A moins d’avoir vécu au fond d’une grotte sans Wi-Fi ces trois dernières années, vous êtes au courant que Tesla dispose désormais d’un modèle grand public : la Model 3. Après avoir testé de façon assez…extensive la Model S puis le Model X, il était temps pour moi de mettre le grapin sur celle qui démocratise l’accès à la marque californienne. Avec une question à l’esprit : la magie Tesla est-elle toujours présente sur une voiture débutant à moins de 45 000 € ?
S’il y a bien une chose à laquelle j’essaie de me tenir quand j’écris mes essais, c’est de juger la voiture en tant que telle, dépourvue de tout ce qui pourrait interférer entre elle et moi. La médiatisation du modèle, l’image de marque, son exclusivité ou que sais-je encore ne sauraient influer mon avis – du moins c’est ce que m’efforce à croire. Et je pense que ça n’aura jamais été aussi difficile qu’avec la Model 3. L’insupportable hystérie autour de la mise en production de la voiture (il faut le dire savamment orchestrée par Musk lui-même) m’avait presque dégoûté de la petite Tesla… Mais pourtant, me voilà, un mardi matin pluvieux, avec une Model 3 blanche à mon entière disposition pour les vingt-quatre prochaines heures. Bien.
On va commencer par tourner autour. La Model 3 ne m’est pas inconnue et vous de même, puisque j’étais parti voir un des premiers exemplaires ayant atterri sur le sol français en décembre dernier. J’aurai le même avis que lorsque je l’ai vue la première fois : la Model 3 n’est peut-être pas un canon de beauté mais est très loin d’être laide. En d’autres termes, elle n’a pas l’élégance innée d’une Model S mais reste tout de même agréable à regarder. Peut-être qu’une ligne de toit un peu plus affûtée aurait apporté un peu plus de dynamisme au profil mais bon, il est trop tard pour revenir dessus. A part ça, les porte-à-faux quasi-inexistants, le capot court et bas et l’absence de calandre interrogent tout de même les passants : ils ont bien compris que cette voiture était différente des autres. Ah si, un dernier détail : la trappe occultant la prise de recharge se déploie automatiquement lorsqu’on la presse…ou lorsqu’on dirige un jet d’eau sous haute pression dessus. Attention dans les stations de lavage !
On va en revanche passer beaucoup plus de temps à parler de l’intérieur. Pourquoi ? Parce qu’il est vide. Enfin si, il y a un volant, deux sièges, une banquette, deux commodos, un bouton warning, quelques prises USB, un écran…et c’est tout. Et je suis sérieux : il n’y a rien d’autre. Pas d’aérateurs, pas de compteurs, pas de levier de vitesse, pas d’autoradio, pas de frein à main, pas de commande de clim, pas de boutons, de molettes, de palettes ou de leviers, pas plus de trace d’un quelconque Advanced Virtual Smart i-Cockpit Machin Truc. Rien, vous dis-je. Mais où donc se cachent toutes les fonctions et tous les équipements disponibles sur la moindre Clio à 20 000 € ?
Eh bien tout ce petit monde se cache dans la seule chose qu’on voit lorsqu’on ouvre la porte (via un mécanisme inspiré des Aston Martin, très élégant et aisé à prendre en main) : le gigantesque écran central flottant, posé sur la planche de bord -qui, pour le coup, mérite totalement le terme de planche de bord ; il y a même une très jolie langue de bois qui la parcourt de part en part. Un écran pas aussi démesuré que ceux en format portrait de 17’’ des Model S & X, certes, mais avec ses 15’’ orientés paysage, il atomise tout de même absolument toute la concurrence. Toutes les fonctions d’une auto moderne, donc, regroupées dans un seul et même écran. Voilà qui nous force à nous poser cette question : de quelles informations avons-nous réellement besoin lorsqu’on conduit une voiture ?
Des informations de conduite, d’abord. Pas de problème : vitesse, powermètre, odomètre, autonomie & co sont présents de façon continue sur le premier tiers vertical de l’écran. La clim ? Les sièges chauffants ? Accessibles tout le temps, en bas. Ensuite, ça va dépendre de ce que l’on fait. La carte Google Maps fait office d’écran d’accueil et il suffit d’un bouton pour lancer la navigation vers une adresse ou une station de charge. La musique est accessible d’une touche et peut se placer en raccourci en bas de l’écran. Le reste, moins utile et/ou plus pointilleux, se cache dans l’onglet représenté par la petite Model 3 de face. Qu’en retenir ? Que c’est globalement archi bien foutu. C’est ergonomique, bien pensé, et surtout ultra réactif.
