Du concept à la production : Mako Shark

Tiiiiin tin

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Tiiiinnnnnn tin

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Tiiiinnnnnn Tin TiiiintintiiiitinTinTinTinTin. 

Vous l’aurez sans aucun doute reconnu grâce à ma brillante imitation : les Dents de la mer ! Car nous allons bien parler de requin aujourd’hui, et pas de n’importe lequel, car celui-ci a un moteur V8 : le requin Mako, ou Mako Shark pour nos amis d’outre Atlantique.

1961 : les USA ont libéré l’Europe occidentale depuis 15 ans, l’essence ne coûte rien et la vie est belle (comment ça la guerre froide ? quelle guerre ?). General Motors pense néanmoins à l’avenir, parce qu’il le faut bien et que l’avenir ça fait vendre. Et l’avenir, ce sont aussi des concept cars pour tester le public (ou pour délirer complètement suivant la dose de bourbon ingérée par les designers).

Les constructeurs américains ont pris l’habitude depuis les années 30 de changer leurs modèles tous les ans, inventant là le doux concept d’obsolescence programmée pour pousser les ventes :

– Bon sang Brenda, on ne va quand même pas continuer à rouler avec notre modèle 1956 quand Larry a déjà la 1957 ! Tu imagines ce que vont penser les voisins ?

– Oh oui Bob, achetons la en rouge, c’est la couleur de l’année ! On la prend en cabriolet ?

La plupart du temps, il suffit de changer quelques baguettes chromées, d’ajouter des phares ou quelques bricoles et hop ! Nouveau modèle 1957 ! Voici par exemple les changements radicaux des Chevrolet 1955 à 1957. Stupéfiant, non ? C’est la même voiture avec quelques éléments de décorations modifiés et quelques options moteur.

Chevrolet dispose aussi dans sa gamme depuis 1953 d’un OVNI. Une petite voiture de sport 2 places à carrosserie en fibre de verre : la Corvette. Cas unique dans la production américaine de l’époque, elle fut créée pour contrer les roadsters britanniques, Jaguar et MG notamment, qui commençaient à avoir un certain succès sur le nouveau continent. Elle a aussi commencé sa vie en tant que concept car, mais ce n’est pas le sujet du jour, ne nous égarons pas.

Corvette 1953

Les débuts commerciaux de la Corvette sont difficiles et les ventes ne décollent que très lentement : 300 en 1953, 3640 en 1954, 700 en 1955 (hé oui, il fallait écouler les stocks de 1954). N’importe quel commercial aurait déjà tiré un trait sur le produit et serait passé à autre chose. Mais la petite bête s’accroche et en 1956 un gros restylage avec moult chromes et une peinture bicolore lui permet enfin de décoller dans les ventes. A quelques détails près, la première génération de Corvette est figée. Elle porte le nom de C1.

Bon, c’est pas tout ça, mais après la C1, il faudra faire la C2, non ? C’est que Bob et Brenda vont sûrement se lasser de leur voiture de l’an dernier : « Mon Dieu Bob, c’est insupportable ! ». C’est là qu’entre en scène un des premiers patrons du design de GM : Bill Mitchell.

Entré chez GM en 1935 au département « Art & Colors », Bill Mitchell a gravi petit à petit les échelons de la société pour devenir Directeur du Style en 1954 et finalement Vice Président de GM, section du Style en 1958, qu’il ne quittera plus jusqu’en 1977 pour une retraite bien méritée. Sous son impulsion, GM, et notamment Chevrolet, vont commencer à étudier des modèles aux lignes moins voluptueuses, plus compactes (pour des normes américaines cela dit) et même des modèles révolutionnaires tels que la Corvair à moteur arrière. Un prototype fut créé avec une architecture nouvelle dès 1957 : la Q Corvette. Du point de vue style, la ressemblance avec la future Corvette C2 est frappante : bossages d’ailes, proue et poupes effilées, roues semi cachées dans la coque. Quasiment tout y est ! Techniquement, l’innovation est là aussi présente : moteur avant, boîte à l’arrière pour équilibrer les masses. L’inspiration du style viendrait des barquettes de courses Abarth dessinées par Pininfarina, tout au moins pour les bossages d’ailes. La Q Corvette n’ira pas plus loin, le projet est abandonné pour raison budgétaire, mais le dessin n’est pas perdu pour autant, vous allez le voir.

