Renault, c’est 115 ans de sport auto, dans toutes les disciplines. Afin de fêter cet anniversaire, la marque nous a convié sur l’Autodrome de Montlhéry pour un événement assez unique en son genre.
A peine arrivé sur le circuit, je découvre plusieurs générations de F1 Renault abritées sous tente, accompagnées de la célèbre A442B ayant remporté les 24h du Mans 78, et d’une Formula E vue dernièrement au Grand E-Prix de Paris. Juste après, un échantillon plutôt représentatif des voitures de compétition de la marque : R5 Maxi Turbo, R8 Gordini ou la R20 des frères Marreau, vainqueurs du Paris-Dakar 1982. Et comme si ce n’était pas suffisant, trois Renault de records historiques continuent l’alignement : une Nervasport très spéciale, la 40 CV de record et la fameuse Etoile Filante à turbine. Cette simple juxtaposition de modèles uniques donne déjà le tournis et justifie la pose de mon RTT !
Hier et demain
La journée commence par un historique concis de l’histoire sportive de la marque, dont la première victoire date de 1899 (Paris-Trouville). 1902 voit la première victoire d’importance grâce à Marcel Renault sur le Paris-Vienne, raid de 1300 km à travers une Europe sans réseau routier digne de ce nom. La tragique course Paris-Madrid de 1903 (plusieurs accidents mortels dont celui de Marcel Renault) voit la fin des courses de ville à ville. Dorénavant, les courses se feront sur circuit. Le tout premier Grand Prix de l’histoire aura ainsi lieu au Mans en 1906. Il sera remporté par une Renault, une AK pilotée par Ferenc Szisz. Pour la petite histoire, le mécano de Szisz est un certain Emile Rédélé, qui s’installera à Dieppe après la guerre…
Les Années Folles voient l’arrivée des voitures de record : la 40 CV de 1926 signera plusieurs records mondiaux à Montlhéry dont la plus longue distance en 24h. La Nervasport spéciale de 1934 arrachera celui des 48h, toujours sur l’Autodrome. Quant à l’Etoile Filante à turbine, elle ira sur les lacs salés américains pour battre le record du monde de vitesse de sa catégorie avec 308 km/h en 1956. A noter que la 40 CV et la Nervasport sont des reconstructions, les originaux ayant été détruits. L’Etoile Filante s’est vue déposséder temporairement de sa turbine, difficile d’entretien, pour récupérer… un moteur de Twizzy !! Chez Renault, on sait encore faire de la mise à jour 60 ans après, et ça marche !
Derniers records en date : celui de vitesse sur glace avec une R21 Turbo légèrement préparée et celui du tour sur le fameux Nordschleife du Nürburgring avec une Mégane RS Trophy.
L’après-guerre voit une grande démocratisation du sport auto : d’abord par des versions « pointues » des 4 CV et Dauphine et surtout par la fameuse Coupe R8 Gordini. L’engagement de Renault en compétition prendra plusieurs forme à partir des années 60. Outre les fameuses Coupe (sur R8, puis R12 et R5), la marque s’engagera en rallye (avec Fréquelin puis Ragnotti), en endurance avec la A442 et enfin en F1 où son palmarès de motoriste est un des plus beaux, toutes écuries confondues : 168 victoires, 213 pole positions, 11 titres mondiaux.
Renault signe cette année son retour en F1 en tant que constructeur à part entière et non plus en tant que seul motoriste (relire ici). Cet engagement va de pair avec la création de deux structures : Renault Sport Racing qui gérera la compétition dans sa totalité, et Renault Sport Cars qui produira des voitures routières. Renault a pour ambition de doubler la vente de ses voitures de la gamme Renault Sport et compte pour ce faire sur les synergies pouvant exister entre le département Racing et le département Sport Cars : transferts technologiques, innovations,…
Jeannot
Fin du passage formel (et très instructif) et place au dynamique avec pour commencer une superbe démo de R5 Maxi Turbo pilotée de main de maître par Jean Ragnotti, qui nous a gâté avec ses fameux 360° pris à fond sur la piste.
