Renault : Entretien avec le Directeur du Design, Laurens Van Den Acker

Laurens Van Den Acker (3)

A l’occasion de l’exposition “Color Manifesto” de l’Atelier Renault de l’Avenue des Champs-Elysées, qui présente les concept-cars de la marguerite du “Cycle de la vie”, nous retrouvons le directeur du design industriel de Renault pour discuter de l’avenir de la marque au Losange, de sa stratégie, et en apprendre un peu sur le monde du design automobile.

François Mortier : Bonjour M. Van Den Acker. Renault expose dans “l’Atelier” les concept-cars du “cycle de la vie”, au nombre de six. Six… moins un, puisque le Frendzy n’est qu’en maquette au 1/4. Pourquoi n’est-il pas exposé ?

Laurens Van Den Acker : Il faut bien regarder ! On voulait avoir un peu de variété, alors pas que six concept-cars mais aussi une voiture maquette, une maquette pleine, et de vrais concept-cars. Cela nous servait aussi pour dédier une zone aux enfants, où il fallait mettre les choses à leur taille (c’est là qu’est exposée la maquette Frendzy, NDLA).

F.M. : Et pourquoi spécifiquement le concept DeZir pour être exposé en maquette pleine et non comme vrai concept-car ?

L. VDA. : DeZir est en train d’aller au Salon de Tokyo ! Mais ce n’est pas grave, parce que je trouve que l’on voulait montrer tous les développements du design : cela commence par une échelle au quart, puis une maquette pleine, puis des concepts complets, et enfin deux voitures finies. Je pense qu’il est bon de donner une telle variété.

F.M. : Deux concepts sont déjà passés en série : DeZir, dont l’esprit est retranscrit dans la Clio IV bien que celle-ci ne soit pas un coupé ; et Captur, qui a conservé a priori la philosophie du concept-car dans le véhicule de série. Quel est le suivant ?

L. VDA : C’est TwinRun la suivante : elle préfigure la Twingo III, et plus tard, on montrera l’Espace, qui est préfiguré par Initiale Paris. Je pense qu’avoir quatre voitures sur six, ce n’est déjà pas trop mal. Je voulais absolument réduire le temps entre la voiture-concept et la voiture de série, et j’espère qu’ainsi on pourra montrer que les voitures dont on rêve peuvent aussi être réalisées.

“J’ai envie de refaire la gamme utilitaires de Renault”

F.M. : Frendzy et R-Space peuvent-ils également rejoindre la gamme de série à la suite du renouvellement de véhicules existants ?

L. VDA : R-Space ce sera dans quelques années… et Frendzy encore plus tard. On a pour l’instant seulement fait un Kangoo phase 2. Et comme les VU vivent plus longtemps, je dirais même malheureusement parce que j’ai envie de refaire toute cette gamme aussi, il faudra savoir se montrer patient.

F.M. : L’année dernière a été présenté le Renault Samsung Motors Captur Concept-Car, en réalité une maquette pleine du Captur peinte en blanc. Depuis trois ans, Renault déploie une nouvelle identité que vous avez redéfinie, notamment au moyen d’une nouvelle calandre. Mais quid de l’identité propre de Samsung ? De simple rebadgeages suffisent-ils ?

L. VDA. : Si les deux marques étaient vendues sur le même marché, ce serait une mauvaise stratégie. Mais la réalité est que RSM n’est vendue qu’en Corée du Sud, où l’on ne vend pas de Renault. C’est un marché assez réduit, 1 million de voitures/an, alors fallait-il développer une marque avec tous les investissements afférents pour un marché aussi petit ? Non, ça ne valait pas le coup. On a donc développé une stratégie où nous allons de plus en plus faire converger les directions design de RSM et de Renault, pour introduire plus de voitures sur le marché Coréen qu’auparavant. L’idée de développer une voiture spécifique pour RSM, avec les volumes que l’on fait, du point de vue business, ça n’est pas réaliste. Nous avons donc plus une stratégie du type Opel/Vauxhall, ou Opel/Buick, deux marques sur deux marchés différents, sans se cannibaliser.

