Ah, le Taycan. Être la première Porsche 100% électrique ne lui facilite clairement pas la vie… Mais la marque fait les choses bien et donne sa chance au produit, notamment en multipliant les carrosseries : d’abord uniquement disponible en berline, le Taycan s’est ensuite transformé en break baroudeur avec la version Cross Turismo avant de descendre d’un étage et de se muer en Sport Turismo “tout court”. C’est avec ce dernier, en finition Turbo S, que je suis allé me promener dans notre beau Cotentin. Et de m’enthousiasmer sur le futur de la marque.
Avant toute chose, je dois vous avouer quelque chose : j’ai un passif avec le Taycan. Voyez-vous, j’avais été mandaté par Porsche pour accompagner le lancement du modèle dans les centres de la marque en 2020. Ma mission : aussi bien briefer les commerciaux qui se retrouvent pour la première fois de leurs carrières à vendre une voiture dont on ne fait pas le plein (non, les 100 km gagnés en 4.5 minutes de la plaquette ne s’obtiennent pas avec une recharge sur prise secteur) que les clients, pas forcément réceptifs au côté électrique (non, elle n’a pas de moteur thermique mais oui, ça reste une vraie Porsche). Reste que, pour suivre l’exemple des cordonniers, mon expérience de conduite à bord d’un Taycan s’est limitée à un Vélizy-St Maur dans les bouchons de l’A86. Je me suis alors promis de passer plus de temps avec ce qui était, il faut bien l’avouer, un formidable outil de travail.
De fait, j’ai déjà pu un peu mieux découvrir la bête lors des essais de la version Cross Turismo sur la Côte d’Opale en juillet 2021. Mon essai est à (re)lire ici, mais, pour vous résumer, ce fut un gros kif : bien que n’ayant eu la version “de base” (avec beaucoup de guillemets), j’ai trouvé que ce Taycan Cross Turismo était une formidable auto. Avance rapide, nous voilà en 2023 où je me dis que, zut à la fin, j’ai envie de fêter mon anniversaire en beauté et que, tant qu’à faire, autant reprendre un Taycan, cette fois-ci en Sport Turismo. Non seulement le service presse de Porsche a accédé à ma demande, mais ils m’ont gâté en me prêtant une Turbo S au look incroyable.
Parce que oui, je peux difficilement vous dire autre chose que cette voiture est juste sublime. Ne serait-ce qu’au niveau de la carrosserie, tout en volumes denses, rebondis, maîtrisés ; c’est sensuel, c’est charnel, c’est somptueux. Le passage à la carrosserie Sport Turismo n’a rien fait perdre en termes de magnétisme ; au contraire, je trouve que ce toit plus rectiligne rend l’arrière encore plus ramassé, mettant d’autant plus en valeur les ailes hyper protubérantes. Et que dire de la config ? J’ai toujours adoré ce Bleu Gentiane, alors le voir mêlé aux jantes 21″ reprises du concept Mission E, ça en devient juste pornographique. Quelle beauté !
Alors oui, j’entends bien les designers des marques généralistes me dire que, avec des proportions pareilles (4.96 m de long x 1.96 m de large x 1.38 m de haut !), c’est facile de faire du spectaculaire, mais le centre de style Porsche l’a joué de façon très maline, notamment en tirant partie des spécificités d’une architecture 100% électrique pour tirer l’empattement au maximum et creuser à fond le capot, histoire de rappeler quelques proportions d’une certaine 911… Me montrer à son volant a été sources de quelques craintes, notamment en termes de perception de la part des gens croisés, mais j’ai eu l’excellente surprise de ne plus pouvoir compter les pouces en l’air, téléphones brandis et autres mouvements de sympathie. C’est dit : les jolies voitures rendent les gens heureux !
L’intérieur est lui aussi une bonne surprise. Le côté sensuel laisse sa place à quelque chose de plus technologique, avec une disposition de la planche de bord assez simple, laissant place nette aux écrans -peut-être peut-on renifler une inspiration des 911 des années 70 dans le côté archi rectiligne ? Ecrans qui peuvent être au nombre de quatre : un incurvé pour les compteurs, un autre au centre pour toute la partie info-divertissement, un troisième pour la clim et enfin, et pour 1 032 € supplémentaires, un quatrième prend place en face du passager -écran qui se contente de dupliquer les informations de l’écran central, me laissant plutôt dubitatif quant à sa réelle utilité. L’ergonomie est bonne, d’autant plus que l’interface a bien évolué depuis le lancement du Taycan grâce aux mise à jour à distance. La dalle incurvée d’instrumentation, de très belle facture, peut au choix afficher une série de compteurs reprenant l’architecture des 911 ou la carte zoomable à discrétion, l’ensemble restant de toute manière parfaitement lisible.
