Une Porsche, c’est formidable, une 911, c’est mythique, alors comment qualifier la Porsche 911 Turbo ? Comment rendre compte en un mot de tout ce que représente ce modèle dans l’histoire de l’automobile sportive ? Pour tenter de répondre à cette question hautement existentielle, nous allons monter dans notre DeLorean et sélectionner 1973. C’est parti…
En cette année qui suit le choc pétrolier, la Porsche 911 a déjà 10 ans et les esprits cyniques pouvaient penser qu’elle s’approchait de la retraite. Porsche présente donc, un peu comme une ultime évolution, au salon de Francfort, une coque de 911 équipée d’un moteur turbo… qui n’en était pas un puisque factice. C’est en 1974, à Paris, que la 911 Turbo définitive est présentée. Fruit de longs débats au sein de la marque, elle a pris le parti d’être une GT plutôt qu’une version radicale, simple modèle d’homologation pour la course. Malgré un lancement en cette période difficile pour l’ensemble des voitures de sport, la 911 connaîtra de façon assez inattendue un succès immédiat. Cette philosophie ne sera jamais remise en cause, la 911 Turbo se veut une voiture plus luxueuse et performante que radicale et taillée pour le circuit. Ce sont désormais 6 générations qui peuplent la grande famille des Turbo, de la 930 à la 991, sans compter les variations sur un même thème qui font la joie des historiens automobiles.
930 Turbo : la pionnière
Comme toutes les premières de lignées, elle conserve aujourd’hui une aura de précurseuse. La 930 Turbo a été conçue pour rivaliser avec les grandes GT italiennes, 365 GTB/4 jusque-là et toute nouvelle 365 GT4 BB de 1973. Une montée en gamme réalisée principalement par le biais de la puissance puisque la base est le moteur 3 litres qui équipe les 911 de la Série G depuis ce même millésime. La 911, de par son architecture atypique de moteur en porte-à-faux arrière, est, depuis sa création, une auto délicate à manier. Alors, quand passé 3500 tr/min, le turbo KKK est suffisamment alimenté pour se déclencher, tous ceux qui l’ont conduite décrivent quelque chose qui ressemble à l’arrivée de Thor pendant la bataille du Wakanda dans Avergers Infinity War : ça envoie et mieux vaut vous accrocher fermement. L’évolution de la cylindrée à 3,3 litres quelques années plus tard n’y changera pas grand-chose… Initialement forte de 260ch, l’évolution moteur de 1977 la fera passer à 300ch. Les performances se situent très haut dans la hiérarchie automobile de l’époque : la Lamborghini Urraco fait 250 chevaux dans sa version la plus puissante tandis que la plupart des automobiles de Monsieur tout le monde tournent entre 50 et 60 chevaux. La version 3.0 litres, nettement plus rare que la 3.3 litres (parce que produite nettement moins longtemps) est aujourd’hui un peu plus cotée de par sa situation de pionnière. Initialement proposée en coupé, la 911 Turbo originelle a connu les joies du Targa et du Cabriolet et de la boîte 5 vitesses en fin de vie. Les Californiens ont adoré. D’ailleurs, aux USA, normes drastiques obligent, les 2 moteurs successifs sont moins puissants et la voiture s’appelle 911 Turbo Carrera dans sa version 3.0l. Ce patronyme a été réclamé par les distributeurs pour des raisons purement commerciales. Hormis cela, la 930 ne bougera pas pendant plus de 10 ans.
964 Turbo : la raisonnable (un peu)
Apparue en 1989, la Porsche 911 version 964 est la plus grosse évolution du modèle depuis sa création, plus de 25 ans auparavant. C’est une toute nouvelle auto qui ne garde de la 911 originelle que la silhouette, la base du moteur et l’esprit.
La ligne est remaniée dans de nombreux détails pour la rendre plus moderne avec notamment une bien meilleure intégration des boucliers, au bénéficie du style et de la portance, défaut congénital de la 901 et de la Série G. L’équilibre général y gagne fortement, faisant de la génération 964 l’une des préférées des porschistes (enfin surtout de ceux nés dans les années 70). Le moteur est toujours le 3,3 litres de la précédente mais la voiture offre une définition bien différente de la brute épaisse qu’était la 930. Moins difficile d’accès, plus civilisée, elle s’ouvre à une clientèle plus large. Ce n’est pas tant le moteur qui a changé que le poids qui s’est considérablement accru. Ce sera finalement le sens de l’histoire pour cette voiture : toujours plus puissante, toujours plus performante et pourtant toujours plus accessible au conducteur moyen. A la toute fin de sa vie, la 964 s’offre un nouveau moteur de 3.6l et un bon de puissance considérable de 40ch pour culminer à 360ch. Cette version n’aura été produite qu’un peu plus d’un an et demeure à ce jour l’une des plus désirable des 911 Turbo avec à peine plus de 1500 exemplaires.