F.M. : Faut-il en déduire qu’à terme des produits spécifiques au marché Sud-Coréen comme la Samsung SM7 seront vendus en Europe, à l’image de la Renault Talisman qui ne s’écoule qu’en Chine pour l’instant ?

L. VDA. : Oui, mais c’est une stratégie bien plus large que cela. Nous avons, comme vous le savez peut-être, cinq studios de design dans le monde, dont Renault Design Asia à Seoul, et on essaie d’utiliser le meilleur studio pour concevoir les voitures qui leur sont les plus proches. C’est la raison pour laquelle on y développe des Sedan et des Crossover.

Q. :  Où sont situés les studios de design de Renault dans le monde ?

L. VDA. : La base est située à Paris, au Technocentre de Guyancourt avec près de 400 personnes, puis nous avons un studio à Sao Paulo au Brésil, Bucarest en Roumanie, MumbaI en Inde, et Seoul donc en Corée du Sud. L’équipe design, au total, compte presque 500 personnes.

Q. : Sur chaque modèle, chaque studio est mis en concurrence ?

L. VDA. : On a mis un système en place les mêmes outils numériques dans ces petits studios que nous avons au Technocentre, ce qui leur permet de faire des propositions comme les autres. Tout est digital, donc si tu as du talent, tu peux donner ta proposition qui sera jugée comme celles de tout le monde. Cela commence déjà à porter ses fruits, puisque Logan/Sandero sont fortement inspirées par le studio de Bucartest, tout comme Lodgy a été en partie créé par Renault Design Amérique Latine. La prochaine Crossover du Segment C viendra elle aussi de Bucarest. Un tri est fait aussi par régions : les voitures destinées à l’Inde sont pensées en Inde. Mais dans l’ensemble, ça fonctionne très bien.

“Je suis présent à chaque moment décisif”

Q. :  A quel moment donnez-vous votre “touche” sur le modèle ?

L.VDA. : Je suis toujours impliqué, du début à la fin. Mon job est de définir la stratégie, et après je suis là sur chaque jalon : quand on briefe les designers, puis à chaque choix, celui des quinze maquettes quart, puis des cinq maquettes échelle 1, puis des trois meilleures, les deux meilleures… et le modèle définitif. Je suis impliqué dans tous les choix. Je n’ai pas besoin d’être là tout le temps mais je suis là à chaque moment décisif.

Q. : A propos de l’Espace, comment sur une voiture familiale très connue en Europe pouvez-vous créer un modèle novateur et y apporter votre “patte” ?

L. VDA. : L’Espace a toujours pour moi été une voiture pour familles modernes, toujours une voiture tendance. On a donc suivi cette idée, parce qu’on ne voulait pas faire un Espace “5” dans la continuité parce qu’on a vu trois éléments forts :

C’est un peu moins “utilitaire” que l’Espace d’aujourd’hui, mais en même temps ce sera beaucoup plus attractif, j’espère.

Q. : Est-ce que ce sera en prolongement du Captur ?

L. VDA. : Je pense que oui, on voit les gênes crossover apparaître sur un monospace. Le nez est bien plus important, beaucoup plus statutaire, car ce modèle reste tout de même notre flagship, notre fleuron. Il fallait aussi montrer la confiance, la richesse, la technologie, l’aérodynamique, l’innovation… tout ça dans un même concept, puis dans un modèle de série.

“La Tour Eiffel, je l’ai laissée dans mon bureau”

A. L. : Au sujet d’Initiale Paris, on avait aperçu sur certaines photos une maquette de Tour Eiffel ? Où est-elle donc ?

L. VDA. : Oui, je l’ai laissée dans mon bureau ! Je l’ai faite faire pour la mettre sur le toit, pour être sûr que que l’on reconnaisse bien le plan de Paris.

A.L. : A-t-il été envisagé de changer jusqu’au nom “Espace”, qui représente tout un concept qui n’a jamais bougé depuis le milieu des années 80 ?

