L’exception
C’est un terme fréquemment utilisé lorsque l’on parle de passion. Amateurs de lomographie, mordus de post-rock, inconditionnels de Lynch, souvent, lorsque l’affection est forte, les opinions s’affûtent. A l’instar du yatching, de l’art, du cinéma ou de la cuisine, chaque mouvement culturel se structure autour de ses divisions. Le milieu de l’automobile n’y échappe pas : composé en groupes et sous-groupes, plus ou moins perméables et plus ou moins pénibles, il permet au Porschiste de snober l’amateur de GTI qui lui-même se moque du collectionneur de Daf -Presque tout le monde se moque des collectionneurs de Daf , à part peut-être ceux qui collectionnent les Fiat-.
De prime abord complètement juvénile, en passant quelques heures en compagnie de l’un ou l’autre de ces passionnés on arrive vitre à comprendre la nature de son comportement : C’est naturel et c’est très pratique : comment voudriez-vous écourter les repas de famille sans ces moments ou légèrement enivré, devant une assemblée gênée mais muette, vous fustigez votre cousin d’un « Tu peux pas dire qu’un X5 c’est maniable! Essayes une Marcos 1600 GT, on en reparlera! ».
Aimant les beaux objets, je fais partie d’un de ces sous-groupes. Bien entendu, je conchie volontiers toute personne qui ne partage pas ma vision éclairée. Pour moi, une voiture est longue, basse, potentiellement découverte, bruyante et mue exclusivement par ses roues arrière. Elle gagne des points si sa carrosserie est le fruit d’une longue tradition artisanale anglaise ou italienne, elle en perd lorsque de l’électronique rend impossible toute intervention mécanique. Et dans ma démarche radicale, je suis convaincu, comme tout le monde, d’être celui qui détient la vérité, qui possède la vision juste parmi ce tas d’aveugles incultes qui roulent en Ford ou en Opel.
Cependant, contrairement au cinéphile ou au photographe, aimer les voitures, c’est plus difficile à assumer. Une voiture, ça pollue, ça encombre les voies de bus, voire, ça tue des gens sur les routes nationales. L’esthète automobile est donc du genre à se la jouer discrète. Ainsi, “Saabiste” ne fait toujours pas partie des mots-clés utilisés sur un curriculum vitae. Mais dans l’ombre, tous les gearheads que nous sommes se retrouvent derrière la même émission de télé. Le lendemain, toutes les conversations de café sont unanimes. “Incroyable! Ils ont réussi à faire voler cette Reliant!”. Depuis des années, nous admirons ces Anglais, qui en véritables passionnés n’hésitent pas à franchir la manche juchés sur un pick-up Toyota ou à traverser l’Angleterre au volant d’une Ferrari achetée 10 000£. Parfois à la limite de la beaufitude, ces trois bedonnants britons ont toutefois toujours conservé le minimum d’élégance nécessaire à redorer l’image de celui qui ne considère pas l’objet de notre culte comme un simple déplaçoire.
C’est ainsi avec plaisir que me suis installé sur mon canapé mercredi soir, un verre de vin à la main, mon beagle sur les pieds, tandis que ma compagne simulait une fuite dans les bras de morphée pour ne pas regarder un énième reportage de bagnoles.
Enfin, la France allait avoir son propre Top Gear, enfin, une émission de télé grand public allait souplement distiller un peu de coolitude automobile.
Puis, je suis tombé des nues. Comme dans à un miroir, ce show télévisé m’a confronté aux excès de ma passion : ces trois types à la mèche volumineuse, largement enduite de Pento, portant des pantalons trop serrés aux chevilles pour dissimuler des baskets fluo, m’ont relégué, avec le feu qui m’anime lorsque je démarre mon coupé, au rang de drifteur de « khaisses » poussant des cris de cochon d’inde en rut à chaque vrombissement…
Est-ce l’humour à la française ? Est-ce l’absence de synonymes afin de remplacer le mot « Khaisse » utilisé à tout va durant le show ? Est-ce ce manque de culture automobile qui écorche le nom d’une Ferrari classique, déforme la genèse d’une auto ou enterre prématurément un des plus grands designers français?
Pour une première, il est possible de pardonner une réalisation approximative, un sens de l’image qui n’égale pas leurs aïeux anglais. Tout ceci se corrige avec le temps. Mais on ne pardonne pas une mauvaise écriture. En une soirée, Philippe Lellouche et ses acolytes, dans leurs gaudrioles bangolesques ont redonné vie avec application à la caricature du beauf automobiliste qui s’était petit à petit effacée de l’imaginaire populaire…
Grâce à Top Gear France, tous les “caisseux” sans exception, sont redevenus ces mecs sapés tels des footballeurs au casino, utilisant l’argot avec la subtilité d’un Parisien qui prend ses vacances à Cannes et qui considèrent la gent féminine aussi subtilement que Rocco Sifredi dans une partouze d’infirmières…