Nous avons essayé la Lancia Delta S en finition “Stade Français Paris” avec le moteur 1,9l MultiJet 190 chevaux.
άλφα* : Présentation
Voici maintenant 6 ans que la Lancia Delta promène sa silhouette dans le paysage automobile. Un âge avancé, d’autant que son design remonte encore plus loin, mais malgré cela elle conserve une apparence moderne et distinguée face à la concurrence. Née comme concept-car baptisé “Delta HPE” en 2006 sous le crayon de Frank Stephenson, la Delta, troisième du nom, est entrée dans la gamme Lancia en 2008 avec un positionnement bâtard. Ni berline tricorps pour remplacer la Lybra, ni totalement compacte avec ses 4,52 mètres, ce “crossover” qui s’ignore est ainsi la seule à répondre d’une telle description avec la Citroën DS5 ou feue la Fiat Croma. Et à la difficulté d’expliquer cette catégorisation s’est ajouté l’héritage de son patronyme.
En effet, parler de Lancia Delta, encore aujourd’hui, c’est évoquer le riche passé de rallye de la marque italienne, et le souvenir de la redoutable Delta HF Integrale pointe le bout de sa calandre. Avec la Delta III, Lancia a vidé le contenu sportif (qui avait déjà été bien liquidé par la deuxième génération !) pour le remplacer par une ambiance luxueuse et cocooning, “de la sportivité, mais pas comme dans le passé… “ ainsi que l’annonçait en 2006 Sergio Marchionne. C’est, plus largement, la stratégie du Groupe Fiat qui est en cause : à Alfa Romeo les voitures puissantes et sportives ; à Lancia le luxe confortable. Un tel manichéisme entre les deux célèbres patronymes, bien que d’apparence logique, interroge : ne pouvait-il pas y avoir deux marques haut de gamme (avant que l’on ne jure que par le “premium”) à la fois sportives et luxueuses dans le groupe Turinois ? L’étroitesse des gammes des deux labels apporte aujourd’hui un sinistre démenti à la stratégie de Fiat.
Stratégie toujours : dans cette optique de positionnement luxueux, Lancia se devait de dépoussiérer son vieux logo qui venait de célébrer son centenaire. Pour se faire, on conserve la forme de blason à trois côtés, mais on modifie l’intérieur avec des lignes plus épurées, en ne faisant apparaître le monogramme Lancia que dans un cercle sur fond bleu. La Delta fut la première à inaugurer cette identité renouvelée. Stratégie enfin, qui s’est aussi remarquée dans le changement de calandre. En 2011, afin de favoriser l’assimilation des modèles de la marque Chrysler au sein de la gamme Lancia, la calandre à barrettes verticales fut remplacée par une calandre à barrettes horizontales.
Minimaliste en apparence, cette modification trouve son origine dans l’encadrement en plastique chromé de la calandre : sur le marché européen (hors Royaume Uni) c’est un entourage badgé “Lancia” ; et sur les marchés anglo-saxons, un cerclage au sigle américain la fait devenir Chrysler Delta. Déjà crossover, la compacte italienne devient crossbadging (ou rebadgeage en français). La Delta, un modèle à marquer d’une croix (cross en anglais) lors d’un achat de véhicule ? Nous l’allons voir ci-dessous.
βήτα* : Description
Après cette mise en perspective de la place de la Delta dans l’histoire de Lancia, parlons de la place qu’occupe la Delta dans l’environnement. Une place imposante pour une compacte, ou réduite pour une berline, selon la catégorie qui vous sert de repère. Et si vous êtes anticonformistes, à l’image de cette voiture, seuls les chiffres vous parlent et ils sont éloquents : une longueur de 4,52 mètres, une largeur de 1,79 mètres, pour une hauteur d’1,49 mètre et un empattement de 2,70 mètres. Un beau volume, spacieux et de grand confort (nous en reparlerons), idéal pour ceux qui n’apprécient plus se contorsionner, se baisser, ou au contraire avoir à grimper à bord de leur berline ultra-basse/monospace/SUV. Avec un volume de coffre oscillant entre 380 et 465 litres selon le réglage de la banquette coulissante, la Delta accueille avec largesse les bagages. Intrinsèquement c’est donc une voiture idéale pour les artisans taxis ou ceux qui aiment à recevoir du monde dans leur véhicule en toute simplicité.