Un petit mot sur cet homme. Cela peut paraître un lieu commun, mais Jean Ragnotti est quelqu’un d’absolument adorable ! Prévenant, sympa, très abordable, simple. A 70 ans passés, il n’a de plus rien perdu de son talent au volant et a su nous en faire profiter toute la journée. Pas intimidant du tout, on se retrouve à le tutoyer et à l’appeler “Jeannot” bien avant la fin de la journée, comme tout le monde. Un grand monsieur et un grand champion !
Gentlemen, start your engines !
Pièce de résistance de la journée, l’essai de plusieurs Renault historiques amoureusement entretenues par les experts du département Renault Classic, qui gère un parc de plus de 750 véhicules.
Deux ou trois tours de circuit, c’est bien court pour se faire une idée sur une voiture, a fortiori quand on enchaîne 7 essais différents en un peu plus d’une heure pour faire du speed testing. Un anneau de vitesse aménagé avec deux petites chicanes est d’ailleurs loin d’être le terrain de jeu privilégié pour ces anciennes. Mais voilà néanmoins mes quelques impressions de conduite, dans l’ordre dans lequel j’ai pu essayer les modèles :
- R8 Gordini
Coup de chance, celle que je voulais essayer avant tout est disponible : personne ne s’est jeté dessus ! Le mythe roulant, celle qui a popularisé le sport auto à la portée de tous, grâce notamment à la Coupe Gordini. Propulsion, moteur en porte à faux arrière. Plutôt piégeur si on ne sait pas y faire. Heureusement que le circuit est sec ! L’installation à bord se fait facilement, pas de baquet ou d’arceau cage. Le volant 3 branches sport est grand, mais surtout le pédalier est très décalé sur la droite. Tableau de bord sportif avec des vrais compteurs à aiguille et des petits manomètres un peu partout où il y a de la place. Démarrage et premiers tours de roue dans le siège trop moelleux. Et moelleux, ça va l’être. Le débattement du levier de boîte 5 est ample et il faut bien décomposer ses rapports en allant chercher la cinquième dans le genou du passager. Mais le plus surprenant est cette sensation de flottement, de suspension trop molle sur le revêtement usé jusqu’à la corde de l’Autodrome. Arrivé vers 140 km/h, le confort est inexistant tant la voiture se trémousse dans tous les sens. Et pourtant la trajectoire se tient et la voiture accélère joyeusement jusqu’au premier freinage. Les 4 freins à disque assurent un ralentissement efficace, mais totalement dépourvu de sensations. Les chicanes se passent tout en flottement de suspension, et je sens bien l’arrière se tortiller un peu. Avec une bonne maîtrise, ça doit être assez jouissif en courbes ! Frappez-moi, mais la R8 m’a déçu : il faut sûrement être un bon pilote (ce que je ne suis pas) ou la connaître mieux pour en profiter réellement. Et puis un anneau de vitesse n’est assurément pas le meilleur endroit pour la découvrir.
- R12 Gordini
Gordini toujours, mais presque 10 ans plus tard. Et ça n’a plus rien à voir du tout : traction, moteur avant. L’habitacle est clairement typé sport : baquets en simili cuir noir, petit volant à trous-trous, batterie de compteurs, c’est joli ! Le débattement de la boîte 5 est nettement plus resserré, le volant est plus petit , pédalier centré (ouf !). Le moteur atteint maintenant 113 ch et procure une sonorité très agréable. Je mets les gaz et je suis agréablement surpris. La R12 est extrêmement stable et saine. La suspension filtre parfaitement le bitume et je me sens en pleine confiance. Tout le contraire de la R8 ! Bien que traction, la R12 peut néanmoins être bien vive en sortie de chicane, et surtout sa plus grande précision au volant permet au néophyte de prendre des trajectoires mieux dessinées. Bref, je m’amuse beaucoup avec et j’aimerais bien faire encore quelques tours de piste. Mais mon moniteur est inflexible et me dit déjà de rentrer au stand…. Note pour plus tard : ne plus se moquer d’une R12. La Gord’, elle envoie !