Côté couleurs & matières, pas grand chose à dire : c’est -quasiment partout- du bon boulot. “Mon” Taycan était équipé d’un intérieur sans cuir, mêlant textile et “Race-Tex” -l’Alcantara maison- sur le volant, les sièges et le ciel de toit. C’est très joli et de belle facture, aussi bien à l’œil qu’au toucher, d’autant plus que l’harmonie bleue-grise ajoute une touche d’originalité. Un bien bel endroit, donc, ce qui me fait encore plus loucher sur le plastique dur et brillant du montant B, assez indigne du standing de la Porsche -précisons que ma voiture d’essai dépassait les 220 000 €… Heureusement, la marque a pensé à tout et pourra vous le recouvrir de Race-Tex ou de cuir contre, respectivement, 468 ou 2 028 € supplémentaires. Il n’y a pas de petit profit !
Le Taycan Sport Turismo étant tout de même un break, les aspects pratiques ne sont pas à négliger. Si la surface au sol est identique à la berline, le Sport Turismo gagne 45 mm de garde au toit à l’arrière et propose, bien entendu, une ouverture sur le coffre bien plus étendue que la malle de la berline -le volume en lui-même passe de 407 à 446 litres, pouvant être étendu à 1 212 litres une fois la banquette arrière rabattue. Et en bonus, un frunk à l’avant peut absorber 84 litres supplémentaires, de quoi caser jusqu’à deux bons sacs à dos.
De fait, on est bien dans ce Taycan. Alors, certes, la voiture est basse, mais s’installer à l’avant comme à l’arrière n’est pas non plus une sinécure. Si, à l’avant, l’ampleur des réglages des sièges (18 positions de série sur ma Turbo S !) permet de se sentir parfaitement à l’aise, les passagers arrière ne sont pas non plus à plaindre : les ingés de la marque ont eu la bonne idée de créer deux “caves à pied” dans la plate-forme (en gros, des trous dans la batterie) permettant aux passagers du rang 2 de pouvoir adopter une position tout à fait naturelle, une gageure compte tenue de la faible hauteur de la voiture -pas mal de VE ne proposent pas cette astuce, ce qui fait qu’on se retrouve les genoux dans la mâchoire, c’est assez déplaisant. Gardez cependant à l’esprit que le Taycan, Sport Turismo ou pas, est de base une 4 places -une option à 480 € permet de transformer la banquette en “2 + 1 places”, mais le passager central ne sera vraiment pas à la fête.
Mais entrons dans le vif du sujet. Mon Taycan d’essai, donc, était un Turbo S -comprenez, comme pour le reste de la gamme Porsche, qu’il s’agit de la version la plus sportive et non qu’elle referme un turbo quelconque, ça n’aurait aucun sens. Dans les faits, les deux moteurs de la voiture développent 625 ch, pouvant même aller jusqu’à 761 ch & 1 050 Nm de couple le temps d’un launch control -nous y reviendrons. Niveau batterie, on est sur une capacité de 93.4 kWh bruts (83.7 kWh nets) rechargeables en 11 kW en CA & 275 kW en CC grâce à une architecture électrique en 800 V. Ah, et petite originalité : le moteur arrière est doté d’une boîte de vitesse à deux rapports !
De fait, j’ai choisi de passer ces deux jours d’essai dans le Cotentin, une région que je connais bien trop peu et dont une chère amie ne cesse de me louer les beautés. “Le Cotentin ? Il y a des bornes là-bas ?”, m’interroge au tac-au-tac un ami lorsque je lui révèle la destination. De fait, il y en a et, de fait, je n’ai jamais été le moins du monde embêté par l’autonomie du Taycan. Concrètement, je suis arrivé à Caen depuis Paris avec 26 % de batterie restante où j’ai fait le plein dans une station Total tout en déjeunant chez un ami ; je me suis ensuite branché une quinzaine de minutes sur une borne 180 kW à Cherbourg le soir avant de biberonner l’auto sur une prise secteur le temps de la nuit, puis de faire un 5 % -> 89 % sur l’A13 au niveau de Deauville pour arriver avec 40 % à Paris. A noter que j’ai gagné 77 kWh en 34 minutes lors de cette dernière charge, de très loin l’opération la plus rapide qu’il m’ait été donné de faire !
