A l’heure où la Chine concentre sur elle toutes les convoitises des constructeurs automobiles européens, n’oublions pas que les États-Unis furent longtemps l’Eldorado rêvé pour les autos du vieux continent. Un songe devenu provisoirement réalité pour Renault, le temps de sa courte main-mise sur l’américain AMC. Modèle emblématique de cette aventure outre-atlantique, la Renault Alliance Cabriolet . Un de ses derniers possesseurs, fidèle lecteur de Blogautomobile, a gentiment prêté sa voiture au jeu des photos et des petites confessions le temps d’un flash-back à l’américaine.
Il est des rencontres qui font voyager sans bouger de chez soi, ou presque. Mon rendez-vous nantais avec Guillaume et sa Renault Alliance est de cette trempe là. La voiture, produite aux États-Unis, a été repérée par notre lecteur, résident Irlandais, à Malaga, au sud de l’Espagne; son propriétaire d’alors est un touriste Anglais et si l’auto est immatriculée en Grande Bretagne c’est pourtant bien une conduite à gauche! Avant de promener un couple de british sur la Costa Del Sol, la voiture a d’abord connu le charme des routes allemandes où elle a reçu sa première immatriculation européenne. Cette auto est une Yankee, c’est sûr, mais pas que …
C’est donc une drôle de rencontre qui m’attend à ce drôle d’endroit, un restaurant grill de Vertou (44), une enseigne nationale bien connue, aux accents du Far West et où un buffle géant me souhaite la bienvenue dès le parking. Le ton est donné : je m’attends à voir débarquer un Guillaume en Stetson, santiags et manches à franges. Les clichés ont la vie dure, c’est bien connu. Patatras, mon prétendu cow-boy est en fait un jeune trentenaire bien dans son époque, et sa monture n’a rien des vrombissements rageurs de General Lee. Shérif, tu ne me fais même pas peur mais ça ne nous empêche pas de jouer fièrement à Bo et Luke au moment de nous attabler. Les Frères Duke sont dans la place ! C’est autour d’une bonne viande grillée que la vie et les anecdotes de ce beau cabriolet rouge vont commencer à m’être contées dans le menu détail. L’histoire s’annonce passionnante, je commande un supplément frites…
Comme nous tous ici, lecteurs et rédacteurs de Blogautomobile, Guillaume est évidemment un passionné d’automobiles en général, mais il a une prédilection pour les “anciennes” des années 80 et surtout un faible très particulier pour les Renault. Si sa première voiture fut, en 1999, une Renault 9, Guillaume a aussi conduit une 5 TX pendant 9 ans puis une SuperCinq, une rare 21 Baccarra automatique à 4 portes et même une Lutécia, la Clio 1 développée pour le Japon!
Pour mieux comprendre l’objet de cet article, l’Alliance cabriolet, je vous engage à faire une petite marche arrière dans la mémoire industrielle automobile. Dans la décennie 70 l’aventure américaine de Renault est portée par la branche Renault USA qui produit des véhicules spécifiquement adaptés au marché nord-américain. C’est l’époque où la populaire 5 s’américanise pour devenir la Renault LeCar. Le mix produit a alors bien du mal à affronter la puissance de l’industrie automobile nord-américaine. En cause, notamment, une réputation et une image de marque à bâtir mais surtout des premiers retours fiabilité accablants. L’exotisme et l’à-peu-près n’ont jamais été des valeurs porteuses de succès sur le marché de l’auto. A l’aube des années 80, cette période se conclue par une nouvelle stratégie marquée par la prise de participation de Renault dans le constructeur américain American Motors Corporation (AMC) puis très vite par une fusion qui débouche sur la création du groupe AMC Jeep Renault. Des véhicules au losange vont alors se substituer petit à petit à l’offre AMC vieillissante dans les show-room américains.
C’est ainsi que l’Alliance voit le jour pour marquer l'”alliance” entre les deux constructeurs. Les américains “adooooorent la Flaaance” et la petite frenchie se fait vite remarquer en remportant le titre de Car Of The Year 1983 décerné par le Motor Trend Magazine. A cette époque le succès est bien réel, la production démarre fort et le cabriolet spec USA est épaulé par une Renault 11 rebaptisée Encore … Mais les premières années de vente seront, hélas, aussi les meilleures. Toutes les spécificités techniques nécessaires à l’homologation de la 9 sur le marché américain ont vite raison de sa fiabilité. Au fur et à mesure que les premiers clients découvrent avec désolation l’avalanche d’avaries qui leur tombe sur le bout du capot, les ventes s’écroulent passant d’environ sept mille unités en 1985 à un petit millier en 1987.
