La Traversée de Paris : objects in mirror are older than they appear


Dimanche 29 juillet avait lieu la Traversée de Paris, rassemblement de voitures de collection. Au départ de l’esplanade du Château de Vincennes, le parcours chemine à travers la Capitale et se donne rendez-vous pour un piquenique sur la pelouse de l’Observatoire de Meudon dans les Hauts-de-Seine. Et comme on n’a qu’une vie (et d’aimables amis), Blog Automobile y a participé cette année : récit d’une traversée en anciennes. Et pas n’importe lesquelles.

En effet, de mon expatriation et de mes voyages dans l’ex-Tchécoslovaquie, j’ai gardé une certaine tendresse pour les Škoda à moteur arrière et surtout la frustration de n’en avoir jamais conduit. Sans le savoir, l’ami Dominique me fait une proposition aussi inattendue que charitable : participer à la Traversée de Paris en Škoda 1000 MBG de 1967. A nos actes manqués, autant dire que j’accueille son offre avec un grand sourire. Pour couronner le tout, il me propose également d’essayer une de ses DAF. Un clin d’œil à ma famille du côté d’Eindhoven. Il aurait difficilement pu viser plus juste.

Rendez-vous est donné à deux pas d’un diners américain de Boulogne pour prendre le volant de la tchécoslovaque, tandis que mon escorte est assurée par deux DAF : 46 et 33. Notre but ? Filer en convoi vers le Château de Vincennes d’où part l’événement. Dominique me briefe rapidement sur mon destrier de l’économie planifiée : passé l’amusement de voir un comodo de clignotants à l’étrange ergonomie (il faut faire pivoter le bout dudit comodo), je boucle ma ceinture (dépourvue d’enrouleur) sur un point d’ancrage aussi peu rassurant que la police d’Etat tchécoslovaque. Enfin, le freinage n’est pas le point fort d’une voiture de collection. Je suis incité à anticiper et utiliser le frein moteur. Direction le périphérique : première, le point de patinage est délicat tandis que la voiture se meut avec autant d’énergie qu’un bureaucrate soviétique. Seconde, ça va un peu mieux, le 1000 ccm révèle un peu plus de sa « puissance », troisième, je commence à rattraper les DAF. Feu rouge, on recommence. A l’instar des Porsche 911, Ferrari 458 ou autres Lamborghini, le moteur est à l’arrière. La comparaison s’arrêtant là. La sonorité, quant à elle, évoque plutôt les DAF contemporaines (i.e. les poids-lourds)… Arrivé sur le périph’, je passe la quatrième avec un semblant d’assurance tandis que le poids contenu et les 46 ch (double carbu, s’il vous plaît) m’évitent de rétrograder. Les dépassements exigent une certaine dose de concentration et de mouvement de l’encéphale : le rétro gauche vibre atrocement tandis que le droit est aussi absent qu’un parti d’opposition du temps de Novotný. Un véhicule (moderne) en panne nous oblige à nous arrêter : l’occasion de voir que la voiture ralentit plus qu’elle ne freine réellement. Suffit d’anticiper. Au fur et à mesure que Vincennes approche, nous voici entourés d’autres anciennes.

The West is the best. Get here and we’ll do the rest.

Nous rejoignons alors une joyeuse réunion de voitures d’époques hétéroclites issues de différents pays. Les participants sont cette année tout de blanc vêtus et les dames en chapeau pour ajouter au folklore. Tandis que la rétine se délecte de ce parc automobile nettement moins grisonnant que la sempiternelle faune contemporaine de vos Clio, 207 et Golf, nous décorons la Škoda des drapeaux tchèque et slovaque, faute d’étendard tchécoslovaque à la maison. Nous nous apprêtons alors à traverser Paris. Premier freinage : je manque de peu de faire la bise au pare-choc d’une Triumph… Fichtre, aurais-je été optimiste ? Le second freinage me sert de réponse : la Škoda continue sa course en direction d’une superbe DS Chapron décapotable. Ne pouvant faire de mal à une Citroën, je choisis le coup de volant en direction de la file inverse, heureusement vide. Mon passager me souffle l’idée du frein à main : la pédale du milieu restant sans réponse. J’ai donc officiellement perdu les freins… Do piče, kurva ! Il est temps de garer la voiture avant de risquer de compromettre quoi que ce soit.