L. VDA. : Naturellement, oui. A chaque fois qu’on dessine une nouvelle voiture, on se pose toujours la question du nom. L’écart est parfois très large avec l’ancien modèle, et de temps en temps on décide de garder le nom lorsque celui-ci n’a pas été endommagé. Il faut aussi savoir que l’on essaie de faire deux choses : satisfaire les gens qui ont déjà acheté une Espace, et engager la conquête et la reconquête de ceux qui n’en ont pas acheté. Or, si l’on ne change que le nom, on ne peut faire que de la conquête. Il faut aussi garder ceux qui ont déjà acheté l’idée de l’Espace. Sur Espace, on a eu beaucoup de discussions, mais pour le moment, je pense qu’il en ressort plus de positif que de négatif. Il y a d’autres voitures pour lesquelles on va vraiment changer.

Q. : Il y a tout de même un écart entre la Clio IV et le Captur son grand-frère qui sont des véhicules très jolis, et un Koleos qui est bien moins sexy… Est-ce que vous avez du mal à dessiner des 4×4 ? Comment peut-on avoir un tel écart dans une même gamme ?

L. VDA. : Je suis arrivé après Koleos… Et je pense qu’on sait faire des crossover comme des 4×4. Des réactions que nous avons reçues sur la plupart de la gamme que nous avons refaite, j’en retiens une majorité de positives. Je pense qu’on a trouvé une nouvelle voie, on a ouvert un nouveau chapitre, et nous allons continué sur le succès de Clio et Captur. Leur succès, vous savez, en interne, il donne beaucoup de confiance, parce qu’il veut dire que si ça se vend, on est sur la bonne voie. Nous allons vous surprendre, je pense !

Q. : Cohérence et filiation entre Clio IV et Captur, mais quid de la concurrence avec Nissan ?

L. VDA. : Mon travail n’est pas que de dessiner de belles Renault mais aussi de dessiner de belles Dacia, de m’assurer que les deux marques ne se cannibalisent pas. Si vous regardez les nouvelles Sandero et Clio aujourd’hui, vous avez deux propositions complètement différentes. Idem si vous regardez une Sandero Stepway et une Captur : chacune a un positionnement attractif. Je m’assure aussi avec mon homologue de chez Nissan, Shiro Nakamura, que c’est également le cas : on se parle presque chaque mois, pour partager nos stratégies design. Lui comme moi validons nos projets en conséquence, et nous sommes très contents d’avoir une orientation très différente de celle de chez Nissan, à tel point que comparer une Clio et une Micra n’est pas possible. On va s’assurer qu’ensemble on fera des conquêtes sans se cannibaliser.

Q. : Cela veut donc dire que vous voyez les futurs projets de Nissan ?

L. VDA. : Oui, on se voit régulièrement, et une à deux fois par an on visite l’un et l’autre nos studios, pour montrer à nos équipes design mais aussi à nos comités exécutifs et au management ce que nous faisons. Dans deux semaines, je pars pour la Corée du Sud et le Japon, je visiterai le Salon de Tokyo, et j’irai aussi chez Nissan à Atsugi pour comprendre un peu ce qu’ils y font. Nous avons une collaboration constructive, au sens que nous essayons de nous améliorer l’un et l’autre, et naturellement de bien différencier nos styles.

“Avec Nissan, c’est un scénario gagnant-gagnant”

Q. : Pas de concurrence organisée sauvagement par la direction de l’Alliance et par Carlos Ghosn donc.

L. VDA. : Non, au contraire, on met plutôt l’accent sur les synergies à trouver. On veut partager nos plateformes, mais avec des expressions stylistiques différentes dessus. Comme ça, on s’aide, on partage des investissements considérables, et on peut gagner plus chacun. C’est un scénario gagnant-gagnant. Au lieu de travailler ensemble pour se séparer, on travaille ensemble pour se rapprocher et trouver des synergies.

Q. : Parlons véhicules électriques: la Twizy et la Zoé, est-ce vous ?

L. VDA. : Twizy, c’était déjà fait. Zoé, j’ai juste voulu retoucher la face avant pour qu’elle s’installe bien dans la nouvelle identité de Renault. A mon arrivée, la voiture était totalement faite.

F.M. : A ce sujet, la Fluence n’a eu droit à aucune modification esthétique.

L. VDA. :  On a fait quatre voitures pour voir ce qui marche, et ce qui ne marche pas. Alors, après un certain temps, je pense qu’on fera un bilan pour décider de ce que l’on veut, de ce que l’on va retenir, et de ce qui va continuer.

