A l’heure où je tape ces premiers mots sur le clavier, nous sommes à quelques jours de Top Marques Monaco, le salon princier consacré à tout ce qui brille : montres, bijoux, bateaux et supercars. Au fil de ses 14 premières éditions, l’événement s’est imposé dans le paysage pour deux raisons, une bonne et une mauvaise.La bonne, ce sont les constructeurs exotiques qui trouvent là l’écrin parfait pour tenter d’achever ou de commercialiser les projets automobiles les plus fous. La mauvaise, ce sont les images de jeunes photographes se déplaçant en meute, attiré par l’exclusivité des voitures présentes dans les rues de la principauté, pour publier au plus vite la photo sur Instagram ou la vidéo sur YouTube : j’ai nommé, les spotters. Tous les ans, la même réflexion revient : par quel miracle un accident grave n’est pas encore arrivé ?
Lorsque je reprends la rédaction, le TMM a bien eu lieu… 2 vidéos ci-dessous pour que vous puissiez prendre conscience de ce qu’il s’est passé. Mes sentiments vont de la consternation à la colère à la vue de ces images. Tous les ans, nous avons droit au même spectacle mais en pire. Certains commencent à évoquer une interdiction du TMM et cela ne serait pas plus surprenant que cela quand on connaît la fermeté habituelle des autorités monégasques. Il est en effet impensable que la police permette ce type de rassemblement sauvage avec tous les risques qu’il induit : accident, nuisance, image catastrophique pour le micro-Etat. Fort heureusement, le spotting à Monaco ne ressemble pas à ceci le reste de l’année, sauf peut-être pendant le Grand Prix mais sans prendre de telles proportions.
Mais comment a-t-on pu en arriver là ?
Le terme “spotting” vient initialement du monde de l’aviation. Les amateurs d’aéroplanes se massent à proximité des pistes pour capturer les décollages et atterrissages. Par analogie, il a été employé dans les années 2000 pour nommer les photographes parcourant les rues des plus belles villes du Monde à la recherche des voitures plus souvent admirées dans les magazines que dans la Grand Rue de Vierzon. Paris, Londres, Monaco, Genève… l’Europe ne manque pas d’endroit adaptés à cette chasse d’un type un peu particulier. Si la pratique a probablement le même âge que les premiers appareils photo de grande diffusion, on l’a vu se développer petit à petit avec l’essor du numérique. Nombreux étaient en effet ceux qui photographiaient avec de l’argentique et faisaient développer leurs clichés dans le magasin de quartier pour un prix absolument délirant. Le prix nécessitait un niveau élevé de passion… Le passage progressif aux cartes mémoire a libéré les vocations compte tenu du coût marginal ridicule de chaque photo.
En parallèle, les forums internet, ceux de l’époque des modems 56k, ont permis d’élargir le partage des trouvailles plus ou moins exotiques. La passion se diffusait au rythme de la bande passante encore un peu limitée. L’ambiance dans les rues était assez réservée mais bon enfant. Pour ce qui est de la qualité des voitures visibles, le débat sera sans fin mais j’estime qu’il était moins quantitatif, tout aussi qualitatif.
Et puis un jour, Facebook et Instagram sont nés. Formidables outils de partage social, ces deux applications ont trouvé leur essor avec celui de la 3G et de la 4G. Désormais, je ne vous apprends rien, tout est partageable, diffusable et surtout likable dans l’instant. Le buzz est devenu roi, le like est le nouveau mètre-étalon de la popularité dans les cours de collège et de lycée. Ce qui se cantonnait à la cour de récréation voit désormais sont terrain de jeu élargi à la Planète toute entière, il n’y a plus de limite. Et la loi des grands nombres est impitoyable : plus il y en a, plus nous avons de chance de rencontrer les extrêmes…
Le bon côté de la distribution normale, ce sont les influenceurs majeurs de Facebook et IG qui offrent une fenêtre sur leur passion et un interactivité bienvenue avec tous ceux qui s’intéressent à leur travail : photographes de talent ou simple acteurs des dizaines d’événements qui se déroulent toutes les semaines.
