Essai Aston Martin DB11 AMR : un autre monde

« Bonjour. Nous avons une DB11 AMR disponible, ça vous intéresse ? ». Quelle réponse autre que « oui, bien sûr » est-elle sérieusement envisageable ?

Dans les faits, cela a été un peu plus compliqué que ça. Mon esprit encore embrumé par le retour des vacances et les mojitos glacés a oscillé longuement entre « il doit y avoir une erreur sur la personne » et « Youhou !!! une Aston !! ». Le retour à la réalité n’a rien arrangé car la proposition était tout à fait sérieuse.

Bref, me voilà à bord d’une Aston Martin DB11 AMR, rien que pour mes yeux. Après une rapide démo des quelques commandes particulières de l’habitacle, une pression sur le logo ailé de la planche de bord réveille le groupe de heavy metal planqué sous le capot. À force de lire des fiches techniques, les chiffres ne signifient plus rien. 639 ch. Dit comme ça, cela ne représente rien. 3 fois la puissance de ma voiture de tous les jours, cela en impose déjà plus. Le fracas du V12 biturbo de 5,2 litres achève de me réveiller. Ça y est, j’y suis.

Paris au mois d’août est plutôt calme, et c’est tant mieux. Le gabarit de cette grosse GT est impressionnant : 4,7 m de long, pas loin de 2 m de large et une visibilité arrière digne de celle d’un sous-marin. Je caresse du bout de l’orteil la dangereuse pédale de droite. 639 ch. Contre toute attente, les premiers tours de roue sont sereins. Premier feu : ah tiens, elle a le Stop & Start ? C’est amusant au début, et cela permet de profiter des vocalises de démarrage, mais finalement assez fatiguant à la longue.

Je me hâte de quitter les venelles étroites pour rejoindre les grandes artères où nous serons plus à l’aise, la DB11 et moi. Rétros réglés au millimètre, je vois encore les énormes ailes arrière dépasser. Sa Majesté a la poupe large, il faudra s’y faire. Grande inconnue : le regard des autres. Cela oscille entre le désintérêt le plus complet et l’admiration, voire même du pouce levé. A ma grande surprise, aucun jet de cocktail Molotov ou d’insultes à mon endroit. J’ai même été pris en photo. Enfin… plutôt la voiture, pas moi. Il y a peut-être encore un espoir pour les relations entre les français et les belles automobiles après tout. A renouveler lors d’un défilé du 1er mai pour m’en assurer.

Après une transition inévitable par le périphérique, voici enfin l’autoroute. « Enfin », car une DB11 n’est décidément pas une voiture faite pour la ville (étonnant, non ?). Je lâche un peu la bride, et déchaîne du même coup les feux de l’enfer ! Le BROOOOO envahit l’habitacle tandis que mes fesses et ma nuque sont déplacées simultanément vers le fond du baquet. 0 à 100 km/h en 3,7 secondes qu’ils disent. Je les crois sur parole. Les 130 km/h arrivent bien trop vite. Je relâche la pression sur l’accélérateur, et les deux turbines en font tout autant de manière très audible. Tout à fait fascinant et délectable. Si vous aimez les chiffres : 700 Nm, disponibles dès 1500 trs/min. C’est le couple du V12. Mon échelle de valeur sera dorénavant : 700 Nm = bobo dans le cou. Ça parle tout de suite bien plus et laisse des souvenirs.

Je passe sur régulateur de vitesse, autoroute quasi déserte et je fais le tour visuel de l’habitacle. Bien que la DB11 soit récente, je le trouve suavement désuet. Concessions à la modernité : une instrumentation digitale et un écran multimédia aux visuels chipés à Mercedes. Normal, AMG a pris une participation de 5% dans la respectable firme de Gaydon. Et si notre V12 du jour est un pur produit britannique (bien que fabriqué dans l’usine Aston de Köln), de nombreux détails révèlent une influence germanique. Outre l’écran central déjà cité et son interface, le régulateur ou les commandes de sièges électriques semblent sortir tout droit d’une limousine teutonne. C’est grave ? Non. L’essentiel est préservé : une ambiance luxe et sportive inimitable. Cuir intégral, y compris la planche de bord, Alcantara, moquette douce et épaisse, panneaux de carbone. Tout est réuni pour que les passagers passent un voyage agréable, à condition d’éviter les minuscules places arrières. Elles sont pourtant dotées d’un système Isofix, de quoi transformer la DB11 AMR en arme ultime pour les déposes minutes à l’école !