Après, j’aurai quand même quelques critiques : l’intérêt d’avoir un grand écran format portrait sur les Model S & X était de pouvoir caser deux types d’informations sur le même affichage (avec toujours un écran derrière le compteur pour afficher vitesse, odomètre etc). Sur la Model 3, impossible : ce sera ou bien la navigation ou bien la consommation ou bien l’affichage détaillé des médias, et ainsi de suite. Dommage. Peut-être qu’un affichage tête-haute aurait permis de limiter les dégâts ? Et dommage également (mais c’est plus pour se toucher la nouille qu’autre chose) que la boîte à gants ne s’ouvre qu’après deux clics sur l’écran. Qu’est-ce qu’il y a de mal à proposer une gâchette sur le couvercle ? Dernière chose, concernant les molettes sur le volant : si elles sont dénuées d’indications, c’est qu’elles sont multi-usages et leurs fonctions dépendent de ce qui est affiché sur l’écran. Elles peuvent donc augmenter le volume du son, changer de piste, régler la profondeur du volant, l’inclinaison des rétroviseurs, la distance avec la voiture de devant et bien d’autres choses encore. Pour être très honnête avec vous, c’est encore assez bordélique dans ma tête mais je suis à peu près sûr que ce n’est qu’une question d’habitude. En gros, si je devais résumer ma pensée, je dirais que je préfère le système “écran central portrait + compteurs numériques” de la Model S mais que, faute de mieux, on s’accorde plutôt très bien à la solution apportée par la Model 3. Un beau challenge réussi d’une bien belle manière.
Sinon, que dire d’autre à propos de cet habitacle ? Ça va être vite fait… Les sièges avant, au dessin très simple, auraient gagnés à proposer quelques centimètres supplémentaires de longueur d’assise (ou, mieux, d’être réglables à ce niveau). Grâce à la lunette arrière qui se poursuit jusqu’au milieu du toit (je n’imagine pas le cauchemar à remplacer), la banquette arrière est très accueillante au niveau de la tête, des coudes ou des genoux mais souffre du même symptôme que la Model S : elle est implantée trop près du sol, ce qui oblige à voyager les genoux un peu trop proches de la mâchoire. A part ça, et c’est une grande nouveauté pour une Tesla, les aspects pratiques sont réellement présents, avec des vide-poches dans chaque contre-porte, des prises USB pour les passagers avant et arrière et une grande console centrale bien agencée. Allez, chipotons un peu : la boîte à gant aurait mérité d’être un peu plus profonde. On a beau accéder au coffre arrière par une malle et non un hayon, l’ouverture est suffisamment dégagée pour y mettre ce que l’on veut sans problème. Le coffre avant, lui, accueille sans broncher un bagage cabine et deux petites languettes sont là pour y bloquer vos sacs de courses. Des concurrents pourraient en prendre de la graine (c’est à toi que je pense, Audi, c’est à toi que je pense). Dernière chose : je trouve le volant franchement laid et sa jante exagérément épaisse -c’est bien d’avoir une jante épaisse, mais il ne faut tout de même pas abuser…
Bon, il est temps de prendre la route. On déverrouille la Model 3 avec son téléphone, on s’installe, pied sur le frein, sélecteur sur D, c’est parti. Comment remplir les vingt-quatre prochaines heures ? En partant découvrir deux spots qui piquaient ma curiosité depuis un petit bout de temps : le rail de test de l’Aérotrain, au-dessus d’Orléans, et la route solaire, inaugurée en grande pompe fin 2016 par notre Ségolène Royal nationale dans le fin fond de l’Orne. En faisant partir ma boucle de chez Tesla, dans l’Ouest parisien, Google m’indique que mes pérégrinations s’étaleront sur un tout petit peu moins de 400 km. Faisable ? Sûrement : même si ces pignoufs de chez Tesla se bornent à ne pas communiquer la capacité des batteries de la Model 3, ils livrent avec plaisir les chiffres d’autonomie WLTP : pour la version Performance de mon modèle d’essai, on me promet 530 km avant de tomber en rade. Laaaaaarge. (et si vous voulez vraiment connaître la capacité de la batterie des Model 3 « Grande Autonomie » et Performance, une recherche Google devrait vous donner un résultat autour des 70/75 kWh).
Les premiers kilomètres sonnent l’arrivée des premières impressions. La direction, un chouille collante en manœuvres, se révèle agréablement directe et souple en ville. Si la visibilité vers l’avant est excellente, grâce à la planche de bord extrêmement basse, la vision périphérique n’est pas aussi glorieuse : les montants A sont fort épais (rançon d’une sécurité à toute épreuve) et la lunette arrière s’arrête bien haut. Dans le dernier cas, le salut vient peut-être de la caméra de recul (à l’impressionnante définition), activable à n’importe quelle vitesse. Enfin, terminons par le confort : c’est assez raide. Soulignons ici que notre version Performance est équipée de grosses jantes de 20’’, d’une caisse rabaissée et de suspensions raffermies : toutes les autres Model 3 devraient se montrer bien plus accueillantes à ce chapitre -à tester ! C’est ferme, donc, mais pas inconfortable pour autant, grâce aux sièges avant bien dessinés qui maintiennent agréablement le dos et préservent nos petites fesses des gros cahots. Après 22 kilomètres de conduite purement urbaine, l’ordinateur de bord m’indique une consommation moyenne de 12,1 kWh/100 km, un résultat assez bluffant étant donné les 450 ch de la bête.