Le mauvais côté : la bêtise humaine et son absence totale de limite. Penchons-nous sur les vidéos ci-dessous : y voit-on des photographes amateurs en quête d’un cliché de qualité ? des chroniqueurs instruits partageant leur savoir ? un public respectueux des personnes et de son environnement ?
Pas besoin de vous faire un dessin…
Deux catégories bien distinctes sont à blâmer ici. Bien évidemment, tous ces jeunes hommes (pas vu beaucoup de dames…) armés de leur pitoyable smartphone, tentant d’extraire de ce capharnaüm une vidéo qui fera leur fierté bien mal placée dans les jours à venir. Mais aussi tous ces propriétaires d’automobiles qui entretiennent le phénomène à coup de revs pétaradants et de burns fumants, oscillant entre l’absence de cerveau et la franche mise en danger du “public” présent.
Nous avons également un tiers floué dans l’histoire : le TMM qui risque son existence. Si l’idée initiale d’organiser un salon à ciel ouvert avec multiples essais sur le bitume azuréen était séduisante, la défection progressive de tous les “vrais” constructeurs et la possible interdiction en 2019 n’ont pour seule origine ces débordements répétés. Un peu loin de la principauté, je ne suis pas allé demander aux organisateurs quel était leur sentiment sur la question… Notons simplement qu’ils n’ont aucunement encouragé ces rassemblements sauvages de propriétaires et jeunes spectateurs. Une intervention radiophonique de l’organisateur au tout début du salon avait d’ailleurs montré la fermeté de ce dernier à la suite des annonces de la police locale pour serrer la vis. Efficacité zéro mais au moins, le cœur y était. On peut penser d’ailleurs que le créateur a été dépassé par sa créature et qu’il tente désormais de la canaliser.
Prenons un peu de hauteur…
Quand on se promène sur Facebook ou Instragram, il ne faut pas bien longtemps pour comprendre que chaque passionné, quelque soit son centre d’intérêt, aime photographier et désormais filmer. Partager une passion, c’est probablement la meilleure façon de la vivre. Obtenir 1000+ likes sur FB ou IG, est-ce bien du partage de passion ? Parfois oui, parfois non… Oui s’il s’agit simplement de faire part d’une belle chose croisée il y a quelques minutes ou quelques années. Non s’il s’agit de publier une vidéo live au milieu d’un groupe de plusieurs centaines d’excités dangereux pour eux et pour les autres. La dictature de l’immédiat, de la dernière voiture sortie, ce n’est pas de la passion, c’est de la popularité bas de gamme et éphémère. Et que dire que la violation des propriétés privées, garages et parkings non accessibles trop largement visités. Que diraient ceux qui s’adonnent à ces pratiques si je venais photographier leur salon en passant par la fenêtre ?
Qui peut penser que les images issues de ces courses et attroupements seront qualitatives ? Faudra-t-il un blessé grave, ou pire, fauché en pleine course pour que tous prennent conscience de la vacuité de ces comportements ?
Alors oui, mea culpa, moi aussi j’ai couru, jeune, sur les routes de Paris ou de Monaco. Mais pas trop, et toujours, je l’espère, en pensant d’abord à ma sécurité. C’était d’autant plus vrai à une époque où les photos ne se partageaient pas, aucune course à la popularité dans ces runs, juste la possibilité d’avoir un souvenir de cette McLaren F1 sur les Champs Elysées. Je crains que la plupart de ces sprinteurs ne cherchent que la petite victoire du pouce levé ou du cœur rempli. Il est évident que des propriétaires aujourd’hui ne sortent plus dans ces endroits autrement qu’en SUV, de peur de rouler sur un gamin. Il est évident que d’autres flattent leur ego à se voir poursuivre telles des rock-stars pour le simple fait de posséder.