Loin de la précision chirurgicale de certains habitacles sportifs tout de noir vêtus, celui-ci a ses défauts. La commande de boîte de vitesse par boutons au tableau de bord par exemple. Heureusement, on s’en sert peu, mais les manœuvres de parking en deviennent pittoresques. Autre point : en lieu et place d’une boîte à gant probablement phagocytée par un turbo ou un échangeur thermique quelconque, Aston nous gratifie d’un vide poche central au couvercle motorisé. Très ludique au début, surtout pour l’effet « WOW », c’est au final peu pratique. Cela aussi fait partie du charme britannique.

La finition est proprement impeccable et je ne vous ferai pas l’affront du « toc toc » sur les plastiques moussés de la partie basse de la planche de bord. Ce serait proprement indécent et hors de propos. Le volant est constellé d’une nuée de boutons dont les plus intéressants sont accessibles directement sous les pouces. A gauche : la loi d’amortissement, graduée de « promenade avec belle maman » à « carte de fidélité d’ostéopathe ». A droite, le mode de conduite : GT, Sport ou Sport +. Le changement de mode va intervenir sur les paramètres de la boîte de vitesse, l’amortissement, la dureté de la direction et bien sûr la sonorité de l’échappement. Ce dernier, déjà démonstratif en mode GT, devient volubile en Sport et Sport +. Le son est plus rauque, ça crépite, ça pétarade à chaque changement de rapport, y compris sur autoroute. Il s’agit indéniablement du changement le plus inutile / utile de la version AMR (rayez la case inutile). L’influence AMG se fait là aussi sentir.

La conduite sur autoroute n’appelle strictement aucune critique. La DB11 est fermement campée sur ses pneumatiques. Les camions, quels camions ? D’un effleurement de pédale l’importun est effacé. Le kickdown de la boîte ZF 8 rapports, rapide et efficace, se charge d’éclaircir votre horizon. Réglé en « GT », l’échappement se fait discret, tout juste troublé par l’installation audio de grande qualité (mais sans support de CarPlay, hélas). Les barrières de péages sont presque accueillies avec joie. Me faire délester de quelques Euros me donne le droit à un nouveau départ arrêté 0 à 130 km/h. Plus que la vitesse maximale de 325 km/h, inatteignable à moins de vouloir passer quelques nuits en garde à vue, ce sont indéniablement les accélérations qui distinguent cette voiture de sport du tout venant. Le mode GT est tout à fait civilisé, tel un garde du corps musculeux en costume Armani, quand les modes Sport et Sport + font enfiler un survêt’ Tacchini à notre lourde GT pour aller taquiner les chronos et s’encanailler un peu.

Car oui, notre DB11 a un défaut. Non, plutôt une caractéristique : elle est lourde. V12, cuir et moquette qui forment son délicat cocon dépassent très allègrement les 1 900 kg, tous pleins faits. Et avec un conducteur dans la force de l’âge (mais si, mais si !!) les deux tonnes sont en vue. Les quelques sinuosités empruntées lors de cet essai me le confirment : la DB11 n’est pas faite pour aller taquiner le virolo. L’inertie et la physique ont toujours leur mot à dire. Oh, elle s’en sort bien grâce à une tenue de route impeccable en mode Sport, pas un mouvement de caisse parasite, des relances très vigoureuses et une tenue de cap imperturbable. La puissance semble sans limite sur une très large plage moteur et la motricité de cette pure propulsion est parfaitement maîtrisée (sur routes sèches du moins). Le freinage, puissant et facile à doser, n’appelle lui non plus aucune critique. Les disques ventilés de la taille d’une roue de Twingo ne sont pas là que pour la frime. Et pour les vrais pilotes, ceux qui savent, il y a sans doute matière à se divertir à grands coups de sous-virage et autres dérapages, même si la direction filtre bien trop le revêtement routier. Mais non, son truc à elle c’est le Grand Tourisme. Avec des majuscules. Elle laissera volontiers l’ascension du Galibier ou du Lautaret à la jeune Vantage, plus courte, plus légère, plus agile, et préférera sillonner les rubans d’asphalte d’Europe ou d’ailleurs. Megève, Monaco, Milan, tel est son destin.

