La fin du monde !!! Oui !!! Ou alors le début d’un autre ? Quelques éléments de réflexion sur la dernière génération de supercars en date : Aston Martin Valkyrie, Mercedes-AMG Project One et autres McLaren Senna.
“La laideur se vend mal”, comme le disait le grand designer Raymond Loewy, créateur entre autres des logos LU, Lucky Strikes et de plusieurs modèles de Studebaker dont l’Avanti. Il faut croire que le bonhomme n’avait pas tout à fait raison, à voir la dernière fournée de supercars dont vous nous gratifier les grands spécialistes du genre. Déjà toutes vendues avant même d’être annoncées, cette génération me laisse dubitatif. Je n’ai pas envie de faire mon vieux con et de râler en grommelant “c’était mieux avant, nondidiou”, mais quand même, le cœur y est un peu !
La première supercar plus ou officiellement reconnue comme telle est la Lamborghini Miura. Elle a tout bouleversé avec son V12 transversal en position centrale arrière, son dessin à couper le souffle par Marcello Gandini et ses performances de premier plan. Ferrari mettra des années à s’en remettre et à essayer d’organiser la riposte. Pour le reste de l’histoire des supercars et un inventaire plus ou moins exhaustif, je vous redirige vers les excellents articles de mon estimé collègue Pierre, à retrouver ici, ici ou même là (les articles, pas Pierre éparpillé façon puzzle).
Pour moi, les premiers émois liés aux supercars remontent à l’époque des dérivés “Groupe B” : les Porsche 959, Ferrari 288 GTO et F40, sans oublier la Countach, pas un dérivé Groupe B, déjà vieillissante, mais toujours alerte et spectaculaire. Les années 80 donc, à l’apogée de Madonna et Dire Straits. A l’époque, pas de spéculation intense, pas de “on vend la voiture avant de la produire”. Non, c’était à la dure, en prenant des risques, et dans un but autre que purement mercantile : la sacro sainte compétition (même si la F40 a commencé à corrompre un peu ce système…). Et il y avait un véritable travail de carrossier et de dessin pour rendre cette supercar utilisable quasiment tous les jours. Aujourd’hui, elles ont vieilli (moi aussi hélas), mais elles font partie de l’histoire, voire même du patrimoine automobile (moi non par contre…). Les années passèrent, les générations de supercars se sont succédé : Enzo, Carrera GT, Veyron, Zonda, etc…
Ah ça, on peut dire que ça ne manque pas pour habiller les murs des chambres des gamins ou les fonds d’écran de smartphones. Aujourd’hui, il suffit parfois même de vendre une supercar quasi virtuelle en espérant appâter le client. Les Zenvo, Rimac et autres projets fantaisistes n’existent jusqu’à preuve du contraire qu’à l’état de prototype pour l’instant, sans même parler de machins encore plus exotiques pour appâter les gogos fortunés. Revenons sur la dernière triplette “classique” : Porsche 918, McLaren P1 et Ferrari LaFerrari, la “Sainte Trinité”. A la fois les dernières et les premières d’un nouveau genre. Toutes les trois disposent pour la première fois d’une technique d’hybridation thermique/électrique plus ou moins évoluée.
La 918 peut rouler en électrique seul, tandis que la LaFerrari ne peut officiellement que se servir de la puissance du KERS en complément au thermique. Et esthétiquement, elles sont pourtant dans une certaine continuité. La filiation Carrera GT/918 est évidente, la LaFerrari a des lignes tendues comme une Enzo. Seul McLaren a innové en évitant les rappels à la mythique F1. Mais pour autant, elles gardent une esthétique, un design, compréhensibles. Les ailerons, mobiles ou non, sont là où on les attend, l’habitacle est dans la norme d’une voiture sportive. Tenez, la 918 a même encore des bons vieux compteurs à aiguille ! Supercar oui, mais encore à portée du grand public.
Et puis voilà déjà pointer la nouvelle génération. Dopées aux jeux vidéo, aux pétrodollars qui ne tarissent pas encore et au pouvoir d’achat sans fond d’oligarques aux goûts parfois douteux, les nouvelles supercars me laissent perplexes. Tout a peut être commencé grâce (ou à cause) du jeu vidéo GranTurismo. En proposant aux plus grands constructeurs de créer des modèles virtuels à l’usage du seul jeu vidéo, Polyphony Digital a ouvert la boîte de Pandore. Les modèles Vision GranTurismo se sont succédés, toujours plus puissants, toujours plus spectaculaires. Certaines sont clairement réussies (Mercedes Vision Gran Turismo), d’autres… comment dire… Il vaut mieux qu’elles restent à l’état de pixel. Et certains n’ont pas vraiment compris le but du jeu en proposant des versions à peine retouchées de modèles de série.