Derrière son allure élancée, la Delta n’est en réalité qu’une Fiat Bravo recarrossée. Elle lui doit son châssis, ainsi que la structure de sa planche de bord, et sont toutes deux assemblées à Cassino (Italie). C’est pourquoi cette dernière, notamment les aérateurs, ressemblent tant à ceux de la cousine turinoise. Ironie de l’histoire, ces deux compactes, tout aussi réussies esthétiquement l’une que l’autre (et tant pis si vous n’êtes pas de cet avis !), ont connu chacune une carrière poussive et en demie-teinte. Pour relancer celle-ci, en 2013, Lancia signe un partenariat avec le club de rugby capitolin, le Stade Français. A la clé, outre un concept-car de Flavia cabriolet à sellerie rose, une finition “S by SFP” pour la Delta qui se manifeste par une calandre sombre, une sellerie Momo Design cuir-tissu à surpiqûres bleues, trois choix de robes unies (noir magma, blanc zénith, gris anthracite) et deux bicolores (blanc/noir et celui de notre modèle d’essai, gris/noir), et des jantes 18″ à la teinte carrosserie. On vous fait cadeau par ailleurs des compteurs avec décoration de couleur jaune et de deux matricules “SFP” sur les flancs, sous les rappels de clignotants.
γάμμα* : La douce vie à bord
Installé derrière le volant tout comme sur la banquette arrière, un constat s’impose : on est bien assis à bord de la Delta. C’est dû à la sellerie qui est à la fois moelleuse (et c’est de plus en plus rare) mais qui maintient également très bien le corps. Cette Delta réussit donc le bel exploit d’être confortablement solide, ou solidement confortable dans le sens qu’il vous plaira. Ce confort statique est renforcé par l’onctuosité des suspensions: cela faisait longtemps que je n’avais plus connu de suspensions sachant aussi bien absorber les dos d’ânes, nids de poules et autre redoutables gendarmes couchés qu’aiment tant installer nos municipalités chéries. Cela provoque même un excès de confiance qui invite à les prendre un peu trop vite, pour tester les limites des-dites suspensions, alors que ces installations ont pour but de faire ralentir.
Le confort de vie à bord, partagé par les passagers arrière qui profitent eux aussi de réglages souples de suspension, va sans les impondérables habituels : c’est-à-dire que la Delta conserve une direction saine et consistante, et que le châssis s’inscrit très bien en virage, sans dévier. On a retrouvé une alternative au ferme “confort” germanique !
La dolce vita à bord de la Lancia se poursuit avec le toit ouvrant dont profitait notre modèle d’essai : trois réglages sont possibles (entrouvert, ouvert à moitié, ouvert totalement), et grâce à son filet saute-vent, il permet de profiter de l’air extérieur sans que celui ne s’engouffre violemment. Même notre ami Eric E. aurait apprécié !
Confort, enfin, grâce à la belle sellerie et avec la banquette 2/3-1/3 arrière réglable : coulissée au plus près des sièges avant, vous pouvez allonger votre dossier.
L’accoudoir en revanche déçoit : encastré qu’il est dans l’appui tête (il faut soulever ce dernier pour sortir l’accoudoir), il est assez fin, et se termine par deux porte-gobelets. On s’interrogera en outre sur l’absence d’aumônière dans le dos du siège conducteur, ainsi que de poignée de maintient sur le toit pour le passager avant.
La qualité de l’intérieur est de bonne tenue : la partie supérieure est recouverte d’une partie moussée, faite d’un matériau que Lancia partage avec Maserati (excusez du peu) ; les contre-portes ont un peu de cuir ; sinon le reste est recouvert de plastique dur, mais qui ne sonne pas creux. Les amateurs du claquement de portières apprécieront le son mat de fermeture de celles de la Delta. Il n’y a guère qu’autour de l’allume-cigare que la partie plastique gigote un peu dans son logement, le reste est bien assemblé, ne vibre pas, et présente joliment. Personnellement, un regret va à l’ablation du monogramme “Delta” sur la partie droite de la planche de bord, un détail que je trouvais très chic…
έψιλον* : Mais elle a tout de même quelques défauts, non ?