Et je ne vous parle même pas des 86 911 Turbo S Leichtbau, une 911 GT2 RS avant l’heure, qui s’échangent au-delà du million de dollars de temps en temps. Facilement reconnaissable à ses prises d’air latérales ou à son aileron spécifique peint, ses 381 chevaux en faisaient à l’époque l’une des autos les plus performantes de monde. Ou encore de la 911 Turbo S 3,6 litres Slant Nose, 76 exemplaires un peu oubliés de nos jours, sans même mentionner la seule et unique 911 Turbo 3,6 litres Leichtbau, qui, en oubliant son S, s’est offert une vie d’objet de collection dès son assemblage. La génération 964, loin des habitudes un peu endormies de la 930 a inauguré la tradition des déclinaisons en tous genres.
993 Turbo : la belle
La 911 type 993 débarque avec le millésime 1994. Sur le modèle du passage 930-964, elle reprend le moteur 3,6 litres, poussé à 408 chevaux par un passage à deux petits turbos au lieu d’un seul gros pour une meilleure progressivité et facilité d’utilisation. La plus grande évolution technique tient à l’arrivée des 4 roues motrices, transmission qui fera date puisque toutes les 911 Turbo suivantes conserveront cette architecture. La 911 Turbo en devient d’autant plus sécurisante. Côté dessin, la très belle 993 gagne encore en muscles et hanches, quand l’aileron s’adoucit et vient épouser lesdites hanches. L’évolution stylistique vient couronner la silhouette originale pour en faire ce que beaucoup, et moi-même, considèrent comme la plus belle des 911. 20 ans après son lancement, la Turbo atteint une forme de maturité.
Elle a été également déclinée en fin de vie en version Turbo S de 450 chevaux, à la diffusion confidentielle (moins de 350 exemplaires autour du monde et pas mal de copies). On la distingue grâce à ses entrées d’air sur les ailes et un aileron bi-plan caractéristique. On trouve également 14 versions cabriolet. Il s’agit toutefois d’une sorte d’hybride, car basé sur une 993 Carrera cabriolet munie d’un moteur de 964 Turbo et non pas sur la vraie Turbo. Elle n’a donc que 2 roues motrices, une coque étroite et un aileron dédié : pour cause puisqu’elle a été développée avant la vraie 993 Turbo. Son extrême rareté en fait un collector recherché par les plus exigeants collectionneurs qui sont prêts à y mettre le prix. La 993 Turbo cabriolet n’a toutefois jamais été au catalogue officiel de la marque, c’est une commande spéciale d’un concessionnaire allemand qui a dû s’engager à en vendre 10 au moins pour que l’usine accepte de les assembler. La 993 est donc la seule de la lignée Turbo à n’avoir jamais connu de version découvrable officielle.
996 Turbo : la mal-aimée
La génération 996 est complexe à juger. Elle amena une immense révolution par son moteur tout nouveau à refroidissement à eau et par une esthétique également en forte évolution, largement inspirée du petit Boxster commercialisé un an plus tôt. On peut penser d’ailleurs que si la 996 était arrivée avant, l’effet déceptif n’aurait pas été le même : la petite inspirée par la grande, c’est plus facile à accepter que l’inverse. Comme toujours, la 911 Turbo est arrivée un peu plus tard et a cherché à corriger ce petit défaut en faisant évoluer une première fois le bloc optique si décrié : un décalage est créé sur la ligne du bas pour mieux distinguer l’antibrouillard. Ce bloc sera repris un peu plus tard pour la 996 seconde version.
Deux anecdotes sur le style de cette 996 : le bloc unique a été exigé pour améliorer la rentabilité sur la chaîne de montage en permettant un assemblage nettement plus rapide et donc moins cher. Porsche avec cette version a voulu non seulement offrir une voiture de rêve mais aussi gagner un peu mieux sa vie. Difficile de le blâmer quand on sait les difficultés des années 90 et l’insolente richesse des années 2000. Par ailleurs, c’est tout l’avant de la 996 qui devait être strictement identique au Boxster, il aura fallu aux designers (et sûrement au marketing) pas mal d’efforts de persuasion pour obtenir une grille d’aération différente qui permet d’éviter le crime de lèse-911.
