que tu as ton permis que tu sais conduire” me dit-il. Quelque peu vexé, je m’apprête à lui répondre que si, justement. “Avant de te laisser la voiture, tu vas repasser le permis, mais avec moi”. Et nous voilà partis tous les deux à bord de la voiture de mon père, une Renault 4, modèle de base, même pas une GTL ou une Savane. Tellement de base qu’elle n’a même pas de nom de finition. Nous sommes en 1990, la Renault 4 existe depuis déjà très longtemps et a connu un nombre sensible d’évolutions. Toujours un peu dans l’ombre de la star des voitures “rustiques”, la Citroën 2 CV, la bonne vieille 4L a cependant des arguments certains à faire valoir. Et en tout premier : mon père en a une, déjà vieille de 10 ans à l’époque, qu’il est tout disposé à me laisser utiliser à volonté pour aller à la fac en octobre (enfin… si j’ai mon bac dans un mois).
L’examen de mon père s’avère plus sévère que celui de l’examinateur officiel. Si la conduite en ligne droite est une partie de plaisir, je dois réapprendre à passer mes vitesses, et surtout à maîtriser l’embrayage qui m’a donné tant de fil à retordre. Ma main cherche le levier bien trop bas. Le changement c’est maintenant sur le tableau de bord. Une belle tige chromée ornée d’une grosse poignée en bakélite sort de la planche de bord. Sécurité passive vous avez dit ? Connaît pas. La grille en H est simple à mémoriser : 4 rapports + la marche arrière. La 5ème restera longtemps un fantasme, avant que je ne me mette à rêver bien plus tard d’une 6ème. Je tambouille un peu, je cale, je repars, le tout sous l’œil sévère et pas forcément bienveillant de papa. Après les bases, on passe aux manœuvres d’évitement, aux freinages d’urgence, à la conduite “rapide” en virage. Je soupçonne mon père d’avoir été le créateur du fameux test de l’élan juste pour me piéger. Visiblement, je m’en sors bien et j’ai mon second papier rose de la journée (virtuel celui là). A moi la liberté !
La planche de bord en plastique beige hyper dur et coupant s’orne vaillamment d’un seul bouton poussoir : les feux de détresse. Voilà de quoi rassurer. Juste en dessous, 3 interrupteurs fantôme réservés aux version plus huppées de la 4, permettant probablement d’activer le mode hyperespace ou autres fonctions qui me seront à jamais interdites. Encore plus en bas, presque au ras du sol, un interrupteur à 3 positions pour la ventilation. Ergonomie fabuleuse obligeant à se baisser sous l’étroite meurtrière servant de pare-brise pour avoir un peu d’air tiède. Les compteurs se résument à un très optimiste tachymètre permettant une vitesse de pointe de 160 km/h (sur autoroute allemande, ça va de soi) et à une jauge d’essence schizophrène changeant environ 10 fois d’avis par minute.
Et pourtant, le plaisir est là : conduire, être libre, aller où je veux, sans rendre de comptes. Peu importe que je me gèle l’hiver, que je sue en été et que chaque faux plat ressemble au col de l’Izoard : je peux me déplacer ! Mais pour le faire avec style, la 4 est passée par la case peinture. Au revoir le beige Sahara et bonjour le vert anglais appliqué au pistolet dans le garage de mémé. Faute de MG B en British Racing Green, j’en aurai au moins la couleur ! Compagne fidèle, la 4 me laissera en plan par deux fois sur le parking de la fac. Une batterie qui flanche en plein hiver, et une autre panne plus obscure, que le mécano envoyé en pleine nuit par Renault Assistance (dans son Jeep Cherokee !) avait réparé avec une cosse électrique bricolée. Essayez donc d’en faire autant aujourd’hui.
Oh, elle n’allait pas bien vite, c’est sûr, et emballer les filles avec s’avérait être une mission très délicate. Mais ses 34 l d’essence me duraient bien deux semaines, à moins de 5 F le litre, ça restait raisonnable. Et surtout, elle passait partout et absorbait tous mes bagages d’étudiant. Des épisodes neigeux intenses m’ont donné un énorme sourire. Avec ses petits pneus étroits en 135 et son poids plume, elle se faufilait partout alors que les grosses Mercedes de l’époque étaient échouées telles des baleines mortes sur les bas côtés, incapables du moindre mouvement. Ça me faisait bien rire, et ça rattrapait un peu les humiliations répétées à chaque côte que je devais gravir. Le seul élément de luxe qui me faisait vraiment défaut, c’était un autoradio. Les trajets d’une heure pour rejoindre la fac étaient quand même un peu longs, et la mélodie du 4 pattes commençait à me lasser.
NDLA : pas de photo numérique ou même de photo tout court de ma 4 verte. Il faudra se contenter d’images d’illustration dont les auteurs voudront bien me pardonner l’utilisation !