Aucune trace de range anxiety, donc ; de quoi me permettre de profiter à fond de la conduite. Les premiers tours de roue, dans les petites rues de Levallois, ne furent pas une grosse surprise : le Taycan, tout Sport Turismo qu’il soit, s’accommode à merveille des trajets urbains -les roues arrière directrices, de série sur Turbo S, doivent ici bien aider à la situation. Le confort est également assez remarquable, étant donné le pedigree de la bête et les jantes de 21″ ; c’est ici les suspensions pneumatiques, également de série, qui sont probablement à remercier. L’autoroute ? Aucun problème. Le régulateur adaptatif marche nickel, le mode “Range” (laaaargement suffisant pour cruiser à 130) abaisse la voiture et découple le moteur arrière ; de fait, avec ~26 kWh/100 km, j’obtenais la même conso en ville que sur autoroute ! Un défaut ? Difficile à trouver. Allez, chipotons sur la sono Burmeister de mon modèle d’essai, certes de très bonne qualité, mais dont j’aurais imaginé des performances d’un autre niveau (parce que bon, 4 626 € quand même).
C’est terrible, à chaque fois que j’essaye une voiture sportive, j’ai l’impression de plus vous parler du rayon de braquage et de la consommation que des capacités sportives de la voiture… Bref. Bien évidemment, le chiffre que je mettais en avant lorsque je présentais le Taycan, c’est le 0 à 100 km/h en 2.8 s -2.8s, pour situer, c’est le temps d’une 918 Spyder. Bien évidemment, j’ai essayé. Et ça donne ça :
C’est absolument démoniaque, à la limite de la douleur physique. Et reproductible. Mais ce Taycan Turbo S a bien plus qu’une accélération a faire valoir : tout le reste de l’expérience est à l’unisson. Commençons par la direction, d’une précision et d’une réactivité sidérante, tandis que le volant a le bon goût de conserver une jante relativement fine (je sortais à l’époque d’une BMW 330e M Sport dont je trouvais le volant ridiculement épais, ça aide). Le châssis, fabuleux, suit. Merci aux batteries, permettant au centre de gravité de racler le sol, mais aussi à la débauche de technologie dont dispose la Porsche : système antiroulis actif, torque vectoring, roues arrière directrices… C’est un bonheur.
Le freinage suit : autant le frein régénératif est inexistant par défaut, faisant glisser la voiture au lever de pied, autant la sensation à l’enfoncement de la pédale est 100% naturelle : aucune différence de consistance, puissance homogène, c’est tout bon. Ce qui nous permet de gagner encore en confiance lors des sessions un peu énervées sur route… Tout en étant assuré que le couple sans fin et la motricité impossible à prendre en défaut nous catapulteront à la sortie du virage. Absolument addictif !
Après, si j’avais vraiment une chose à vous dire, ce serait la suivante : cette version Turbo S est complètement overkill. Déjà parce que personne, absolument personne n’a besoin de 761 ch mais aussi parce que, comme je vous le disais, cette puissance n’est disponible qu’une fraction de seconde via l’overboost. De fait, 99.93 % du temps, vous vous retrouvez avec les mêmes moteurs qu’un Taycan Turbo “tout court”, rendant les 33 600 € de différence un peu difficiles à avaler. La présence des freins en carbone céramique ne me semble de même pas forcément d’une utilité folle, étant donné la prédominance du frein régénératif dans la majorité des freinages : quand ont-ils la possibilité de monter en température ? Bref, tout ça pour vous dire que le Taycan 4S est disponible à partir de 118 500 € (124 000 € avec la grosse batterie) et qu’il avale déjà le 0 à 100 km/h en 4.0 s tout rond : je ne vois pas vraiment pourquoi vous auriez besoin de plus.
Mais bon, on s’en fiche un peu. On s’en fiche un peu parce que j’ai passé deux jours absolument merveilleux au volant de ce Taycan Turbo S Sport Turismo et que, si vous avez la chance de pouvoir claquer plus de 200 000 € dans une voiture, alors je ne vois sincèrement pas grand chose qui offre autant de beauté, de sportivité, de confort, de polyvalence -à part, peut-être, la Panamera Sport Turismo ; ça tombe bien, on a déjà comparé ces deux voitures juste ici. J’aime les breaks, j’aime les Porsche, j’aime les voitures électriques : tout était fait pour que cet essai se passe bien, mais cette caisse est encore plus que la somme de ses composants. Le Taycan ne se contente pas de rassurer les passionnés sur l’avenir de l’automobile, elle leur donne envie. Mission E réussie.
Crédits photos : Jean-Baptiste Passieux
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