Mal aimée à cause de sa ligne, la 996 Turbo n’en demeure pas moins une excellente voiture et un succès commercial immense. Les boudeurs du dessin auront été dépassés par les clients. 420 chevaux issus du bloc moteur de 3,6 litres de la 911 GT1 et non du 3,4 litres de la Carrera, 4 roues motrices désormais bien installées et une ligne largement virilisée par rapport à la fine 996 : boucliers, jupes, prises d’air latérales, aileron biplan mobile et hanches élargies font partie de la panoplie désormais traditionnelle de la déclinaison Turbo. La version cabriolet reprend ses droits et une version S vient terminer la vie de cette génération en beauté en greffant d’office le kit moteur X51 pour monter à 450 chevaux.
997 Turbo : la supercar
La 997 aura été la génération de la réconciliation entre les amateurs de la tradition avec le retour des phares ronds et les volontés de modernisation initiées par la 996, reconduites et améliorées par la 997. La 911 Turbo version 997 est apparue un peu plus vite que d’habitude, dès le deuxième millésime.
Toujours basé sur le bloc de 3,6 litres de la GT1, le fameux Metzger, l’évolution de la puissance est significative puisque l’on passe directement à 480ch avec une plage d’utilisation nettement plus importante : toujours plus vite mais toujours plus facile, souvenez-vous… Stylistiquement, la recette est la même que pour la 996 avec quelques touches d’originalité dont la ligne de diodes devant les entrées d’air à l’avant qui signent la Turbo au premier coup d’œil. A mi-carrière, la 997 Turbo atteint la barre très symbolique des 500 chevaux grâce à une augmentation de cylindrée. Elle fait à cette occasion son entrée dans le petit monde des supercars. Certes, elle n’en ni la ligne ni le prix ni la rareté mais pour ce qui est des performances, elle ne craint désormais plus grand monde : 312 km/h en pointe, 3,6 secondes pour atteindre les 100km/h avec la nouvelle boîte PDK et moins de 21 secondes au 1000m. Dans les années 90, seules quelques très rares autos arrivaient à ce niveau. C’est finalement une constante : Porsche est capable d’exploiter mieux que personne chaque cheval produit par ses moteurs et la 911 Turbo rivalise sans rougir avec plus puissante qu’elle comme sa contemporaine Ferrari 599 GTB Fiorano de 620 chevaux et ses 20,5 sec sur le 1000m départ arrêté. La 997 Turbo gagnera encore 30ch en version S de fin de carrière sans évolution de style notable ou réalisable sur simple option : PDK et freins PCCB obligatoires sont en effet également disponibles sur la Turbo « normale » moyennant finances.
La 997 Turbo est aujourd’hui au milieu du gué : unanimement saluée comme une totale réussite, cochant toutes les cases, elle est encore trop récente pour être considérée comme intemporelle et la présence au catalogue aujourd’hui de la 991, assez proche visuellement, lui fait un peu d’ombre. Gageons qu’elle gagnera sa place méritée d’ici quelques années lorsque le temps aura fait son œuvre.
991 Turbo : la meilleure (avant la prochaine…)
Nous arrivons à la génération actuelle de 911. La phase 1 est assez traditionnelle, si l’on excepte l’augmentation substantielle de l’empattement et par ricochet du volume globale de l’auto. En version Turbo, la 911 type 991 délivre 540 chevaux quand la Turbo S, pour la première fois proposée en même temps vous fait cadeau de 20 chevaux supplémentaires. Le récent essai de cette version est à retrouver sur le blog. La version cabriolet est toujours là pour profiter de toute cette armada cheveux au vent. La phase 2 est reconnaissable principalement à sa grille d’aération devant l’aileron arrière placée verticalement et non plus horizontalement et à ses phares arrières à relief. Cette phase 2, toujours en version normale ou S, délivre encore 20 chevaux supplémentaires pour culminer à 580ch. Ce sont encore 20 chevaux et une décoration… douteuse qui viennent terminer la gamme avec la Turbo S Exclusive Series de 600 chevaux.
