C’est à l’occasion du salon Rétromobile que nous avons eu la chance de rencontrer Stephan Winkelmann. Ex patron de Lamborghini et d’Audi Sport, il préside aujourd’hui aux destinées de Bugatti. Un CV qui peut impressionner, mais un homme très abordable et convivial.
Blogautomobile : Bonjour M. Winkelmann, je vous remercie vivement d’avoir accepté la demande d’interview
Stephan Winkelmann : Je vous en prie !
B.A. : ma première question : vous avez été le patron de Lamborghini, Audi Sport, assez brièvement, et maintenant Bugatti. Comment compareriez-vous ces trois sociétés ? Quelles sont leurs différences, leurs similitudes ?
S.W. : elles sont similaires car ce sont des sociétés produisant des voitures performantes. Leurs employés sont très passionnés et motivés par ce qu’ils font, et c’est plus facile de diriger une société avec de tels collaborateurs, aussi impliqués. Ce sont des marques de luxe et de performances, fabriquant des surpercars, mais il n’y a qu’un seul Bugatti.
B.A. : Bugatti c’est le “haut du panier”, il n’y a rien de mieux ?
S.W. : non, Bugatti c’est le rêve du monde automobile, c’est aussi le rêve pour les fans et les clients.
B.A. : C’est aussi un rêve pour le patron ?
S.W. : (rires) oui, c’est aussi un rêve pour le patron !
B.A. : quels sont vos défis pour les années à venir à la tête de Bugatti ?
S.W. : développer la marque, accroître sa notoriété, mettre en avant sa nationalité française, avoir une gamme de produits qui va au-delà des attentes des clients et des amateurs de la marque et investir dans les technologies judicieuses pour le futur. Voici à mon sens les sujets les plus importants. La marque est clairement prête pour plus, mais nous sommes de petite taille et nous devons également trouver les financements.
B.A. : votre principal produit, ou presque votre unique produit, est la Chiron. J’ai lu récemment que le prochain créneau libre pour en commander une était en 2022. Les ventes se portent donc bien ?
S.W. : Oui, en effet, les ventes sont bouclées jusqu’en 2022
B.A. : Cela veut dire que toutes les Chiron sont vendues ?
S.W. : non, il en reste. Si vous en voulez une, je peux vous la vendre.
B.A. : nous discuterons du prix tout à l’heure… Comparé à la Veyron, pour laquelle il a fallu près de 10 ans pour vendre les 450 exemplaires prévus, il semble que la Chiron se vende mieux
S.W. : je n’étais pas encore chez Bugatti à l’époque de la Veyron, mais il semble bien que la Chiron se vende à un rythme plus soutenu. Nous avons une base clients déjà établie et un produit encore plus abouti. La marque dispose aussi d’une plus grande notoriété et d’une meilleure image.
B.A. : une meilleure image qu’il y a 10 ans, quand Bugatti venait de renaître pour la seconde fois ? A présent, la Chiron est une meilleure voiture, et le marché connaît mieux la marque et sait de quoi elle est capable ?
S.W. : croisons les doigts !
B.A. : avec la Divo, vous avez créé pour la première fois un dérivé d’une voiture existante. Elle est déjà totalement vendue (40 exemplaires, NDLR). Allez vous continuer cette politique de dérivés hyper exclusifs ?
S.W. : nous allons répéter ce genre d’opérations de temps à autres. Je pense que c’est important de souligner ainsi la force de la marque mais aussi d’explorer différentes facettes de ce que les performances peuvent vous apporter
B.A. : la Divo est plus orientée “piste” que la Chiron ?
S.W. : non, plus orientée vers les angles, les courbes. Ce n’est pas qu’une voiture de lignes droites, mais une voiture à l’aise dans les virages et à l’aise au freinage. Pour moi, le comportement des voitures est un des aspects que nous devons développer.
B.A. : Bugatti a-t’il de vrais concurrents sur le marché ? Je pense à des constructeurs comme Pagani, Koenigsegg ou d’autres, sont-ils une concurrence pour vous ou êtes-vous très différents ?
S.W. : Je pense qu’il s’agit de sociétés qui s’adressent aux mêmes clients, mais il n’y a pas de comparaison possible entre Bugatti et une autre marque. Bugatti est le meilleur des deux mondes. D’habitude vous devez choisir entre une supercar sportive ou une voiture de luxe confortable. Ce qui fait la différence de Bugatti c’est que nous concilions les deux. C’est une voiture très facile à conduire, très confortable, mais c’est en plus une hypercar très impressionnante, dotée d’un grand “wow effect”.
B.A. : vous avez récemment déclaré que Bugatti ne construirait pas de SUV, ce qui me convient personnellement, mais cela signifie que Bugatti ne construira dans le futur que des voitures de sport, des coupés 2 portes ?
S.W. : j’ai dit que Bugatti ne construirait pas de SUV, pas parce que je ne les aime pas, je les apprécie à vrai dire, mais je pense que Bugatti pourrait créer quelque chose de différent, avec un style de carrosserie qui n’existe peut-être même pas encore aujourd’hui, quelque chose de très spécial. C’est pour nous un objectif, et c’est pour cela que nous avons dit non aux SUV.
