Pour clore cet essai du prototype Eolab, nous vous proposons une interview de son chef de projet, Laurent Taupin.
Ingénieur depuis 1991, M. Taupin a effectué la moitié de sa carrière dans l’informatique scientifique, et la seconde moitié chez Renault où il est entré en 2001 comme responsable des calculs châssis et trains roulants. Parti quelques années en Corée du Sud contribuer au développement de RSM (Renault Samsung Motors), il est revenu pour Super Alma.
François M. : Super Alma est un acronyme qui a servi de nom de code au projet Eolab : pourquoi en avoir changé le nom ?
Laurent Taupin : C’est le marketing qui est responsable de ce changement, mais il ne faut pas s’arrêter à ce qu’est le projet Eolab aujourd’hui. C’est un projet qui va continuer. Aujourd’hui, on ne fait qu’une présentation. Les innovations sont valider en détails, à industrialiser, puis il faudra passer en cadence les différents matériaux pour envisager la série. Ce sera la phase 2 de Super Alma.
F.M. : Rappelez-nous comment est né ce projet…
L.T. : C’est un projet qui a été lancé il y a deux ans. Je suis revenu en France en avril et c’est en septembre 2012 que le projet était mis sur les rails. Au départ, on a fait un appel au « massothon », pour réduire partout où c’était possible la masse ; puis un « aérothon » avec les ingénieurs aérodynamiciens. A tous, la question était simple : que proposez-vous pour enlever 1/3 du poids d’une Clio IV ? Cela a surpris [des équipementiers ont même confié : « on s’est demandé comment on allait faire parce que ça nous semblait impossible, mais ça nous a surtout amené à réfléchir différemment »], mais nos partenaires nous ont fait confiance. C’est un gage de sérieux et de pragmatisme, durant tout le projet, et à la fin, on a une centaine d’innovations pas toutes encore brevetées qui viennent du métier, qui correspondent à des visions techniques de gens qui conçoivent les voitures.
F.M. : Peut-on aller dès lors jusqu’à dire que l’Eolab est une voiture d’ingénieur ?
L.T. : Pas seulement, c’est aussi une voiture de designer. Elle n’est pas laide ! Et je remercie les aérodynamiciens et les designers pour leur travail. De plus, une voiture d’ingénieur par définition envisage toutes les solutions possibles, y compris les plus coûteuses. Sur Eolab, on a travaillé de concert avec le marketing et on a conservé tout ce qui peut la rendre vendable. Je dirais donc que c’est un sujet d’ingénieur plus qu’une voiture d’ingénieur.
F.M. : Vous parlez des aérodynamiciens, des ingénieurs, du marketing… Quels corps de métier ont été impliqués dans le projet ?
L.T. : Tous les corps de métier ont amené leur pierre, y compris le produit. C’est un projet qui a été réalisé au Technocentre à Guyancourt, et le lieu permet d’aller à l’essentiel. Les ingénieurs sont à une rue de l’atelier d’assemblage du proto, du coup ils visualisent concrètement l’évolution du produit fini. En réalisant la voiture, on a appris plein de choses qu’on ne voyait pas sur Excel ou sur les modélisations 3D. C’est ça qui est intéressant dans ce projet, de voir quelles incidences sont entrainés par les choix de l’ingénierie. C’est la première fois qu’on me donne un projet, en plus, la fiche de route spécifiait bien « carte blanche » pour baisser les émissions de CO2, c’était idéal !
F.M. : L’an passé, au même endroit, Peugeot nous avait permis d’essayer son prototype 208 Hybrid FE. Aujourd’hui, PSA expose des prototypes de voitures à 2,0 l/100, tandis que Volkswagen commercialise déjà le XL1. Quel regard portez-vous sur ces projets ?
L.T. : Il y a un point d’égalité fondamental : nous sommes tous astreints aux mêmes contraintes. Mais les méthodes sont différentes : je comprends la démarche de Peugeot, un peu moins celle de Volkswagen. PSA respecte l’objectif gouvernemental du 2,0l/100 km, et c’est une bonne idée que l’hybride hydraulique par air comprimé. Nous, nous avons décidé d’aller plus loin dans la démarche car, le lièvre, c’est Volkswagen. Le projet 1L, chez eux, ça fait plus de 10 ans qu’il est en cours, et puisqu’ils l’ont fait en prototype, ils le produisent en petite série, d’autant qu’ils ont les moyens, mais je ne comprends pas pourquoi avoir choisi une véhicule de 2 places, à 110 000 €… Cela doit sûrement leur apporter plein de choses.
F.M. : Du coup, avoir voulu réaliser 1,0l/100 km plutôt que 2,0l/100, c’est un défi posé à la concurrence pour la provoquer ?
L.T. : Avec les mêmes contraintes, et moins d’argent, Renault a donc voulu faire mieux que 2L et capitaliser sur l’électrique zéro-émission, qu’on maîtrise bien, parce que 2,0l/100 km c’est (presque) facile ! Nous on vent aller plus loin, pas pour fanfaronner mais pour éclairer plus loin, après 2020, le futur de l’automobile. En 2020 normalement il y aura des voitures à 2,0l/100 km et ça va changer beaucoup notre façon de fabriquer les voitures ; ces décisions impactent les usines, pour le long terme. Alors, décider de viser 1,0 l/100 km, c’est parce que plus on se met une contrainte forte, plus on doit choisir et éclairer loin les choix à prendre.
F.M. : Merci pour vos réponses M. Taupin.
Et un ultime bonus à ce triptyque sur le projet Eolab : des galeries de photos !
Le concept au Mondial de l’Automobile
Les photos officielles du concept-car Eolab
Le design du projet Eolab
Crédit photographique : François M. pour BlogAutomobile.fr, J. Ongkiehong
Lisez les précédents articles sur ce sujet :
Le projet Super Alma
L’essai du prototype Eolab