Le “vilain petit canard” Matra 530 a marqué les débuts de Matra dans la construction automobile.
Matra, une belle aventure automobile portée par la volonté de son patron : Jean-Luc Lagardère. Non content d’être un industriel réputé dans le milieu de la défense, il a souhaité aller au bout de ses rêves, ce qui est plus facile lorsqu’on a les moyens financiers d’y arriver, il faut bien avouer. Et son rêve à lui, c’était l’automobile. Arrivé à la tête de l’entreprise en 1962, il ne tarde pas à la diversifier, d’abord dans l’aéronautique puis, ce qui nous concerne plus, dans l’automobile par le rachat de la société René-Bonnet en 1964. René-Bonnet produisait alors la très intéressante berlinette Djet, concurrente des Alpine A110.
Mais elle se vend mal, ce qui précipite la perte de la petite société et la vente de ses actifs à Matra. C’est sur la base de cette Djet que Matra Sports lance dans l’urgence son premier modèle : la… Matra Djet. Grosse revue de détails pour cette Djet version Lagardère (moteur Renault plus puissant, carrosserie allongée et élargie, nouvelles prises d’air), qui perdra bientôt son “d” pour devenir Jet tout court. Mais un nouveau modèle bien plus ambitieux est déjà en préparation dès 1965 : la M530.
La M530, qui reprend le nom du missile R530 fabriqué par la maison mère, repart d’une base neuve. Philippe Guédon, l’ingénieur ex-SIMCA en charge du projet, adopte une architecture à moteur central arrière ainsi qu’une disposition 2+2, car tel est le cahier des charges rédigé par Jean-Luc Lagardère lui-même. Difficile de concilier les deux, mais il y parvient en utilisant un moteur très court : un original 4 cylindres en V de 1,7 l repris de la Ford Taunus 17M grâce à des accords conclus avec Ford prévoyant aussi la distribution de la 530 dans le réseau Ford (promesse restée sans suite). Le châssis poutre de la Djet est oublié, et la 530 reçoit une carrosserie en panneaux de résine epoxy agrafés sur une structure métallique formant un coffrage rigide. Choix de la légèreté : la carrosserie seule pèse 64 kg, pour un poids total de 935 kg. Le dessin est pour sa part confié à Jacques Nochet qui s’inspirera, selon la légende, de la Corvette Stingray (la C2) mais aussi de la Matra MS620 qui s’illustre alors en course d’endurance. Il faut en effet que l’acheteur puisse s’identifier aux pilotes de course et que les voitures portant le nom de Matra gardent un certain air de famille.
La « voiture des copains » de Jean-Luc Lagardère sort après seulement deux ans de conception en 1967 et fait alors sensation. D’allure sportive, son design est plutôt inaccoutumé, assez torturé. Les phares sont escamotables (une première en “grande série” française) et le toit amovible en deux parties permet de la transformer en targa. Philippe Guédon est même parvenu à la pourvoir d’un coffre de 215 l, belle prouesse ! Voulue par Lagardère comme une GT pour jeune couple avec enfants, la M530 quand même bien du mal à cacher son manque de puissance et de « noblesse ». Le V4 Ford développe 70 ch à ses débuts et emmène la 530 à la vitesse de 172 km/h, le 0 à 100 km/h étant abattu en 15,6 secondes. Mine de rien, les performances sont plutôt bonnes pour l’époque, grâce au poids contenu et à son aérodynamisme efficace (Cx de 0,34).
Mais la 530 A (premier modèle de série) souffre de plusieurs problèmes. Tout d’abord son prix est trop élevé pour la clientèle visée. Les jeunes “copains” vont avoir du mal à réunir les 16 190 F demandés en 1967 au lieu des 10 000 F prévus. A titre de comparaison, une 530 LX (lire ci après) coûtera 21 500 F en 1971, contre 24 500 pour une Porsche 914/4, 17 200 F pour une R12 Gordini ou 20 750 F pour une Fiat 124 Sport 1600. Ensuite, sa fabrication a posé de nombreux problèmes de qualité. Initialement, le châssis était construit chez Carrier à Alençon, et l’assemblage final de la carrosserie était réalisé chez Brissonneau et Lotz à Creil. De nombreux défauts de peinture, d’assemblage et de qualité générale apparaissent, poussant Matra à rapatrier l’assemblage dans sa propre usine de Romorantin au bout de 2 ans. La carrosserie en epoxy sera par la suite remplacée par du polyester sur la LX. Ensuite, son esthétique plutôt particulière qui ne fait pas du tout l’unanimité (bien qu’amateur de bizarreries mécaniques, j’avoue avoir moi-même un peu de mal).