Hélas, oui. Vous aurez compris que cette Delta me plaisait, et rassurez-vous, votre serviteur n’a pas été soudoyé par la marque italienne bien au contraire. C’est depuis la limousine Thésis que j’apprécie les Lancia, leur esprit à la fois chic et démodé, distingué sans être prétentieux, bref, leur différence. Et cette Delta avec son pavillon flottant, ses feux à DELs et son profil tendu, ne m’avait jamais laissé indifférent. Son moteur 1,9 l MultiJet Twin Turbo (à double turbo donc) ne m’a malheureusement pas indifféré lui non plus. Son récital dieselique commence dès le tour de clé, où il s’ébroue dans un râle sonore, qui perdure sur les trois premiers rapports à chaque accélération après 2000 tr/minute. Le bloc vrombit d’aise, et le manque d’insonorisation est patent. Cela est dû au fonctionnement des turbos : de tailles différentes, le plus petit agit seul jusqu’à 1500 tours, moment où son grand frère vient l’épauler, qui devient seul turbo en fonction au-delà de 3000 tours.
Pour le conducteur, il faut composer avec une position de conduite compliquée : la course de l’embrayage est en effet extrêmement longue, ce qui invite à se positionner très près du volant, sauf que celui-ci a une colonne de direction très imposante. Alors c’est au choix : conduire loin du volant au risque de caler souvent ; conduire avec le volant entre les jambes mais en maîtrisant les débrayages.
Recouvert de cuir, le pommeau de levier de vitesse n’est pas d’apparence extrêmement flatteuse. On l’aurait plutôt vu avec un cerclage métallique suivant le chic de cette finition “S”, une remarque qui aurait pu valoir aussi pour le pédalier aurait bénéficié d’un parement en aluminium. Cependant, le levier de vitesse est pratique, passe aisément les rapports (bien que la lisibilité du passage entre le 2è et le 3è soit parfois incertaine et mal guidée) et finit par ne pas être désagréable du tout. Ce qui l’est davantage, c’est l’accoudoir croupion qui est proposé aux occupants de l’avant. Ridiculement court et petit, il offre (bonté suprême) un coulissement vers l’avant sur quelques centimètres… mais pas de réglage en hauteur. Si bien qu’il est trop bas, trop court, et trop petit pour deux coudes. Bref, il valait aussi bien ne pas en mettre. Il dissimule un profond rangement pour bouteille ou canette.
Autres menus détails agaçants pour une voiture qui se veut luxueuse : le couvercle de la boîte à gant, tarabiscoté, “tombait” sans que sa course ne soit accompagnée, et les contre-portes étaient assez petites en capacité de rangement ; le coffre, au seuil de chargement haut, s’ouvrait via une poignée en simple caoutchouc ; quant au capot, la tringle de maintien est ridiculement petite. Une dernière critique ? L’absence de poignée de maintien au plafonnier pour le passager avant droit.
Passons enfin sur le “Magic Parking”: ce système de rangement automatique de la voiture (on ne maîtrise que les passages de vitesse et la puissance) fut assez aléatoire. Il fonctionne réellement une fois sur 3, assez suffisamment de place (au moins 60 cm de marge à l’avant et à l’arrière) pour officier. Le reste du temps, il se colle trop près du trottoir (attention aux jantes !)… et demande de finir manuellement la “maneouvre” (c’est ainsi que l’ordinateur de bord l’orthographie). Si on accélère beaucoup, la voiture rentre trop vite dans sa place de parking ; et si l’on accélère très peu, elle n’y entre qu’à moitié. S’y ajoutent les détecteurs avant et arrière au “biiiiiip” vite agaçant car continu, y compris quand on est encore loin des pare-chocs des autres véhicules. Bref, le système part d’une bonne intention mais il apparaît assez vite inutile, d’autant que la rétrovision dans la Delta est plutôt bonne ainsi que le rayon de braquage (10,6 mètres) pour maneouvrer, pardon, manœuvrer.
ζήτα* : Quand la conduite est bonne
Malgré un moteur sonore, et un point de patinage très haut pour l’embrayage, les 190 chevaux de la Delta sont de fiers et redevables destriers. La puissance est disponible à 2000 tr/minute (couple de 400 Nm) et permet de franches relances, y compris en 6ème, faisant de la Delta une bonne autoroutière. Les bruits aérodynamiques sont assez peu présents : on les entend dès 110 km/h, mais pour une voiture d’un tel gabarit avec toit ouvrant, on aurait pu craindre davantage de frottements ; finalement, l’essentiel des décibels à hautes vitesses reste assuré par le moteur… A l’inverse, les clignotants ont le bon goût d’être assez silencieux, au risque parfois d’oublier de les enlever. Notez au passage la forme du bouton des feux de détresse : c’est la même que celle du sigle Lancia !