B.A. : vous ne savez pas exactement ce vers quoi vous allez vous tourner ? Une 4 portes comme le concept Galibier ou la Lamborghini Estoque que j’appréciais beaucoup ?
S.W. : (sourire) je ne peux pas en parler…
B.A. : quel est l’avenir des motorisations de Bugatti ? Allez vous développer les moteurs hybrides, électriques ?
S.W. : nous sommes satisfaits de notre moteur actuel, qui est le fer de lance des moteurs à essence, mais il a des limites. Nous ne pourrons pas continuer à le construire ainsi à l’avenir en raison des réglementations anti pollution. Mais nous avons à présent le temps de penser au moteur qui équipera la voiture qui succédera à la Chiron.
B.A. : la remplaçante de la Chiron arrivera à quelle période ?
S.W. : 2025 ou 2026. Mais si nous réfléchissons à un second modèle, il arrivera avant cette date. Mais ce sera un segment différent, une voiture utilisable au quotidien, et ce sera une opportunité pour en faire une voiture tout électrique. Nous n’avons pas encore décidé de fabriquer un deuxième modèle, mais ce serait l’occasion de le faire. C’est ainsi que nous voyons les choses en tous cas.
B.A. : Bugatti a un passé sportif très riche, mais ne dispose aujourd’hui d’aucun engagement en compétition. Est-ce que la nouvelle réglementation à venir du championnat WEC est une opportunité pour Bugatti de s’engager dans le championnat d’endurance ou même de courir les 24h du Mans ?
S.W. : je regarde cette réglementation avec attention, mais elle ne correspond pas à la Chiron, c’est complètement différent de ce que notre voiture propose. Et pour les catégories GT3, GTD ou GTA, notre voiture est trop chère. Aucune équipe n’en voudrait car elle coûterait dix fois plus cher que les autres voitures. Il n’y a donc à ce jour aucune chance de voir une Chiron engagée en course.
B.A. : c’est quelque chose que vous aimeriez, revenir à la compétition ?
S.W. : j’adorerais, mais je ne vois pas de possibilités en ce moment
B.A. : une question sur la Divo. Elle comporte un petit drapeau français sur l’aile avant. Le client pourra-t’il le modifier si il le souhaite ?
S.W. : oui, il pourra le changer s’il le souhaite. Mais pour nous c’est quelque chose d’important que de montrer que c’est une voiture française
B.A. : c’était justement ma prochaine question. Bugatti est-elle une société française, allemande, italienne ?
S.W. : nous nous voyons comme une société française. Le fondateur était italien, mais il est devenu français au cours de sa vie. Nous fabriquons en France, où se trouve notre siège social. Nous voulons être clairs là dessus, c’est important en terme de notoriété. Nous voulons également que plus de personnes viennent visiter le site de Molsheim. Cela fait partie de notre travail, pas uniquement parler des voitures.
B.A. : également parler de votre histoire, de votre patrimoine ?
S.W. : tout à fait !
B.A. : à propos de votre patrimoine, justement, vous fêtez cette année votre 110ème anniversaire. Que pouvez nous dire à propos des célébrations ou du rallye Milan – Molsheim qui sera organisé en septembre ?
S.W. : ah, vous êtes déjà au courant pour le Grand Tour ? Il s’agira en effet d’un rallye divisé en deux groupes. D’un côté les Veyron et Chiron, qui feront le Long Tour de Milan à Paris puis une arrivée à Molsheim. Et sur la dernière étape Paris-Molsheim, des Bugatti anciennes se joindront au rallye pour l’entrée finale dans Molsheim. Il s’agit d’un rallye avant tout pour nos clients.
B.A. : profiterez-vous de l’occasion pour révéler un nouveau modèle, ou une surprise à vos clients ?
S.W. : (sourire) hum… attendons le mois de septembre !
B.A. : j’attendrai ! Puisque nous sommes à Rétromobile, si vous deviez choisir une, et une seule voiture, que choisiriez-vous ?
S.W. : je n’ai pas encore eu l’occasion de parcourir le salon, mais je ne suis pas un collectionneur. J’aime les voitures, mais je préfère plutôt les voitures modernes que les anciennes. J’habite en ville, mon garage n’est pas très grand et ce ne serait pas très facile.
B.A. : si je peux me permettre, quelle est votre voiture de tous les jours ?
S.W. : je conduis beaucoup la Chiron pour des tests, mais ma voiture de tous les jours est une Porsche Panamera.
B.A. : merci beaucoup pour cet entretien M. Winkelmann
Je tiens à remercier vivement l’équipe de Bugatti pour leur chaleureux accueil et pour avoir permis cette rencontre, ainsi que mon photographe du jour, Joris Clerc, pour sa disponibilité au pied levé.
Entretien traduit de l’anglais
Crédits photos : Joris Clerc, Bugatti