Ah oui, parce que la Model 3 Performance annonce bien 450 ch et 640 Nm de couple. Le résultat ? Nous allons l’expérimenter en sortant du péage de St Arnoult. 3.4 secondes après avoir récupéré mon ticket, me voilà satellisé à 100 km/h, de quoi griller la politesse à -par exemple- la toute dernière Porsche 911 Carrera S (3.7 s, han la grosse naze). Les sensations sont typiquement Tesla : une poussée qui mérite les qualificatifs de violente, brute, immédiate et une adhérence absolument phénoménale, sans faille.
Ce qui est faillible, en revanche, c’est un équipement qui m’avait jusque là bluffé sur les autres Tesla dont j’avais pris le volant : l’Autopilot. Enfin, pas tout l’Autopilot, seulement une fonctionnalité bien particulière : celui du dépassement automatique. En gros -et en théorie-, lorsque vous voulez doubler, vous enclenchez votre clignotant, la voiture analyse son environnement et, si la voie est libre, procède au changement de file à votre place. Ça marche très bien…lorsque l’autoroute est déserte. Mais lorsque l’environnement devient un peu plus chargé, le système manque de balls : dès qu’une voiture arrive un peu trop vite ou est un peu trop proche au goût du système, hop ! il annule l’opération. Et c’est souvent assez rageant parce que nous, si on a enclenché le clignotant, c’est parce qu’on jugeait le dépassement tout à fait réalisable. Je vois d’ici les communicants de Tesla me faire de gros yeux alors je me dépêche de préciser que cette fonctionnalité n’est encore qu’au stade bêta et qu’elle devrait donc logiquement progresser au fil du temps via les mises à jour de la voiture, et que le reste de l’Autopilot est franchement sans reproche. Le système de conduite semi-autonome du DS 7 de cet hiver m’avait bluffé mais c’est en prenant le volant de la Model 3 que je me suis rendu compte à quel point la technologie Tesla surpasse les autres en termes de prédiction, de douceur, de mise en confiance. Chapeau bas.
Sinon, c’est comment une Model 3 sur autoroute ? Sans grande histoire. Ah si, les bruits ambiants pourraient être un peu plus contenus, mais bon, à part ça, RAS. Pas grand-chose non plus à raconter sur les départementales, où la Tesla se comporte comme une Model S : les reprises sont ébouriffantes, le grip sans fin, l’agilité globalement présente mais il faut bien faire attention à ne pas la prendre pour une voiture de sport : avec 1 847 kg sur la balance, on ne peut pas dire que la Model 3 fasse de l’anorexie, et ça se ressent dans les virages. Enfin, et encore une fois à l’image des autres Tesla, le frein régénératif est très puissant mais très aisément contrôlable par la modulation de la pression de votre pied sur l’accélérateur, tandis que le « vrai » frein mécanique, actionné par la pédale de gauche, se révèle d’un feeling désarmant de naturel.
Mais on parle, on parle, et les kilomètres défilent -et l’autonomie baisse inexorablement. Si on avait une voiture électrique « normale », ça aurait été source de contraintes, voire de stress (la seule borne rapide multi-standard rencontrée sur notre périple, au bord de la route solaire, nous ayant gratifié d’un superbe refus d’obstacle devant nos malheureuses tentatives de brancher la voiture). Heureusement pour nous, nous avons une Tesla, et qui dit Tesla dit Superchargeurs. Donc, hop, une pause de 15 minutes pour digérer notre repas aux bornes d’Orléans, et une seconde pour clore notre périple à Orgeval. Dans l’état actuel des choses, les 120 kW promis par la marque dans le merveilleux monde de la théorie est loin d’être le cas en pratique : nous aurons chargé à 75 kW à Orléans et à un très décevant 30 kW à Orgeval. Mais ça va changer avec les versions v3 de ces superchargeurs ! Je vous la fais courte : 1) une puissance poussée à 250 kW pour les Model 3 et 145 kW pour les autres 2) fini les divisions de puissance entre les différentes bornes d’une station 3) une très astucieuse mise en chauffe de la batterie avant d’arriver à une station, histoire de se brancher avec un pack chaud comme la braise, prêt à encaisser directement un max de watts. Hâte de voir ça en vrai ! En attendant, j’aurai consommé une moyenne de 17,4 kWh/100 km sur les 582 km de mon essai, ce qui est sacrément bas étant donné la typographie des routes empruntées (un mélange d’autoroute et de petites départementales normandes) et surtout vu le fait que je n’aie pas du tout, mais alors pas du tout fait attention à la conso.