- Dauphine 1093
Une Gordini qui ne dit pas son nom, produite à un peu plus de 2000 exemplaires seulement. Propulsion, moteur arrière… Aïe, vais-je retrouver les affres de la R8 ? La position de conduite en est proche. Joli volant en bakélite couleur crème, pédalier décalé sur droite, long levier de vitesse. On a vu mieux comme ambiance sportive ! J’ai plutôt envie de conduire coude à la portière en écoutant du Luis Mariano que de tâter du sous-virage. Mais la Dauphine est une très bonne surprise. Stable en ligne droite, très joueuse en courbe, elle est aussi confortable et m’épargne le désagréable pompage de la R8. Elle reprend vite en sortie de chicane et se révèle très amusante et très « pédagogique » à manier. Super sympa…. si le freinage mal réglé de mon exemplaire ne m’envoyait pas direct dans le rail de gauche à chaque pression sur la pédale.
- Renault 4CV 1063
Première Renault de l’après-guerre, qui a eu un dérivé sportif engagé entre autres en Tour de France Auto et aux 24h du Mans. L’intérieur est hyper spartiate : les sièges sont une simple armature métallique tendue de lanières de cuir, pas de contre porte, un compteur qui indique je ne sais quoi et des contacteurs à la destination ésotérique partout. Le démarrage est capricieux, même pour ces voitures chouchoutées par l’équipe de Renault Classic, et demande des techniques oubliées de nos jours : starter manuel, réglage de l’avance, coup de gaz, etc…
La position de conduite est très loin de ce que j’ai pu voir jusque là. La conception de la 4CV remonte aux années 40, ça se voit : grand cerceau incliné vers l’avant en guise de volant, une pédale d’accélérateur toute rikiki en métal qui glisse sous la semelle. Presque la voiture la plus lente du plateau, la 4CV sort d’une autre époque. Elle accélère si peu, atteint laborieusement une vitesse de pointe qui semble perchée loin vers les 80 km/h. Quant au freinage… Si je vous dis que j’ai fait un tout droit dans une chicane par manque d’anticipation, vous aurez une idée de sa puissance. Dire que certains ont couru au Mans là dedans !
Après deux tours de piste en R11 Turbo, pilotée de main de maître par l’immense Jean Ragnotti, et un repas bien mérité, j’attaque la suite du plateau de test.
- R5 LS Coupe
Tiens, une version inconnue de la R5 ! Après quelques recherches a posteriori, la LS est une version légèrement plus puissante de la 5, devenue TS en 1975. Je la connaissais mieux sous ce nom là. Elle connut une Coupe monomodèle à l’image des R12 Gordini qu’elle remplaçait. Moteur poussé à 84 ch, pour 840 kg. Les R5, j’en ai déjà conduit, mais pas des comme ça : échappement latéral, arceau, intérieur dépouillé. Ça sent le chaud et l’essence, une vraie petite pistarde ! Pas de surprise ergonomique : c’est proche des critères modernes à part les pédales très rapprochées. Petits pieds recommandés. A conduire, c’est le pied justement ! L’échappement juste en dessous de mes oreilles est très bruyant et donne une sensation de vitesse pas totalement usurpée. Elle est vive, super compacte (3,5 m de long seulement) et son comportement très sain permet de s’amuser avec. C’est la seule voiture avec laquelle je me suis aventuré dans les parties hautes du banking de l’autodrome, qui demande de garder une vitesse élevée. Une vraie petite bombinette !
- Renault Nervasport
Je n’ai jamais conduit de voiture d’avant guerre, c’est donc une première. Et c’est une voiture de course, si si : elle a participé au Rallye de Monte Carlo ! Difficile à croire : sa place semble plutôt dans un Concours d’Elégance ou à la Traversée de Paris. Le capot est long, long. Il abrite ici un monstrueux 8 cylindres en ligne de 5,5 litres développant…. 110 ch. C’est beau le progrès des motorisations ! A bord, c’est une grosse surprise, mais dans le bon sens. Je m’attendais à du bizarre, de l’exotique. L’accélérateur sur la pédale de gauche et un embrayage à main ou des choses comme ça. Et finalement non. Trois pédales qui ont les fonctions habituelles, un levier de boîte 3 vitesses à très grand débattement et un monstrueux volant qui semble faire juste en dessous du mètre de diamètre. Aucun réglage de position de conduite possible, mais je dois faire la taille standard de l’époque : ça passe à peu près. En manœuvre d’entrée en piste, j’ai l’impression de conduire un bus : la visibilité est proche du néant et le gabarit semble gigantesque. Alors qu’elle est juste aussi grande qu’un Scenic et à peu près aussi lourde.