Fort heureusement, Dominique me propose de prendre le volant de la DAF 46 comme solution de repli ; un modèle 1976 qui, outre l’année de mariage de mes parents, est aussi la dernière année des VP de DAF, les voitures étant systématiquement badgées Volvo à partir de l’année suivante. La Volvo 340 est ainsi à la DAF 77 ce que la Peugeot 309 est à la Talbot Arizona. La Traversée continue, donc, avec cette DAF 46 break bicylindre et son Variomatic (boite automatique à variateur). La dernière fois que j’ai conduit ce genre de transmission, c’était sur une Mercedes Classe A, dotée de deux fois plus de cylindres. Point de sélecteur PRND comme on l’entend de nos jours mais une position N centrale secondée par un D lorsque l’on pousse le sélecteur vers l’avant et un R dans le sens opposé. La boite manifeste bruyamment sa désapprobation lorsque l’on tente de manipuler le levier autrement qu’au ralenti. Comparée à la Škoda, la DAF présente une grande facilité de conduite, une ergonomie plus contemporaine. Seule la transmission un peu capricieuse requiert de jouer du starter pour éviter de caler à chaque feu rouge. La voiture n’est plus toute neuve, vous vous en doutez… Direction Bastille où les deux DAF semblent susciter une certaine tendresse de la part des autres participants tandis qu’un possesseur de Jaguar Type E nous avoue avoir également une DAF. A mesure que nous approchons de la Place de la Concorde, je n’ai de cesse de déclencher l’inopportun « stop & start » de la voiture… J’aurais rarement autant calé dans ma vie d’automobiliste ; ironie du sort, c’est en boite automatique.

Arrivé à la Concorde, les voitures font une brève halte. C’est le moment de faire le tour de quelques unes des 650 voitures engagées. Si certaines nous sont plus ou moins familières, d’autres sont d’une grande rareté à l’image d’une Bricklin SV1, seul exemplaire immatriculé en France d’après son propriétaire, étonné que je connaisse son véhicule. Il ne me connaissait visiblement pas. Françaises, américaines, italiennes, allemandes, suédoises, anglaises, il y en a pour tous les goûts et tous les âges. Nos néerlandaises n’échappent pas aux touristes japonais chez qui les DAF n’ont jamais été importées, à l’image de bien des voitures présentes à la Traversée de Paris. Il est temps de filer à Montmartre avant que les accès ne soient restreints à la circulation piétonne. Mon inquiétant stop & start n’a de cesse de ponctuer mes arrêts aux feux rouges. Bien que citroéniste, je remonte la rue Lepic, jusqu’à ce qu’une impudente Ypsilon ne veuille faire un créneau. Soit. Je tire le sélecteur sur R dans un angoissant fracas. Je repasse sur D le moment venu. Ou tout du moins, j’essaie. Un effroyable bruit me fait comprendre que la DAF sera moins coopérative que prévu. Impossible d’avancer. Avec ou sans frein à main, avec ou sans l’aide de bons samaritains pour pousser dans cette côte, la voiture ne veut rien entendre. Le propriétaire arrive et le verdict tombe : l’arbre de transmission a rendu l’âme. Gotverdome ! Deux voitures, deux échecs. A deux pas du Chat Noir, ça ne s’invente pas.

La suite de déroule à l’arrière de la DAF 33, survivante (à condition de ne pas couper le contact, la batterie étant morte…). Quelle aventure, pour paraphraser Albert Tjamag. On poursuit la Traversée en direction de l’Etoile, des Invalides, du Trocadéro et surtout du Grand Palais où les voitures font un sympathique clin d’œil à l’ancien temple du Salon de l’Automobile. Pour finir, nous arrivons sans autre panne sur la pelouse de l’Observatoire de Meudon d’où l’on peut contempler Paris ainsi que la multitude de voitures participantes à l’événement. L’occasion aussi pour le public de voir de près un pan du patrimoine automobile du siècle précédent. Et tant pis si la Škoda refusait de s’arrêter, tant pis si la DAF refusait d’avancer, force est de constater que la Traversée de Paris était un formidable événement. Tandis que la DAF a pu être remorquée, la Škoda a retrouvé l’usage de ses freins. Quant à moi, j’ai pu rentrer en Modus puis en Mondeo le soir même sans tomber en panne. Et si ce n’était pas moi le chat noir ? Place aux photos.

Suspension hydraulique, toit ouvrant panoramique… Take note, Citroën.

Photos : Eric E., Jérémy Cez et Dominique W. Jacson, que je remercie au passage pour l’aimable prêt de ses voitures ainsi que cette épique Traversée.

Quitter la version mobile