Rassemblement sauvage : que penser de Vauban ?

Il y a quelques années, je m’étais déjà penché sur la question des spotters, sous l’angle, un peu provocateur, de leur éventuelle dangerosité. Un phénomène inédit en cette année 2021 m’a poussé à reprendre la plume pour essayer d’en comprendre les éventuelles conséquences. Depuis quelques mois, le petit monde des spotters franciliens se donne rendez-vous place Vauban, tous les dimanches matin. Il n’y a pourtant strictement aucune organisation derrière ce rassemblement mais il perdure.

Les origines

Pour bien comprendre et balayer l’idée d’une génération spontanée, il faut revenir quelques années en arrière. Depuis 2016, la FFAC (Fédération Française des automobilistes citoyens) organise un rassemblement militant “Les Bannies du 1er juillet”. Cette manifestation est déclarée en Préfecture comme il se doit. Ce rassemblement a pour objet de mettre en lumière les actuelles et futures restrictions de circulations dans les grandes agglomérations. Pour résumer le discours de l’association : “les ZFE vont s’étendre, excluant de très nombreux véhicules de larges zones de circulation, vont précariser encore un peu plus les plus pauvres qui ne peuvent acheter du Crit’Air 1 et restreindre la liberté fondamentale de circuler”. En vrai, c’est un peu plus que cela mais cela vous donne une bonne idée.

Depuis 2016, les membres se retrouvaient dans le 7e arrondissement pour échanger, diffuser leurs idées, se rendre visibles. La place Vauban est un cadre magnifique, un quartier calme, peu passant et permet de se garer sans gène pour le voisinage. C’était l’occasion, bien évidemment, de venir avec sa voiture “bannie”. Des curieux étaient souvent de la partie, avec l’espoir de croiser un modèle qui sortirait de l’ordinaire. C’est le premier point d’importance.

La région parisienne est riche de belles collections, de nombreux passionnés y vivent, des événements automobiles majeurs s’y déroulent comme Rétromobile ou Art et Elégance. Pourtant peu de rassemblements plus routiniers ont su trouver leur place. Si le Cars and Coffee France a pu tenter l’aventure, force est de constater que la mayonnaise a peu pris. Quelques éditions ont attirés de très exclusifs modèles. Toutefois le lieu, excentré et peu agréable à l’oeil ont pu rebuter les amateurs au fil du temps. Les rassemblements ont fini par regrouper systématiquement les mêmes personnes et les mêmes autos, malgré une organisation de qualité. L’Ile de France ne compte donc aucun grand meeting régulier. C’est le deuxième point d’importance.

Enfin, depuis 2020, nous vivons sous un régime de circulation un peu particulier. Si pendant 3 ans, la place Vauban est restée dans un petit cercle d’amateurs, l’envie de profiter de la vie et de ses libertés s’est fait largement sentir depuis. Je plaide coupable : mon premier passage date de mai 2020, mon deuxième d’octobre. Si le discours de la FFAC peut me toucher, ce n’était pas l’objectif premier de mes visites. Lors de ces venues, nous étions encore dans l’esprit original. Quelques indices auraient toutefois pu nous mettre la puce à l’oreille, ainsi qu’à celle des organisateurs. Des voitures moins vintage commençaient à faire une apparition, à venir se garer quelques heures autour du parterre central. C’est le troisième point d’importance.

Le débordement

Ce sont les 3 et surtout 10 janvier 2021 que tout a basculé.

Le 10 janvier, il faisait beau. La France sortait depuis peu du deuxième confinement et d’une ambiance de fin d’année très particulière, plutôt morose. Une semaine plus tôt, sans qu’un mot d’ordre précis ait été diffusé, la place Vauban a vu arriver nettement plus de voitures que les 4 années précédentes. Ces voitures étaient également tout à fait différente de l’objet premier, plus axé Youngtimers et anciennes gloires. Les pistardes sont entrées en ville et le tuning a pointé le bout de ses ailerons disgracieux. La semaine suivante, largement alimentée par le buzz des réseaux sociaux, il y avait beaucoup plus de monde à Vauban.

Le phénomène a perduré, s’est amplifié. La FFAC a bien tenté via ses médias habituels de se désolidariser, d’appeler à la retenue et de marteler le sens initial de ce rassemblement, rien n’y a fait. La machine était lancée. Entre nous, ces appels m’ont paru un peu pathétiques. Il aurait probablement mieux fallu simplement se désolidariser d’un phénomène spontané. La FFAC aurait ainsi évité d’être potentiellement accusée de faits dont elle n’est en rien responsable tout en regrettant de s’être fait voler sa manifestation.