Je m’engage sur l’anneau et à fond ! Euh, en fait non. La montée en vitesse est lente mais elle est de bonne volonté. Les chicanes occasionnent quelques sueurs froides car il faut freiner, et les freins semblent partis en congés payés. Et pourtant, ça passe, toujours en moulinant ce lourd volant de camion dans tous les sens. Et le moteur bien coupleux permet quand même de relancer la machine. La Nervasport apprend l’humilité et l’anticipation extrême. C’est elle qui dicte ses règles, pas vous qui imposez votre conduite. Mais ne comptez pas sur moi pour essayer de faire un créneau avec ! Un mot sur le système audio : le poste à galène Pathé Marconi® monophonique diffuse un son clair et limpide en ondes moyennes. Mais il serait temps que Renault installe des lecteurs de microsillons dans ses modèles ! Les rouleaux de cire, c’est bel et bien fini, il faut s’y faire.
- R5 Alpine Groupe 2
Oh la la !!! La monture de Ragnotti au Monte Carlo, l’Alpine sans turbo, une vraie voiture de compet’ ! Et en plus en livrée Calberson, celle du Monte Carlo 1978… Un autre mythe à conduire après la R8 Gordini. Mais ce coup-ci, pas de déception, juste un énorme sourire en sortant. ÇA c’est de la bagnole !! Vous voyez la LS Coupe au-dessus ? Hé bien c’est pareil, en plus affûté, beaucoup plus puissant (entre 140 et 150 ch, on ne sait pas trop), plus sec de suspension. Elle a besoin d’être menée à la cravache, de monter haut dans les tours pour éviter les trous dans l’étagement de la boîte, surtout entre 3ème et 4ème. Mais quel plaisir à piloter ce petit bolide ! Ça freine comme je veux, je la place au millimètre sur la chicane et je repars, juste pas aussi vite que je voudrais car elle manque quand même un peu de couple. Le compteur indique 260 km/h, mais je crois qu’il se trompe un peu : j’ai l’impression de rouler à plus de 300 et d’être Ragnotti… J’ai eu droit à 3 tours. MERCI !!! C’est trop peu, j’en veux encore !! Ah… il paraît que le compteur est un peu fantaisiste. M’en fiche, dans ma tête j’étais bien à 300, ou même plus !
Voilà, c’est fini…. En tous cas pour les essais. Je mesure ma chance d’avoir pu conduire tous ces modèles historiques, et même pour certains d’avoir pu “taper dedans” et jouer un peu avec.
The Show Must Go on
Mais la journée n’est pas terminée. Place à “Jeannot” pour quelques tours de piste au volant de la Renault Alpine A442B, vainqueur des 24h du Mans 1978 (elle était alors pilotée par l’équipage Pironi/Jaussaud).
Et la journée s’achève comme elle avait commencé : par une parade de 4 Renault de record sur l’anneau.
Et en guise de dernier petit bonus, certaines voitures prennent la pose sur la piste, mais je dois déjà partir, faute de quoi je devrai rentrer à pied !
Un grand merci à toutes les équipes de Renault et Renault Classic pour cette invitation et l’organisation de la journée, à Jean Ragnotti pour son immense gentillesse, et bien le bonjour à tous mes petits camarades bloggueurs et journalistes croisés à Montlhéry. Et histoire de garder un souvenir de cette journée, voici une vidéo sans prétention. C’est la première que je réalise, merci de votre compréhension 🙂
Crédits photos/vidéo : Régis Krol