Matra, fraîchement auréolé d’un titre de Champion du monde de F1 en 1969, va réagir. Tout d’abord, des accords signés avec Simca-Chrysler vont enfin permettre une diffusion de la voiture sur le plan national. Puis, la 530 LX dévoilée à Genève en 1970 se voit retouchée esthétiquement par le designer Giovanni Michelotti. Pas de lourdes modifications : une nouvelle calandre intégrant des butoirs de pare-chocs qui abandonne le bizarre tube chromé horizontal, des baguettes chromées et c’est à peu près tout. La nouvelle Matra-Simca M530 LX, comme il faut alors l’appeler, sera suivie en 1971 d’un dérivé dérivé plus abordable sous la forme de la SX, défigurée par des phares fixes ronds et dépourvue du toit targa et de ses places arrières.
Quelques aménagements mécaniques ont par ailleurs été effectués dès 1969 avec le montage d’un carburateur double corps Solex qui ajoutera 5 ch au petit V4. Une très prometteuse version compétition élargie équipée d’un V6 Ford fut aussi étudiée et construite à l’état de prototype. Son développement s’arrêtera net suite à l’accident d’un exemplaire piloté par Henri Pescarolo. L’adaptation d’un moteur Simca est un temps envisagée, mais ce projet de Matra 540 est arrêté faute de place dans l’étroit compartiment moteur. Une solution technique impliquant le montage d’un renvoi de boîte aurait en effet fait exploser les coûts de production.
Il est surprenant de constater que malgré son physique difficile, la 530 a attiré quelques designers. En premier lieu Michelotti, déjà responsable du léger restylage de la LX, qui eu envie d’aller beaucoup plus loin et s’est procuré un châssis de M530 pour proposer sa vision : la Laser.
Présentée à Genève en 1971, l’étude de Michelotti transfigure totalement le modèle original mais triche quelque peu avec le concept en supprimant les places arrières. Forcément, c’est plus facile comme ça ! Le dessin quitte les errements de la fin des années 60 et passe au wedge design (ou dessin en coin), déjà largement défriché par Bertone (la Carabo de 1968 par exemple) ou Pininfarina (la Modulo de 1970). Portes papillons, grande lunette arrière ouvrante, la Laser est extrêmement moderne et pourtant ressemble à un modèle de série qui aurait pu être produit. Le moteur reste le V4 Ford, mais l’habitacle subit une bienheureuse mise à jour, conservant l’original volant ovale de la 530 d’origine. D’abord présentée en jaune, la Laser sera repeinte en gris pour le Salon de l’Auto de Montréal en 1972. Plusieurs retouches y furent apportées, notamment pour les passages de roue, très ouverts et chromés à Genève, et plus fermés et noirs à Montréal. D’abord exposée dans un musée, elle disparut totalement pendant près de 10 ans avant de surgir lors d’un concours d’élégance à Tokyo en 2009. Elle a depuis à nouveau disparu, tel le monstre du Loch Ness ! Evidemment, Matra ne tint pas compte de la Laser pour un remodelage plus profond de la 530, car son renouvellement était déjà en route et Michelotti arrivait bien trop tard.
Mais avant Michelotti, un autre grand carrossier s’était attaqué à la 530. Vignale a en effet réalisée en 1968 une jolie berlinette jaune présentée à Genève et signée Virginio Vairo. Très latine dans son exécution, la Vignale Matra M530 Sport concilie avec élégance les contraintes techniques de la 530. Contrairement à la Laser, elle reste bien une 2+2. La voiture fut repeinte en jaune et rouge pour le salon de Turin, fut visiblement grise à un moment de sa vie, avant de finir tout en rouge uni. Elle est actuellement propriété du Musée Matra où elle est exposée et a été vue également au Concours d’Élégance de Chantilly en 2014.
Création plus artisanale par un designer de chez Renault, la Matra 530 de Camille Diebold a été dessinée en 1973, sa construction s’achevant en 1975. Changement de ligne radical avec une inspiration wedge design. Je ne peux m’empêcher de lui trouver une certain ressemblance avec la future Bagheera (qui n’était pas encore sortie). Elle figure aujourd’hui au musée automobile de Reims.
Enfin, un modèle spécial de 530A sur la base d’un châssis de présérie fut décoré en 1967 par l’artiste Sonia Delaunay à la demande de Jean-Luc Lagardère dans le cadre d’une vente caritative. Elle est elle aussi désormais propriété du Musée Matra.
La production de la 530 s’arrête en 1973, avec des chiffres plutôt décevants : seuls 9606 exemplaires ont trouvé preneur. Trop décalée esthétiquement, sous motorisée, trop chère et mal distribuée à ses débuts. Ce n’était pas le bon produit au bon moment, mais un premier galop d’essai pour une marque encore toute jeune. Matra et Philippe Guédon planchent déjà sur le futur avec l’innovante Bagherra, coupé 3 places bien plus consensuel, qui sera le premier vrai succès commercial de la marque. Au menu : wedge design et moteur Simca en position centrale arrière. Mais ceci est une toute autre histoire.