Même dans son aguichante version Roadster doublée d’un étonnant coloris orange cuivré, la BMW i8, quatre ans après son lancement, n’est toujours pas une grande sportive GT comme les autres. Essai intrigué et fasciné.
Avant de décliner dans la vie et de finir comme scribouillard qui essaie des voitures, je me suis tapé quelques (longues, très longues) années de fac de sciences sociales, où l’on a essayé de m’expliquer, en me citant les plus grands auteurs, que le réel était complexe et qu’il ne fallait jamais catégoriser les choses ni les simplifier à outrance. Déjà, à l’époque, je lisais des magazines de bagnoles sur les bancs de l’amphi. Le cancre est démasqué.
Il n’empêche : au moment où je me retrouve au volant de cette étonnante i8 Roadster, dans son coloris orange cuivré (« E-Copper », une option à 850 €), je ne peux m’empêcher de me demander à qui elle est destinée. Et je vois le client type vivre en Californie et faire un boulot assez lucratif, tiens, le genre de mec qui passe son temps à poser des implants mammaires, tout en me sentant coupable, moi, être subtil et délicat, de succomber à de tels stéréotypes. Bref : Nick & Tuck, en quelque sorte : beau gosse, bronzé, forcément aisé, la conscience gentiment écolo, avec l’envie de montrer à ses voisins que lui, il a réussi mais il fait quand même un effort pour l’environnement, mais que c’est pas non plus une raison pour se trainer la life dans une insipide auto greenwashée. J’en suis à ces réflexions au moment où je pose l’engin dans mon parking, heureux hasard, aux côtés de ma moto d’essai du moment. 157 050 € d’un côté, 28 850 de l’autre pour l’Indian Chieftain Limited (rassurez-vous, j’ai des semaines plus proches du peuple), et toc, mes voisins doivent se dire que je pose des implants mammaires. Funestes illusions.
Des hauts et des bas
La i8, ça fait quatre ans qu’on la connaît. Et si BMW clame qu’elle a été la sportive hybride la plus vendue, c’est aussi parce qu’elle n’a pas de concurrentes. Difficile d’avoir un avis tranché sur la question de savoir si ses chiffres de vente confinent au vrai succès. On parle de 13 600 exemplaires en 4 ans ; pour info, une Porsche 911, c’est entre 9 et 10 000 unités par an, au niveau mondial.
Toujours est-il qu’elle se fait rare dans nos rues, et que son pouvoir de séduction n’a pas pris une ride. Le coup des portes « papillon » (ou presque : en élytre, en fait), ça étonne toujours, et la carrosserie qui semble sculptée par le vent, ça reste une grande source d’émotion, y compris à l’intérieur, quand on voit la « vague » qui surmonte les ailes arrière se détacher dans le rétroviseur.
Ce n’est pas tout : l’i8 évolue. Plus de batterie, plus de puissance, plus d’autonomie. La nouvelle batterie Li-Ion peut délivrer 34 Ah contre 20 Ah auparavant et dispose de 11,6 KWh, soit 3 de plus qu’avant. Le moteur électrique a gagné 12 ch : c’est 143, désormais. Avec le thermique (pour rappel : le même 3 cylindres 1.5 des Mini, mais sérieusement boosté, bien que n’évoluant pas à 231 ch à 5700 tr/mn), la puissance cumulée est de 374 ch. Les performances annoncées font état d’une vitesse de pointe presque décevante (250 km/h à, pour info, 4900 tr/m, en 6ème, c’est la même Vmax que fait une Peugeot 508 PureTech 225 qui coûte quatre fois moins chère ! – je sais, la comparaison vaut ce qu’elle vaut) mais le 0 à 100 dépote quand même un peu, avec 4,6 secondes. L’i8 Coupé 2018, elle, est désormais donnée pour 4,4 s. Pas mal.
Dépoter ? Décapoter ? La vie est une question de choix et je pars sur la seconde option. L’opération ne prend que quelques petites secondes (une quinzaine, objectivement, c’est rapide, et peut se faire en roulant jusqu’à 50 km/h). Et là, c’est une expérience inédite qui s’offre à moi : l’engin ressemble à un OVNI, les lignes racées disent qu’elles vont mettre la misère au premier C4 Picasso HDI (au hasard) qui va faire le malin au feu vert, mais à bord, c’est silence et volupté.
