Paradis terrestre
Rétromobile s’est terminé le 8 février à la Porte de Versailles de Paris. Mince, comment on va faire en attendant l’année prochaine ? Ben on va à la Cité de l’Automobile de Mulhouse, un lieu qui n’est ni plus ni moins de la plus grande collection automobile ouverte au public. Texte et photos: Gabriel Lecouvreur.
20 000 mètres carrés, 500 voitures de 98 marques, plus de 130 années consacrée à la mobilité sous ses dimensions les plus techniques et esthétiques : bonjour le mal de crâne pour le pauvre blogueur qui doit rendre compte d’un pareil endroit !
Heureusement, ce n’est pas la peine, car il existe un certain nombre de livres qui expliquent la Cité de l’Automobile (ex collection Schlumpf) avec exhaustivité et force détails. On mentionnera notamment un bouquin de 317 pages fait par des types qui y ont consacré leur vie. Ou presque.
Nous allons donc nous contenter de brosser les grandes lignes de cet endroit fabuleux que tout passionné digne de ce nom se doit au moins de visiter une fois dans sa vie.
Déjà, l’entrée de la Cité de l’Automobile donne la mesure. La façade est spectaculaire avec ces automobiles suspendues se reflétant dans une matrice de verre, avec en arrière-plan l’œil d’un cheval qui comprend que son règne est fini. Ca, c’est de la métaphore. Petite info supplémentaire : ce travail d’architecte a été réalisé par le Studio Milou (dont le patron ne s’appelle pas Tintin, mais Jean-François Milou).
Entrons dans cet antre. Qu’est-ce que l’on y trouve ?
Des vieux tacots ?
Oui, plein de vieux tacots ! Cela commence par la première automobile brevetée, la Delamare-Deboutteville et Malandin de 1884, la première automobile au monde mue par un bicylindre 4-Temps. Exposée à côté d’une machine à vapeur dont elle signifie l’arrêt de mort, la Delamare-Deboutteville et Malandin fera rapidement des petits. La décennie 1890 est celle de la multiplication exponentielle de la mobilité, les artisans étant nombreux à foncer dans ce nouveau business. Dans cette phase exploratoire, l’uniformité n’est pas de mise : entre les châssis avec installation des passagers en vis-à-vis et les « tonneaux » qui ressemblent à un canapé monté sur deux longerons.
La Cité de l’Automobile fait la part belle à cette période. Il faut certes un brin de souplesse intellectuelle et de culture automobile pour tout mettre en perspective, mais l’espace alloué à cette période glorieuse est carrément conséquent. Ce que l’on retient, également, c’est que la notion de performance a très vite fait son entrée dans le cahier des charges. En témoignent ces bolides du début du XXème siècle, comme cette Mathis de 1904 avec son moteur de 12,1 litre développant 92 chevaux et capable de friser le 140 en pointe… Des volontaires pour reproduire l’expérience ?
123 Bugatti !
Tout ça c’est bien beau, mais la véritable raison de visiter la Cité de l’Automobile, c’est d’abord parce qu’elle contient la plus grande collection de Bugatti au monde, avec pas moins de 123 automobiles de la marque de Molsheim, fondée en 1909 par Ettore Bugatti et voisine du Musée.
Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais à la Cote de l’Argus, 123 Bugatti, ça doit chiffrer un peu. En tous cas, en ce qui me concerne (je sais que ça vous intéresse pas, mais bon), je pensais avoir un brin de culture automobile en entrant à la Cité de l’Automobile. Pour moi, Bugatti pouvait se résumer dans le triptyque « barquettes de course façon Type 35 ou Type 57 / limousine de grand luxe type Royale / renaissance avec la Veyron » qui, évidemment, sont toutes au musée. Avec 10 000 victoires en compétition, la marque d’Ettore est éminemment liée au sport.
Ça, c’est ce que je pensais. Mais j’aurais dû écouter le grand Jean Gabin et sa chanson « maintenant, je sais que l’on ne sait jamais ». On a beau penser que l’on a un peu de culture automobile, les certitudes font place à l’humilité lorsque l’exhaustivité surgit dans votre horizon.
Non, Bugatti n’a pas fait que des voitures racées et des limousines de Maharadjah. Des petites berlines familiales assez pépère du début des années 20 aux autos ampoulées des années 50, reconnaissables par leur calandre en fer à cheval, l’histoire de la marque est bien plus riche que l’on peut l’imaginer au premier abord. Cette marque extrêmement riche est ainsi représentée dans sa grande diversité et rien que pour ça, la Cité de l’Automobile vaut le détour !
France, Allemagne… et Italie
Par son nom et son gigantisme, on pourrait penser que la Cité de l’Automobile a vocation à couvrir l’histoire de la mobilité à travers le monde. Pourtant, passé les premiers moments de magie où l’iris est saturé de tant de beautés, l’on réalise qu’il s’agit en fait d’une collection presque « locale » où la France et l’Allemagne sont principalement représentées (pour les nuls en géographie, merci de regarder où se situe Mulhouse sur une carte…), avec l’Italie à la marge.