Comme souvent, la position raisonnable sera celle de la modération en tout
A vous qui courrez : n’étiez-vous pas déjà au bon endroit une minute plus tôt pour déclencher votre appareil ? Dans le cas contraire, choisissez mieux votre spot… A vous qui roulez : la passion automobile ne se résumerait qu’à des revs aussi inutiles que bruyants ? Dans un environnement étouffé par une répression autophobe puissante et relayée, si ce type de comportement venait à dépasser le simple cadre des passionnés et amateurs, soyons assurés que les pouvoirs publics prendront les mesures qui s’imposent : limiter, contraindre, interdire. Aucune vidéo ne mérite un accident. Le sujet interpelle les suiveurs réguliers, il était dans toutes les conversations lors du rassemblement du Tour Auto ce dimanche à Paris. Il interpelle, inquiète un peu, afflige beaucoup…
Quelques règles de savoir-vivre élémentaire suffiraient sûrement à réguler tout ceci. Pour les amateurs, oubliez le partage live à tout va et vivez l’instant pour vous. Prenez des photos, des vidéos, autant que vous voulez et dans tous les sites publics. Traitez les, classez les et partagez les sur les supports de votre choix. Si vous êtes talentueux, vous aurez de l’audience. Si vous n’avez pas d’audience, ce n’est pas grave, vous vivez votre passion et la faites partager à quelques uns qui sauront l’apprécier. Et si vous en avez, votre responsabilité est d’autant plus grande : sachez donner l’exemple à ceux qui vous font confiance. Ayez en permanence en vous le respect des autres amateurs et des propriétaires qui vous permettent de profiter, même de loin, de leurs bijoux. Arpentez les rues au hasard, sans suivre de fil FB ou de story IG, laissez vous surprendre par la voiture de vos rêves, inattendue et simplement posée le long d’un trottoir. C’est un sentiment tellement plus satisfaisant que d’aller à un point de rendez-vous pour y retrouver un amas de jeunes qui marchent plus vite que vous. Intéressez-vous à l’histoire de l’automobile, pas forcément les années 50 mais allez déjà faire un tour dans les années 90, vous y trouverez des merveilles à côté desquelles vous passez allègrement sans vous rendre compte qu’elles sont infiniment plus intéressantes qu’une Audi RS5 ou une C63 AMG Black Series.
Propriétaires, ne vous laissez pas griser par la foule. Votre ego est probablement bien assez pourvu si vous avez la chance de posséder une jolie BMW M4 ou une McLaren 675LT. Faites profiter les amateurs en vous servant de vos voitures qui ont été conçues pour rouler et pas pour rester au fond d’un garage ou brûler de la gomme. Fumer un train de pneu dans l’épingle du Loews ne vous apportera que ridicule et opprobre. Les sans-cerveaux vous trouveront intéressants mais est-ce si flatteur ?
Chaque weekend, des dizaines d’occasions de se rassembler, d’utiliser ses autos, de prendre des photos et vidéos sont organisées. Il y a de quoi assouvir les passions les plus dévorantes ou le simple frisson mécanique qui semble animer les détenteurs de smartphone. Je ne peux, de mes modestes moyens, interdire l’accès aux routes à tous ceux qui vivent l’automobile différemment (et de quel droit ?). Mais certains franchissent le pas de manière détournée : le dress code de Peter Auto ajouté à une tarification ambitieuse n’a pas pour autre objectif que de limiter l’afflux de spectateurs dont le comportement serait préjudiciable à tous.
En forme de conclusion, pour répondre à ma question initiale, non, les spotters ne sont pas nuisibles à la passion automobile mais oui, l’influence néfaste de certains d’entre-eux rejaillit sur tous les autres, qui exercent l’activité de manière intelligente et raisonnable. Comme le revolver n’est pas responsable du meurtre commis, le spotting n’est pas répréhensible par principe. Seuls ceux qui font vivre le mouvement peuvent le faire mourir tout aussi sûrement. Si jamais ces quelques lignes pouvaient permettre à quelques uns d’en prendre conscience, elles n’auront pas été vaines.
Crédit vidéos : Fipeux et GE Supercars – Crédit photos : divers contributeurs de groupes Facebook