F.M. : Comment arrive-t-on à combiner un programme aussi compliqué que Twingo III avec la nécessité de convenir avec les équipes de Smart pour leur ForFour ?

L. VDA. : C’était super qu’une entreprise comme Daimler souhaite travailler avec nous. Ils ne le font pas quand ils n’en ont pas envie. J’ai trouvé que c’était un bon signe de respect. On avait une architecture super intéressante à moteur arrière, avec des roues repoussées dans les coins, ce qui nous donnait à tous les deux des opportunités. On a partagé quelques éléments, surtout sur la plateforme avec l’empattement et les dimensions, mais lorsque les deux voitures seront sorties, je vous demanderai quelles sont les pièces communes, et je pense que ce sera difficile de les trouver!

La première question que Gordon Wagener (Directeur du Design Industriel de Daimler, NDLA) m’a posé était : ‘quelle est votre stratégie design ?’ Cela tombait au bon moment puisque je venais de peaufiner la stratégie design ! Nous avons donc pu discuter, nous mettre d’accord, et décider où on allait faire un travail commun et où nous allions faire des choses différentes.

F.M. : Vous avez donc travaillé de façon conjointe pendant de longs moins plutôt que de simplement fournir la plateforme ?

L. VDA. :  Ils avaient commencé de leur côté, nous du nôtre. Puis j’ai visité Daimler plusieurs fois, Gordon nous a rendu visite plusieurs fois aussi… D’ailleurs c’était plus fun pour lui de venir à Paris que pour moi d’aller à Stuttgart ! On s’est vu régulièrement, et je pense que nous sommes tous les deux très contents du résultat.

F.M. : Comment arrive-t-on à imaginer le futur de l’entreprise Renault, alors que Carlos Tavares vient a quitté ses fonctions au mois d’août ?

L. VDA. : Je ne fais pas de stratégie pour deux mois : je pense une stratégie pour durer, un design de calandre pour longtemps, alors l’arrivée ou le départ d’un chef est dommage, surtout quand on se sent très bien avec. Nous avions de très bons rapports, mais la stratégie avait en grande partie été mise en place avant son arrivée. Il l’a soutenue, d’autant qu’il le pouvait, et je sais que ça continuera après lui car le nouveau dirigeant a lui aussi envie de la soutenir. Je ne vois donc pas de danger.

“La vie, c’est un cercle, une spirale”

F.M. : Et qu’avez-vous prévu après la marguerite du “Cycle de la Vie” ?

L. VDA. : La marguerite est en train d’influencer une génération complète de voitures. La plus grande part est en train de sortir entre 2014 et 2016. Je trouve donc que c’est encore trop tôt commencer une nouvelle “marguerite” demain. Nous n’avons pas besoin de changer de génération. La marguerite m’a bien servi pour raconter une histoire dans le temps, pour montrer le côté généraliste de Renault, et pour petit-à-petit dévoiler plusieurs aspects de Renault. C’était une belle histoire, les gens à l’intérieur de Renault l’ont aimée. C’était aussi apprécié par la presse, et par le public, alors je voudrais continuer avec l’idée de marguerite. Je pourrais imaginer dans deux ou trois ans, quand nous préparerons la prochaine génération, que l’on recommence avec une nouvelle marguerite, parce que finalement la vie est un cercle, c’est une spirale, qui continue.

F.M. : Merci d’avoir répondu à nos questions, M. Van Den Acker.

Cette interview fut menée avec Arnaud L. du site (A.L. devant ses questions),  ainsi que de Thibault Fagu, Ulrich Adelaïde, et Yves Sinno dont les questions apparaissent précédées de “Question” ou “Q”. En toute fin d’entretien, Laurens Van Den Acker confiera que la voiture qu’il aimerait conduire est “la prochaine Alpine”. Nous aurons, espérons-le !, l’occasion d’en reparler avec lui.

Retrouvez prochainement un récapitulatif des véhicules exposés à l’Atelier “Color Manifesto” sur Blogautomobile.

Crédit photographique : Arnaud L. et François Mortier pour BlogAutomobile.fr
Remerciements à Andréa Arima pour son invitation et sa disponibilité.

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