Car l’autonomie a progressé. Et pas qu’un peu : de 37 à 53 km en tout électrique (elle m’en affiche 51 au départ, batteries pleines). Dans les faits ? Elle les fait et elle fait même mieux ! De chez BMW France à Montigny-le-Bretonneux (78) à mon domicile de Vincennes (94) (39,4 km selon Mappy) sans cramer une goutte d’essence, tranquille (et il restait 22 bornes sur les batteries). J’ai peut-être battu un record, mais toujours est-il que la descente de l’A13 en roue libre et un périph’ vraiment fluide en cet été aident à l’éco-conduite. De même, l’i8 Roadster peut rouler sur les batteries jusque 120 km/h, contre 70 km/h sur la première génération d’i8.
De toute façon, au fil de cet essai mené principalement autour de la grande banlieue parisienne (donc sans véritables occasions de dégoupiller longtemps), ma conso moyenne aura été de 7,4 l/100, soit une valeur imbattable pour une auto de cette trempe. Certes, en NDEC, BMW revendique 2,1 l/100 et 46 g de CO2 pour l’i8 Roadster.
Et sinon ?
Et sinon, l’i8 Roadster vous change la vie. Déjà, subitement, vous êtes devenu très beau. Auto garée dans la cour d’un resto chinois (formule tout compris et à volonté à 13 €, c’est imbattable), j’aurais pu me marier avec plusieurs serveuses si j’avais eu des intentions polygames. On rappellera que par rapport au coupé, l’i8 Roadster perd ses deux petites places arrières. La vie est une question de choix. Du coup, pour ne vexer personne : pas de serveuse !
Vivre avec une i8 Roadster demande un peu de compromis : l’accès à bord n’est pas supra simple, pour commencer. Les portes en élytre vous demandent de poser les fesses d’abord, en enjambant le caisson en carbone, puis les jambes ensuite. Sauf que quand vous avez 160 000 euros à mettre dans une voiture, soit vous êtes Mark Zuckerberg, soit vous avez déjà une hanche artificielle. Rooh, le nouveau cliché ! Encore un qui n’a pas écouté ses profs.
Par contre : une fois à bord, rien à dire sur la position de conduite ni sur l’ergonomie d’ensemble, pas plus que sur la qualité de construction, encore plus avec ses sièges orange (une option à 3500 €).
Il n’empêche : l’i8 Roadster ne dispose que de peu d’espaces de rangement : téléphone, étui à lunettes, portefeuille, tout cela se retrouve derrière les sièges et valdingue au premier rond-point appuyé ; il y a aussi le petit coffre à l’arrière, mais sa contenance ne fait que 88 litres et si vous faite des courses, le gigot arrivera cuit à la maison, c’est parfait. C’est pour moi la principale critique de cette auto, à part sa largeur (1,94 m), un peu handicapante pour du quotidien dans Paris, d’autant que la visibilité périphérique n’est pas extraordinaire.
On critique, mais l’expérience est quand même sidérante. Au quotidien, une fois les batteries vidées, on ressent malgré tout quelques à-coups de la boite auto à 6 rapports, mais c’est surtout une double sensation qui vous submerge. La première, c’est une sorte de force tranquille : l’i8 est facile, l’i8 ne demande pas de mode de conduite compliqué, l’i8 est confortable en sièges, en suspensions, en maîtrise des bruits de roulements. C’est une vraie GT avec tout le confort, l’affichage tête haute, le régulateur adaptatif, tout ça. On a dit pas de mode de conduite compliqué : c’est vrai ! L’i8 est un mix étonnant entre une coque en carbone supra rigide, des suspensions finalement assez souples, et des pneus presque bas de gamme (des Bridgestone Potenza S001 mais en 195/50 R20 devant, et qui saturent finalement assez vite). Du coup, on se dit qu’on a préférence à enrouler, même rapidement.
Certes : mettre le mode « sport » fait changer les compteurs d’apparence, tout se raidit (mais les suspensions ne deviennent pas cassantes pour autant) et le trois cylindres tonne comme s’il était au moins deux fois plus gros (le travail sur l’échappement fait partie des évolutions 2018), mais avec 374 ch pour 1670 kilos (60 de plus que sur le coupé), on est partagé. Certes, ça pousse, certes, on est vite un délinquant routier, certes, si on insiste, on va finir à la une de son quotidien régional, rubrique « il a gagné un voyage pour Cayenne », mais si l’i8 Roadster déboîte évidemment tout le trafic ambiant, elle reste en toutes circonstances confortable, contrôlable, elle n’a rien de vraiment effrayant comme peuvent l’être une Jaguar F-Type R ou une Nissan GT-R. L’i8 est une sportive éco-responsable, qui vous double avec un vent qui vous file une angine, mais sur les batteries, tandis que le bossage du toit et la petite vitre pare-vent garantissent un vrai confort, même décapoté. Bref, l’i8, c’est le croisement entre une Prius et une Porsche 917. Je kiffe.
Crédit photos : Gabriel Lecouvreur