Stingray Racer XP-87

En 1957, les 3 grands constructeurs américains ont signé un accord avec l’Automobile Manufacturers Association (AMA) pour interdire toute utilisation des victoires en courses automobiles à des fins publicitaires et pour interdire la fourniture d’équipements spéciaux aux écuries de course. Si dans les faits, les constructeurs usèrent de plusieurs subterfuges pour continuer à fournir des pièces spéciales, le développement des modèles « sportifs » fut lui mis à l’arrêt… du moins officiellement. En 1959, Bill Mitchell continue à travailler sur la future Corvette C2, mais cette fois clandestinement. Et c’est avec 500$ de son argent de poche qu’il rachète le châssis de la Corvette SS, prototype de Corvette de course accidentée. Il fait dessiner en secret par Peter Brock un roadster très racé équipé de saute-vents et d’échappements latéraux. Il y incorpore également nombre d’éléments venant des carrossiers italiens, notamment la fameuse Disco Volante de Touring (n’oubliez pas de consulter cet excellent article sur ce carrossier !). La Stingray est très légère, à peine plus d’une tonne, grâce à sa carrosserie en fibre de verre et ses renforts en aluminium. Son moteur est un V8 de 315 chevaux.

Bill Mitchell arrive à faire passer aux yeux de sa direction son prototype pour une simple machine de test et, encore plus fort, à la faire participer à des courses et même à remporter le championnat SCCA en 1960 ! La XP-87 prendra une retraite bien méritée dans les mains de Bill Mitchell lui-même qui la fit modifier pour son usage personnel

Mako Shark XP-755

En 1961, le design de la future Corvette C2 est quasiment finalisé, mais GM veut tester la réaction du public (Bob et Brenda en tête !). Sans surprise elle sera très proche des lignes de la Q Corvette et de la XP-87. Mais il faut quelque chose qui marque, qui impressionne l’américain moyen, un vrai show car qui sera exposé dans toute l’Amérique. Selon la légende, l’illumination vint à Bill Mitchell lors d’une séance de pêche. Il aurait attrapé un requin Mako (Mako Shark, Isurus oxyrinchus, oui oui, du latin sur blogautomobile, nous ne reculons devant rien) et serait resté admiratif des couleurs et des « lignes » de la bête, au point de vouloir les dupliquer sur le prototype en cours de conception. C’est ainsi que naquit la XP-755 Shark (le préfixe Mako sera ajouté ultérieurement).

Il s’agit d’un roadster aux lignes fuselées, sur lequel vient se greffer un hard top à double bulle quelque peu incongru. Ce hard-top est lui directement repris du concept XP-700 de 1958 (qui lui restera heureusement sans suites !), une des marottes de Bill Mitchell qui y croyait dur comme fer. Sans doutes un peu trop de bourbon, Mr. Mitchell.

Les lignes générales étant déjà connues, l’aspect le plus intéressant de la Shark est sa peinture bicolore dégradée, reprenant l’apparence du requin. Toujours selon la légende, Bill Mitchell fit refaire le travail plusieurs fois à son équipe avant d’atteindre enfin le bon dégradé, celui du requin qu’il avait pêché et accroché dans son bureau. Les petits malins, usés de refaire encore et encore le même travail auraient triché en repeignant directement le requin à l’insu du patron !

D’autres gimmicks propres aux show cars sont disséminés par-ci par-là sur la voiture : pot d’échappement latéral avec collecteurs 4 en 1, rétroviseur périscope sur le hard top, ouïes de ventilations imitant les branchies d’un squale. Petit détail intéressant : la Shark n’a pas de phares !

Corvette C2

1963 : James Bond contre Dr. No sort enfin aux Etats Unis, un an après le reste du monde ! C’est avec un émoi non dissimulé que les américains découvrent Ursula Andress sortant de la mer sous le regard goguenard de Sean Connery. Premier film officiel de la série…. Heu, pardon, je m’égare.

Donc : 1963, sortie de la Corvette « C2 » baptisée Stingray, du nom d’une espèce de raie, poisson proche des requins (requin / shark, ça va, vous suivez dans le fond là bas ?). Reprenant quasi trait pour trait le dessin de la Q Corvette, le trait s’est affiné, en perdant heureusement les gadgets de la Mako Shark tels que les échappements latéraux. Elle a par contre gagné des phares qui, pour la première fois sur une voiture américaine depuis les années 40, sont rétractables. La lunette arrière est quant à elle séparée en 2 parties (split window), particularité du seul millésime 63. L’architecture mécanique reste classique : moteur V8 et boîte à l’avant, roues arrières motrices. Oubliée pour l’instant la boîte rejetée à l’arrière qui aurait pu équilibrer les masses de beau coupé racé.

La carrière de la C2 s’achèvera en 1967. Bien trop tôt à mon avis pour ce qui est la plus belle des Corvette (avis totalement partial). Elle sera remplacée par… la C3 (c’est bien, il y en a qui suivent) dérivée du concept Mako Shark II. Mais c’est une autre histoire, que nous verrons peut-être un jour.

Je vous laisse avec cette image bucolique de Bob et Brenda profitant enfin de leur superbe Corvette 1963 Convertible.

– Alors ma Brenda, je te l’avais pas dit que Larry serait jaloux ?

– Oh oui, Bob, et si tu voyais la tête des voisins !

Bob et Brenda (et la Corvette 1963)

La prochaine fois, retour en Europe !

Crédits photos : General Motors, MGM, Régis Krol

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