Allez, il est temps de parler sousous. Avec ses 62 800 € de base bonus déduit, on ne peut pas dire que c’est avec la version Performance de la Model 3 que Tesla va réussir son objectif de démocratiser son offre. En revanche, la gamme Model 3 s’ouvre aujourd’hui avec la version « Standard Plus » à 42 600 €, en attendant la version Standard « tout court », plus dépouillée en termes d’équipement, qui devrait abaisser encore un peu plus la note (et qui, fun fact, est complètement boudée par le public américain). Pour 42 600 €, donc, vous avez une batterie d’environ 50 kWh, une autonomie de 415 km WLTP, un 0 à 100 km/h expédié en 5,6 s, le système Autopilot « de base » (comprenez incluant le régulateur adaptatif et l’aide en maintien en voie mais excluant tout ce qui est changement de voie et améliorations futures) ainsi que des sièges chauffants & électriques réglables sur 12 voies. Mais, et c’est peut-être le plus important, vous avez une Tesla.
Dans le coin dans lequel habitent mes parents (le Nord-Est des Yvelines, pour ne pas le citer), il existe quatre boutiques de La Pizza du Dimanche Soir. Son principe ? Proposer des produits italiens de la meilleure qualité. Vins, pâtes, accessoires de cuisine et, comme son nom l’indique,…des pizzas. Mais quelles pizzas, mes amis. Des ingrédients à la saveur inimitable, une pâte fine et croustillante, des recettes originales mais tout le temps réussies, bref, c’est le carton plein. Après, il y a quelques contreparties. D’abord, il faut vouloir/pouvoir mettre 15 € dans une pizza (même si le rapport qualité/prix est imbattable et qu’une pizza chez Domino’s vous reviendra rapidement au même tarif), mais il faut également prendre en compte que la maison ne livre pas et que les pizzas vous sont servies crues -pardon, prêtes à cuire. Du coup, pour en profiter, il faut vivre à proximité d’une boutique et avoir un four chez soi, ce qui élimine mathématiquement un certain nombre de foyers. Mais si vous êtes dans les clous, foncez ! Ce sera peut-être (et je suis sérieux) la meilleure pizza de votre vie.
De mon côté, j’ai dû quitter le domicile parental pour aller m’exiler à l’exact opposé de la Région Parisienne, et en bas de mon appartement se trouve une pizzeria. Pizzeria que j’ai choisi de tester un soir où mon réfrigérateur se trouvait désespérément vide et où la flemme d’aller au supermarché l’avait emporté sur ma volonté de me cuisiner un petit repas détox. Je n’aurai pas été déçu : alors, certes, la pizza est à 5 €. Mais entre la pâte en carton, la garniture plate et fade et le fromage (le fromage ! mon Dieu !) qui ressemblait plus à du chewing-gum qu’à autre chose, l’expérience culinaire a rapidement tourné au vinaigre Eco+. Le point commun avec ces deux plats ? Ils se reconnaissent tous deux au nom de pizza. Vous voyez où je veux en venir ?
Eh bien voilà, je me confesse : j’avais peur que la Model 3 soit une mauvaise Tesla. Une Tesla qui n’aurait que de Tesla son nom. Et je me suis trompé. La Model 3 est une vraie Tesla, de celles qui vous mettent des étoiles dans les yeux, qui transporte avec elle un peu de magie venue d’on ne sait trop où. Est-ce qu’elle est moins chère qu’une Model S ? Oui. Est-ce que ça se ressent ? Oui. Est-ce qu’elle se donne l’air d’une Tesla au rabais ? Non. Au contraire, elle fait envie. Elle est sexy, sans oublier d’être pratique, polyvalente, efficace dans ce qu’elle fait. Elle n’est pas parfaite pour autant, entendons-nous bien là-dessus. Mais, en plus de toutes ses qualités, elle en a une assez particulière : celle d’être pour l’instant la seule familiale compacte électrique sur le marché – la Polestar 2 n’arrivant que l’année prochaine (si elle arrive en France, ce qui n’est toujours pas acté) et la BMW i4 pas avant 2021. Un boulevard s’ouvre pour la Tesla Model 3, et ce n’est pas pour ne déplaire.
Un grand merci à Charles & Clément pour le prêt ainsi qu’à mon cher Ugo pour les superbes photos.
Crédits photos : Ugo Missana
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