Pause photo avec le brillantissime Mathieu Bonnevie (merci à lui). De quoi admirer les courbes de notre monture. Après une décennie de quasi immobilisme stylistique, Aston Martin a enfin évolué. Marek Reichman, son designer, a su se renouveler tout en gardant le style Aston. Les voluptueuses ailes arrière issues de la One-77 ou l’immuable calandre sont là pour rappeler ses origines. Le dessin comporte à présent un toit suspendu, et de grands extracteurs d’air horizontaux au droit des passages de roue avant. L’aérodynamique, l’air de ne pas y toucher, est très sophistiquée. Un système baptisé Aeroblade permet d’aspirer une partie du flux d’air via des prises d’air dissimulées à la jonction vitres/carrosserie pour le réinjecter sur l’aileron mobile caché dans le couvercle de malle. Tout en finesse et en discrétion, sans aileron et appendices disgracieux (coucou McLaren Senna, je pense à toi !). Ferrari suit la même philosophie sur ses grandes GT, 812 Superfast en tête.

L’allure générale est indéniablement celle d’une Aston, remise au goût du jour. Les courbes de notre exemplaire sont joliment mises en valeur par la superbe couleur Mariana Blue. Merci d’ailleurs de m’avoir prêté une voiture bleue (cela tourne à l’obsession, relire ici, ici ou ). La DB11 AMR profite de quelques modifications par rapport à la version V12 d’origine. Les feux et phares gagnent un fond noir, quelques pièces en carbone font leur apparition et quelques détails optionnels spécifiques sont disponibles, comme ces étriers de frein ou la bande vert/jaune visible dans l’habitacle (pas forcément du goût de tout le monde cette bande, d’ailleurs). La V12 “tout court” n’existe plus, tandis qu’une V8, plus légère de près de 130 kg, existe en coupé et cabriolet. Par ailleurs, le moteur a gagné une trentaine d’équidés et les liaisons au sol ont été revues.

Voici déjà le moment de rendre la voiture (allez, Monsieur, ça suffit maintenant, on va fermer. Rendez les clés ou j’appelle la sécurité !). Je jette négligemment un œil sur la consommation de la journée. Le compteur est gradué de 10 litres en 10 litres. La sueur perle dans mon dos malgré le siège ventilé. J’y regarde à deux fois. Je termine ma journée avec une moyenne de 13 litres au 100. Au final c’est plutôt raisonnable, non ? Il faut cependant avouer que j’ai été très sage ; avec une semelle de plomb, les 20 ou 30 litres sont largement envisageables. Rouler en Aston Martin détache de ce genre de petits détails mesquins. Tout comme le tarif de la belle. J’hésite à vous dire qu’elle coûte au bas mot 220 000 € sans option, ni malus écolo, carte grise et autres frivolités terre à terre. Et puisque nous en sommes aux options, la marque propose un très ludique configurateur en ligne dont je ne me lasse pas, disponible ici. La concurrence ? Entre Bentley Continental GT, Ferrari GTC4 Lusso et de plus roturières Mercedes-AMG S65, il existe des alternatives, mais finalement assez peu. Faute de les avoir essayées, vous me pardonnerez de ne pouvoir effectuer de comparaison plus précise.

La DB11 AMR est plus qu’un simple véhicule, c’est un état d’esprit, presque une icône (et je déteste utiliser ce terme fleurant bon le marketing bas de gamme). L’Angleterre, James Bond et les Aston. C’est quasi indissociable, au point que j’ai hésité à mener l’essai en smoking, ma playlist diffusant à qui mieux mieux la bande son de Skyfall. Cela aurait quand même fait un peu cliché, non ?

Si j’ai aimé la voiture ? Oui, comment faire autrement ? Si elle a des défauts ? Oh oui, en pinaillant on en trouvera, comme pour toutes choses. Cet essai restera cependant parmi les meilleurs moments de mon court vécu d’essayeur. J’ai finalement deux regrets. Avoir rendu la voiture, et ne pas savoir ce que je pourrai essayer de mieux à présent ! (NDLR : Bugatti, si tu nous lis….).

Je remercie très vivement Aston Martin Lagonda et Aston Martin Paris pour leur confiance et pour ce prêt exceptionnel.

Merci également à Mathieu Bonnevie pour sa compagnie toujours agréable et pour ses photos. Retrouvez son travail ici : mathieubonnevie.com

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