Si un œil averti reconnaît rapidement en l’Alliance notre populaire 9, pas sûr qu’un néophyte puisse en faire autant. Le cabriolet conserve l’allure générale de la 9, faces avant et arrière sont facilement reconnaissables malgré l’excroissance des pare-chocs typiquement américains mais l’allure générale est beaucoup plus soignée que sur la berline française. En guise de blush pour mieux rivaliser avec les plus belles américaines, la jeune première s’est notamment vu offrir une cure de chrome, inédite dans de telles proportions chez ses cousines européennes. Au final, l’allure générale de l’auto paraît plus fine, plus soignée, et plus dynamique que la berline du vieux continent que nous connaissons. Le make-up de façade n’est pas seulement esthétique. Il répond aussi, et en grande partie, aux impératifs techniques nécessaires à l’homologation de la voiture pour prétendre faire fondre ses gommes sur la mythique Route 66. Parmi eux les rétroviseurs spécifiques ( non rabattables, ils empêchent toute homologation française aujourd’hui), le troisième feu-stop et surtout le recours à un sérieux process de dépollution pour satisfaire à l’exigence des normes américaines de l’époque.
A l’intérieur l’ambiance générale est la même que la R9, mais le traitement des couleurs et matières est exclusif. Preuve que la berline n’était pas destinée à devenir un cabriolet chic, le push de commande de la capote électrique est implanté sous le volant ! Les moquettes sont incroyablement épaisses pour une Renault de cette époque, et le magnifique full red qui habille l’habitacle est un régal visuel. Nous sommes ici en présence de la finition haute DL. Bien sûr la qualité même des matériaux n’a rien d’exceptionnel, mais elle correspond aux standards américains de l’Europe, et ce modèle que possède Guillaume n’a que très peu souffert des affres du temps. Voilà une prétendante aux gloires hollywoodiennes qui n’a pas besoin de botox pour rester fraîche très longtemps.
Sur la route, l’Alliance Renault séduira les moins pressés d’entre nous. Même si elle est américaine, inutile de lui parler drift , muscles ou supercharged. L’Alliance ne connaît pas ce vocabulaire, à son volant tout est dédié à une conduite coolée; cruising style ! Si vous aimez la balade, et seulement si vous aimez la balade, ce cabriolet Renault saura vous ravir par son confort « flottant » . Inutile d’avoir le pied lourd, le répondant de la mécanique ne sera pas à la hauteur de vos attentes. Incongrue pour une américaine, sa boite de vitesse est ici manuelle. Une version automatique à 3 vitesses était également au catalogue. La motorisation ne parle pas qu’aux plus anciens d’entre nous ou à ceux qui ne vibrent que pour les youngtimers, car il s’agit du bloc F Renault que l’on retrouve encore aujourd’hui, après de multiples évolutions, sous le capot de la Mégane RS ! Malheureusement la maigre puissance des 77ch est en grande partie avalée par les dispositifs anti-pollution qui n’ont pas été pris en compte à la conception du bloc. Le moteur est néanmoins très souple avec une boîte longue comme un jour sans pain à burger. Pour parfaire son allure, le pilote de l’Alliance doit penser à passer le volant et prendre la place du passage pour ne pas bronzer que le bras gauche. Enfin, le poids raisonnable de ce convertible lui assure une frugalité qui a été un élément bâtisseur important de sa popularité.
Malgré d’indéniables efforts et une certaine audace , l’aventure américaine de Renault n’a pas connu le happy end des blockbusters d’outre-atlantique. Avec le déclin de ses ventes et la crise financière qui a fragilisé la maison mère européenne, Renault a donné le clap de fin de son rêve américain en 1987 avec la cession de ses parts d’AMC Jeep Renault à Chrysler. Depuis, l’internationalisation de Renault s’est développé sur de nouveaux territoires grâce à l’Alliance ( tiens tiens, ce nom vous rappelle évidemment quelque chose …) avec le japonais Nissan. Et, si par rapport à son concurrent français, le groupe PSA, Renault a pris une nette avance sur la diversité de ses marques et de ses marchés, les américains restent encore, et sans doute pour longtemps, orphelins de voitures badgées d’un losange français.
Merci à Guillaume pour sa disponibilité, et le partage de sa passion.
Pour plus d’informations, visitez ici le Renault Alliance Club Passion.