Le système Blue&Me de Microsoft, c’est-à-dire l’info-divertissement embarqué, souffle le chaud et le froid : assez simple d’utilisation bien que non tactile, il permet un accès aisé aux fonctions habituelles (Radio CD, GPS…) via un menu très lisible. Cependant, et malgré les riches conseils du carnet de bord, il fut impossible de synchroniser mon téléphone, que ce soit pour ses contacts ou sa bibliothèque musicale, via bluetooth comme via la prise USB (cachée à côté de l’allume cigare). Tant pis pour mes vilains morceaux de musique téléchargés, je me suis contenté d’exhumer d’anciens CD pour apprécier la qualité de l’audio Bose, particulièrement bonne pour les basses (le 2ème concerto pour piano de Chopin est formel sur ce point).
L’éclairage des compteurs, spécifique à cette finition “S”, est jaune. Un parti pris original, efficace sans être totalement plaisant… De simple compteurs sur fond blanc auraient été tout aussi beaux. On apprécie qu’ils soient gradués en rapport avec les limitations de vitesse françaises (30/50/90/130 km/h). On change le visuel de l’écran central depuis l’extrémité du commodo droit, via le bouton “Trip”, pour consulter la consommation instantanée, moyenne, la vitesse instantanée etc.
Parlons enfin du poste budgétaire: la consommation de notre modèle MultiJet 190 fut, pour 511 km parcourus avec 43,85 litres, de 8,5 l en moyenne, valeur qui comprend de la ville, de l’autoroute et des routes de campagne. C’est évidemment très loin des 5,7 litres annoncés, mais ça reste une valeur plutôt bonne pour une puissance de presque 200 chevaux. Or, la confidentialité des ventes et l’arrivée de la norme Euro 6 ont condamné ce bruyant bloc 1,9 l MultiJet. Si vous le voulez vraiment, on en trouve aisément d’occasion auprès de Lancia ou via d’autres prestataires de ventes. Notre modèle d’essai pourrait d’ailleurs s’y retrouver sous peu, puisque sitôt mon essai terminé l’on parlait de sa démobilisation du parc presse. Vendue à l’époque neuve (sans options subsidiaires) à 28 600 € pour la finition S-Stade Français Paris, on en trouve aujourd’hui dès 22 000 €. Et pour information, une Delta en finition haute Executive en 2012 se négociait autour des 39 000 €.
Δέλτα* : l’άλφα* et l’Ωμέγα* d’une bonne voiture ?
La Delta a toutes les caractéristiques d’une voiture spacieuse et confortable, tout en étant d’une esthétique chic et élancée. Bonne autoroutière, d’un accueil chaleureux avec le toit ouvrant vitré pour ses occupants, la Delta n’en néglige ni les bagages ni l’espace aux jambes. Les suspensions sont agréables autant que la direction est bonne, et c’est finalement ce moteur 1,9 l qui dessert le plus sa cause. Malgré sa puissance, il n’est plus digne du chic de cette berline, et l’on comprend pourquoi Lancia n’a pas souhaité le mettre au niveau de la norme Euro 6. C’est pourquoi mon meilleur conseil serait de préférer une Delta en motorisation essence (en l’occurrence le 1,4 l T-Jet 120 chevaux), certes moins puissant mais certainement moins sonore.
Mais au-delà des qualités intrinsèques de l’Italienne, reste la dimension mentale d’investir dans une Lancia. Pour les passionnés, le jeu en vaut la chandelle, mais le patronyme Lancia évoque malheureusement bien peu de chose dans l’esprit du public lambda (encore une lettre grecque tiens !), qui n’assimile le blason bleu roi qu’à la sympathique frimousse de l’Ypsilon. Pour le dire clairement, il manque à la Delta un sigle, un nom, une marque solide, que ni Lancia ni désormais Chrysler ne semblent pouvoir apporter. Or, face à une concurrence acharnée, il faut beaucoup de courage à la Delta pour faire oublier ce déficit d’apparence et d’image alors que son contenu est gorgé d’autant d’identité. Une identité marginale, originale, qui refuse les standards communs et leur préfère un anticonformisme de bon aloi, défendu avec talent, et sous une allure chic et à nulle autre pareille. Une différence qui fait plaisir à voir sur les routes, mais pour combien de temps encore ?
* : Pour ceux qui ne sont pas hellénistes, il s’agit de l’alphabet grec décliné sur ses premières lettres (Alpha, Bêta, Gamma, Delta, Epsilon, Zeta, et Omega).
Crédit Photographique : François Mortier pour BlogAutomobile.fr
Merci à Philippe Maury et à toute l’équipe du parc presse du Groupe Fiat pour ce prêt