Certes, la France et l’Allemagne sont indubitablement les deux piliers de la naissance de l’Automobile et la première partie de l’exposition fait à juste titre hommage à ces deux nations, mais la sélection n’est pas totalement exhaustive. Il s’agit d’un choix des frères Schlumpf, industriels du textile ayant démarré cette collection comme musée privé dans les années 60, et qui se respecte en tant que tel.
On trouve donc une Maybach de la belle époque, un grand nombre de Mercedes des années folles, se distinguant déjà de la masse par leurs dimensions et leurs performances ainsi qu’une magnifique Audi Type E de 1913 avec son 4 cylindres en ligne de 5,7 l., et l’on regrette la faible représentativité de Porsche, à part quelques rares modèles dans la section compétition.
Quelques autos populaires, et c’est une bonne chose, sont présentes à la Cité de l’Automobile : une 4CV Renault trône en bonne compagnie, avec une 2CV Citroën et une Trabant, une Simca 1000 compare ses formes cubiques avec celles d’une Aston Martin Lagonda. Il est vrai que les autres nationalités sont bien peu représentées : on notera la présence d’une belle Tatra à moteur V8 arrière refroidi par air, pour se lamenter de l’absence d’américaines, de japonaises, de russes. Il y a peu d’anglaises à part quelques belles Rolls Royce dont une intrigante Silver Shadow pick up et une belle Standard Swallow qui préfigurait les Jaguar, cette marque ayant été menée par William Lyons, ainsi que deux belles Lotus de Formule 1 des années 50.
Même si les Italiennes sont un peu plus présentes, la sélection est-elle représentative ? Quelques belles Ferrari, dont une 250 LM de 1964 ainsi qu’une belle 450 AM Coupé, mais n’y avait-il pas mieux qu’une Testarossa grise pour leur tenir compagnie ? Pas de Lamborghini, mais on se console avec une somptueuse Alfa Romeo 8C 2900 A de 1936 !
Des voitures de course !
La plus belle ligne de départ au monde est certainement là, sous vos yeux ! Entre la Bugatti Type 32 de 1923 et ses formes de fer à repasser futuriste aux F1 modernes, en passant par quelques belles autos d’Endurance, la section compétition dévoile un incroyable assortiment de Bugatti Type 35 et Type 57, une Alfa Romeo 12C de 1939 qui donne la réplique aux flèches d’argent allemande de la fin des années 30. Il suffit de fermer les yeux pour sentir l’huile chaude…
Gordini, Lotus, Ferrari (dont une belle F1 à moteur flat 12, exposée dans un autre endroit du musée), Alfa Romeo, elles sont toutes là ces voitures qui demandaient à leur pilote une vraie dose de bravoure, en plus d’une grosse louche de talent et d’un bon stock de bonnes étoiles.
Les joyaux de l’automobile
Là, c’est le graal du musée : les autos les plus prestigieuses d’avant guerre, dans les années 30, là où les fastes finissaient de briller entre crise de 29 et préparatifs du Cauchemar planétaire. Les Delahaye, Hispano-Suiza, Rolls Royce ne sont que des faire-valoir aux trois Bugatti Royale, ce summum de l’exclusivité, avec son empattement de 4,3 mètres, sa longueur de 6,4 mètres et son moteur 8 cylindres en ligne de 12,7 l !
La Cité de l’Automobile en expose deux, la Royale Coupé Napoléon et la limousine Royale Park Ward ainsi qu’une réplique construite avec des pièces d’origine, en hommage à la version Royale Esders Coupé. Particularité, cette auto ne possède pas d’éclairage, son propriétaire n’ayant prévu de s’en servir que de jour !
Paradoxe de la Royale : faite pour les rois, aucuns d’entre-eux ne fut l’acquéreur et seuls trois des six exemplaires produits furent vendus…
Cerise sur le gâteau en sortant du musée, la présence temporaire d’une Hong Qi CA 770, qui n’est pas la version allongée d’une Peugeot 404 ( !) mais la limousine officielle de la présidence chinoise et des invités prestigieux.
On le voit, même sans aborder la dimension sociale de cette collection montée dans les années 60 par de richissimes industriels du textile qui l’ont stocké dans de vieux bâtiments de leurs filatures à l’instar des employés, ces derniers la découvrant, abasourdis, lors de la faillite du groupe en 1977, la collection Schlumpf devenue Cité de l’Automobile mérite la visite. Voire plusieurs, le temps nécessaire à intégrer dans le détail la richesse et la diversité de l’exposition. Avouez que, rapporté au prix modeste de l’entrée (11 euros à comparer aux 18 euros de Rétromobile), ça en fait une distraction carrément bon marché !
Le reste des photos de Gabriel :