Les semaines suivantes, Vauban a vu défiler des dizaines de voitures et des centaines de curieux dans un bazar assez indescriptible. On en revient à mes propos dans l’article cité en introduction : on était loin d’une atmosphère respectueuse. Les voitures se garaient en triple file, le public traversait en oubliant être sur une voie de circulation, créant bouchons et frayeurs. Les nuisances étaient évidentes, notamment pour le voisinage. Au delà de la foule, certains conducteurs étaient là avant tout pour parader dans une absence totale de goût. Entre accélérations au milieu des jeunes et rupteurs à gogo, on était assez loin de la passion automobile telle que je la conçois mais plutôt dans celle qui se pratique sur le parking du Leclerc en fin de nuit.

La police a dans un premier temps fini par procéder à plusieurs reprises à l’évacuation de tout ce petit monde. Puis, de manière nettement plus organisée, elle a choisi d’arriver tôt et d’empêcher tout stationnement en dehors des places de parking régulières. Depuis lors, le défilé continue mais dans une toute autre ambiance.

Vauban, “bien” ou “bien mais” ?

Première évidence, nous sommes en état d’urgence sanitaire, les rassemblement de plus de 6 personnes sur la voie public sont interdits. Deuxième évidence, les rassemblement sur la voie publique doivent être déclarés en préfecture. Troisième évidence, les riverains ne sont pas obligés de subir des nuisances sonores tous les dimanches matins.

Vauban est un mouvement spontané, issu d’une organisation qui n’a rien demandé et n’est en rien responsable de son évolution. La FFAC a largement appelé à ne pas venir, dont acte. Il faut croire que les parisiens avaient besoin de cet espace pour profiter de leur passion. Nombreux sortaient la voiture pour ensuite aller rouler en vallée de Chevreuse, le temple de la ballade francilienne. Certains ont remarqué plusieurs marchands venus faire des petits tours avec leur stock, glanant là une visibilité supplémentaire pour leur activité. On a vu de très rares et belles automobiles, le point d’orgue ayant été le passage du tout jeune instagrameur fanchracing avec sa McLaren F1 et Chiron Pur Sport. Un vrai régal.

Malheureusement, on a aussi vu beaucoup, mais vraiment beaucoup, de jeunes passionnés dont le premier réflexe aura été de pointer son smartphone en mode portrait pour diffuser au plus vite Reels ou Story sur les réseaux. Les mouvements de foule, au mépris de toute raison étaient dangereux. On a trop vu de conducteurs parader avec leur voitures bien trop modifiées, pensant qu’un bruit d’échappement est l’alpha et l’omega de l’automobile.

Alors Vauban, c’est bien mais sous un format qu’il s’agit de conserver. Depuis que la police règne sur la place, une partie des participants a disparu. La plupart des merguez tuning ont retrouvé leur garage et une partie du public les a suivies. La circulation est fluide, les groupes sont plus petits et plus disciplinés et les propriétaires sont toujours au rendez-vous. Vauban s’est transformé un simple point de passage de la ballade du dimanche matin. Certains s’arrêtent dans les rues adjacentes pour quelques instants. D’autres effectuent plusieurs passages quand la plupart roulent tranquillement, se laissant admirer par les spotters présents. Terminé le grand bordel meeting.

Pour conclure, je pense que Vauban a trouvé un certain équilibre. Cet équilibre est toutefois précaire et dépend de plusieurs facteurs. Le premier, le plus important, c’est le comportement de tous ceux qui se rendent sur place pour voir des voitures. Ma principale crainte est ici. Le second, ce sera la lassitude. A défaut d’un objectif précis, il est tout à fait probable que les propriétaires finissent par se lasser de faire un crochet par le 7e arrondissement. Le flux pourrait se tarir et laisser la FFAC remettre en place sa manifestation, toujours suspendue.

Force est de constater qu’à ce jour, le phénomène tient toujours et je m’en réjouis. Dans une ville dont la politique respire le mépris pour les automobilistes et encore plus pour ceux qui aiment l’automobile, il est rafraichissant de voir que la spontanéité peut créer quelque chose de positif.

Crédit photos : moi-même

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