C’est finalement par le bas que la révolution est arrivée et que la 911 Turbo perd brutalement (mais pas trop quand même) sa spécificité. En effet, la 991 phase 2 est désormais animée par un petit moteur de 3 litres … turbo. Les normes anti-pollution se faisant de plus en plus draconienne, le downsizing couplé au turbo est en effet la solution technique progressivement adoptée par tous les constructeurs, de luxe ou commun, pour leurs nouveaux blocs propulseurs. La 991 Turbo est donc peut-être la dernière de la lignée. Comment Porsche va-t-il gérer pour la génération prochaine, la type 992 attendue pour la fin de l’année, la dénomination de son vaisseau amiral ? Est-il envisageable que rien ne change et que subsiste cote à coté une 911 Carrera à turbo et une 911 Turbo ? Le choix de conserver le patronyme pour une simple phase 2 était logique, en sera-t-il de même pour la 992 ? A ce jour, aucune information n’est disponible sur ce sujet et la 992 Turbo ne devrait pas voir le jour avant la fin 2019 si Porsche suit son plan produit habituel. Si jamais il devait évoluer, ce serait la fin d’une grande lignée de voiture de sport mais pas une si grande rupture. Il serait en effet surprenant que l’esprit ne demeure pas d’une façon ou d’une autre avec une version luxueuse et performante de la plus mythique des voitures de sport.
Le cas « GT2 »
Furtivement évoqué dans le paragraphe consacré à la 964 avec la Turbo S Leichtbau, il serait injuste de traiter une brève histoire de la 911 Turbo sans faire mention de sa déclinaison radicale, la GT2.
La GT2 est née avec la génération 993 sous le patronyme officiel de 911 GT. Il s’agissait à l’époque, autre époque, d’une version d’homologation de la voiture qui courrait dans les divers championnats GT et d’endurance (BPR, 24h du Mans…). 25 exemplaires étaient requis mais ce sont finalement un peu moins de deux cents 993 GT qui seront vendues en 2 versions, 430 chevaux et la très rare 450 chevaux. Rien, sauf la puissance ne distingue les 2 évolutions. La GT est une version très dépouillée de la Turbo ayant perdu ses 2 roues motrices à l’avant. Affublée d’un immense aileron arrière et d’ailes rivetées qui feront sa légende, c’est aujourd’hui une voiture extrêmement recherchée et particulièrement vénérée dont les copies sont bien plus nombreuses que les originales, qu’il s’agisse d’upgrade de Carrera RS Club Sport (crime) ou de simples Carrera équipes d’un kit plus ou moins fidèle (simple délit).
La 996 fait perdurer la nouvelle tradition en version 462 puis 483 chevaux. Elle gagne également un aileron spécifique en plus de nombreux détails aérodynamiques et d’un intérieur toujours dépouillé. La production augmente nettement sans pour autant atteindre des sommets. Un kit Club Sport est proposé en fin de vie (sur la version 483 chevaux) avec quelques éléments en carbone (aileron, rétroviseurs) pour la distinguer.
La 997 suit le même chemin avec une GT2 basée sur la phase 1, produisant 530 chevaux. Si la ligne extérieure est également largement optimisée dans un esprit circuit, elle est peut-être la GT2 la plus civilisée de la lignée dans sa présentation. La phase 2 voit la naissance d’une première avec la GT2 RS, série limitée dont la puissance est portée à 620 chevaux ce qui en fait à cette période la Porsche de route la plus puissante de l’histoire, au-delà des 612 chevaux de la supercar Carrera GT. Le saut de puissance et la radicalité extrême de cette version justifie la reprise de l’appellation RS jusque-là utilisée pour les seules versions atmosphériques.
Mais ce n’est pas tout puisque pour la génération 991, il n’y a même pas eu de GT2 tout court mais directement celle actuellement en cours de production, la 911 GT2 RS deuxième du nom. Forte de 700 chevaux et d’un record du tour sur le circuit du Nürburgring, devant la très puissante (mais très lourde), 918 Spyder, son plan marketing était parfait. Pas forcément la plus élégante des déclinaisons de la 911 Turbo, sa bestialité est évidente dès le premier coup d’œil et fait rêver les foules depuis sa présentation l’an passé.
Plus de 40 ans après son arrivée sur le marché, la Porsche 911 Turbo va bien, mieux que bien. Elle fait figure, comme pour la simple 911, de mètre-étalon pour tout le reste de la production automobile de sport dont le prix se situe entre 180 et 250 000€ pour des puissances entre 550 et 700 chevaux. Sa polyvalence, ses performances, son statut de légende et ses chiffres de vente sont impressionnants. Si les concurrentes qui l’entourent ne sont pas en reste sur le caractère et l’aura (Ferrari, McLaren, Lamborghini, Aston Martin, Audi R8…), la variabilité de leur concept dans le temps n’offre pas la même constance et c’est toujours à elle qu’elles seront comparées et non l’inverse. La 911 est bien un cas unique dans l’histoire de l’automobile et rien ne laisse à penser que cela s’arrêtera. Alors un grand merci à Porsche de produire des SUV en masse pour assurer la production d’une telle voiture.
Crédit photos : Porsche, Pierre Clémence