Nous l’avons vu précédemment avec la Cadillac Allanté, l’industrie sait se montrer d’une rare créativité dès qu’il s’agit de faire un pied de nez au bon sens. Produire une voiture de luxe en 3 étapes distantes de 6 800 km chacune vous semblait être suffisamment irrationnel pour être un cas isolé ? Détrompez-vous, les voisins de Detroit avaient encore de la réserve : permettez-moi de vous présenter la Chrysler TC by Maserati. A lui seul, le nom est en droit de vous faire craindre le pire. Dont acte.
Après un gros passage à vide dans la seconde moitié des années 70, au point de céder ses activités européennes (et iraniennes…) à PSA, Chrysler retrouve quelques couleurs à l’aube des années 80 par la politique de rationalisation industrielle insufflée par Lee Iacocca, nouveau dirigeant du groupe. Par ailleurs, le succès des véhicules de la plateforme K permet de mieux asseoir le groupe au Pentastar dans les segments de marchés populaires tandis que les vans Voyager et Caravan, outre leur réussite commerciale, s’imposeront comme le benchmark de leur segment en devenir aux USA. Ceci étant, au pays de la grande voiture, Chrysler souffre d’une offre toujours perçue comme ringarde et dépassée dans le haut de gamme. Au milieu des années 80, Lee Iacocca reprend contact avec son vieil ami Alejandro De Tomasso à la tête de l’entreprise artisanale éponyme (alors propriétaire de Maserati) et signe un accord en vue de la production d’un cabriolet 2 places à vocation luxueuse. Maserati en profite au passage pour se recapitaliser à travers la participation de Chrysler à hauteur de 3,5% de son capital. Bien que placée sur un segment de marché différent, l’idée de la Cadillac Allanté avait d’ailleurs germé au même moment. Pour Chrysler, Maserati doit apporter un souffle nouveau à la gamme et une autre vision du luxe alors incarné par des Le Baron affublées de woodies ou de toits en vinyle. Aussi cool que de s’afficher avec un t-shirt à l’effigie de Richard Nixon en 1974 : Chrysler avait désespérément besoin de dépoussiérer son offre en haut de gamme.
A l’époque et à de notables exceptions, le design américain passe d’une sombre décadence à une triste banalité. Au même moment en Italie, le mot qualité fait rarement partie du vocable automobile et ceci est particulièrement vrai pour Maserati dont les luxueux produits font pâle figure face à l’implacable finition des rivales allemandes. Dès lors, on imagine sans peine qu’un produit américano-italien puisse allier une certaine idée de la rigueur industrielle (ne vous emballez pas, ça reste l’industrie auto US des années 80…) avec un sens inégalé du design automobile. Hélas et vous l’aurez compris : la voiture ne s’appelle pas Chrysler TC by Maserati en vain. Avec une production italienne et un coup de crayon issu de l’équipe américaine à qui l’on doit notamment la Chrysler Le Baron, l’histoire semble mal partie pour la TC. Aussi cohérent que de prendre des cours de cuisine aux Pays-Bas tout en triant ses déchets en France à la même époque : cela reviendrait à une regrettable inversion de compétences. Chrysler s’est pourtant fendu d’un tel découpage des tâches (il est vrai pour donner de l’activité à Maserati), bien que la voiture soit exclusivement commercialisée en zone NAFTA i.e. loin de l’Italie. L’Amérique est ainsi faite, cette nation étant paradoxalement capable de snober le système métrique tout en marchant sur la Lune, on peut donc s’attendre au meilleur comme au pire.
En premier lieu, le projet souffre de nombreux retards liés à un cahier des charges un peu flexible ainsi qu’à la nécessité de mettre le partenaire italien au diapason des exigences de Chrysler. Au final, près de 3 ans s’écoulent entre la présentation du concept (très proche du modèle définitif) et la commercialisation. Celle-ci, initialement prévue pour le millésime 87 n’aura lieu qu’en 1989. Délai largement suffisant pour banaliser le design et émousser l’intérêt du public. Pour ne rien arranger, la nouvelle Le Baron lancée en 1988 s’inspirait largement de la TC mais apparût avant à force de voir cette dernière accumuler les ajournements : dans l’esprit du public, la TC n’était alors au mieux qu’une sorte de Le Baron en lingerie. Dans bien des cas, le commun des mortels ne faisait pas la différence entre les deux voitures. Tough times ahead…
Commercialisée à 33 000 $, la Chrysler TC by Maserati (ça sonnerait presque comme « Toyota iQ by Aston Martin ») vaut près du double de la Le Baron dont la ressemblance stylistique est doublée de similitudes mécaniques, la nature s’acharne. En effet, sous le capot officie le 2.2 Chrysler qui équipe entre autres les voitures de la plateforme K et les versions américaines de nos Talbot Horizon (développées avant la cession de Chrysler Europe à PSA). Le bloc turbocompressé de 160 ch (accolé à une BVA3) était également disponible dans une version revue et corrigée par Maserati (et Cosworth) développant 200 ch en boite manuelle 5 vitesses. Exotique, peut-être mais pas forcément le weapon of choice d’une clientèle attachée aux grosses cylindrées plutôt qu’aux 4 cylindres suralimentés. Qu’à cela ne tienne, un V6 Mitsubishi de 141 ch (BVA4) viendra se substituer au moteur de base dès l’année 1990. Un style américain, des mécaniques pas franchement italiennes, un développement calamiteux… Entre temps, Maserati profite de l’argent frais de Chrysler désormais propriétaire de 15% de l’italien. Comme si cela ne suffisait pas, l’américain se porte acquéreur de Lamborghini dont l’entreprise ne sait que faire. Puisque l’on vous dit que les gens ne prennent pas que des décisions sagaces… La TC en est une, dont la principale vertu est d’être depuis tombée dans l’oubli. Le passage à la postérité se mérite. Définitivement.
Le véhicule se voit doté d’une capote en toile manuelle et d’un hardtop de série (même concept que la Cadillac Allanté…). Un détail passablement kitsh vient par ailleurs garnir le toit rigide amovible : si tant est que l’on ait une appellation française pour parler d’opera windows, des vitres d’opéra circulaires signent ledit hardtop d’un trait aussi délicieusement américain que de la moutarde French’s sur un hotdog. A bord, un cuir luxueux recouvre la sellerie et l’équipement est complet comprenant l’ABS, un système audio 10 HP, des sièges électriques ou encore un parapluie. Seule option au catalogue, le lecteur CD. Le logo de la voiture quant à lui symbolise parfaitement le partenariat : un trident Maserati inscrit dans le Pentastar de Chrysler. Restent ces malheureux retards, une technique pas si savoureuse, le prix et le style trop proche de la plébéienne Le Baron : la clientèle peine à situer la TC qui ne se vendra qu’à 7 300 exemplaires pendant 3 ans.
Depuis, Maserati est tombé dans le giron de Fiat à travers Ferrari et a retrouvé un second souffle. Quant à Chrysler… Le groupe a également été racheté par Fiat et l’on parle désormais de produire des Maserati aux USA chez Chrysler. La roue tourne. Mais cette fois, le site de production serait au plus près de la clientèle visée. Et tant pis si cette Maserati ne sera pas italienne, le client s’arrête rarement à ce genre de détails : vos Opel polonaises, VW espagnoles, Peugeot slovaques et autres Renault slovènes en savent quelque chose.
Via Wikipedia, Blenheim Gang