Mais sur le lot, tout n’est que profusion d’ailerons, de lignes agressives, une avalanche de puissance, thermique, électrique, hybride, peu importe, il faut en jeter le maximum pour impressionner. C’est un jeu, l’imagination est débridée. Mais voilà, certains se lancent pour de vrai. Premier essai timide de passage du virtuel au réel : l’Emerson Fittipaldi EF7. Si la carrosserie affiche une ressemblance certaine avec une Enzo (dessinée par Pininfarina, cela peut expliquer), c’est dans l’habitacle que la révolution commence. Pour faire simple, c’est une voiture de course immatriculée ! Oublié le cuir douillet d’une Bugatti Chiron, place au carbone brut, à l’Alcantara et au boutonneux volant de F1.
Mais ce n’est rien comparé aux dernières nouveautés d’un marché toujours avide de quelque chose qui sorte de l’ordinaire et de performances extrêmes et inutiles. L’Aston Martin Valkyrie est un OVNI sur pattes. Son aérodynamique hyper sophistiquée a dicté la création d’une nacelle suspendue. Beau travail d’ingénieur, sans doute, mais pour quelle finalité ? Inconduisible au quotidien, bannie des compétitions officielle, elle ne servira à pas grand chose d’autre qu’à parader entre les palaces des villes les plus hypes ou, pour les plus chanceux des exemplaires, à faire quelques tours de circuit à l’image de son aînée la Vulcan. Et il en sera de même pour son homologue Mercedes AMG Project One. Techniques de pointe (1000 ch tirés d’un V6 hybride de 1,6 litre, vraiment ??), habitacle dépouillé à l’extrême, aérodynamique de F1, elle aura pourtant le droit de rouler sur route ouverte, comme son aïeule la CLK GTR. Toute la force du marketing de ces marques se tourne d’ailleurs vers l’image de la compétition et du circuit, seul terrain de jeu encore disponible.
Mais on va encore plus loin avec la nouvelle Apollo IE, boule de nerf hérissée d’arêtes et d’angle aigus. Le summum est peut être atteint par McLaren qui nous a gratifié de la Senna. Les recettes sont à nouveau les mêmes : esthétique au mieux “particulière” totalement conditionnée par la recherche de l’efficacité maximale, dépouillement extrême, moteur surpuissant, etc… Et le jeu ne va bien sûr pas s’arrêter là. Le client est roi et demande toujours plus d’exclusivité.
J’ai envie de demander : à quoi bon tout ça ? Les réglementations actuelles autophobes ne vont pas dans le sens de la tolérance pour de telles voitures. Pollution, embouteillage, ne cherchez pas, elles ne sont pas adaptées, même en arborant une vignette Crit’Air 1. Les chances d’en croiser une sur la Croisette de Cannes ou devant le Plaza Athénée de Paris sont quasi nulles, à moins de s’installer avec tente et sac de couchage, et encore. Et même le sanctuaire monégasque pourrait un jour leur être interdit. Leur inconfort total et leur non praticité leur interdit de toute façon de circuler régulièrement. Une Ford GT est un engin de piste fabuleux, mais oubliez l’idée de partir en week-end avec : le coffre de 11 litres ne pourra contenir que votre brosse à dents. La compétition ? A moins d’un développement en catégorie GTE, ces voitures resteront cantonnées à des exhibitions ou des formules monotype entre gentlemen drivers. Pour le rêve ? Passe encore pour la Valkyrie ou la Project One. Mais la définition de la supercar pouvant être vue avec un peu de chance dans certains endroits sélects est en train d’évoluer. Le focus se fait sur les performances pistes, le seul endroit où elles peuvent évoluer à leur aise.
Elles seront transportées en camion sécurisé ou prendront la poussière dans des collections privées. Ferrari au moins a fait il y a longtemps un choix qui donne vie à ses éditions limitées : les 599 XX, FXXK et autres FXXK EVO sont destinées à courir, et le font très régulièrement notamment lors des Corse Clienti. Pas sûr qu’il en soit de même avec les Valkyrie par exemple, même si des versions AMR ou même AMR Pro sont annoncées, mais évidemment inconduisibles sur routes ouvertes.
En fait, je pense qu’on atteint une période charnière qui va voir un dédoublement de la catégorie. D’un côté la supercar à l’ancienne, qui sera au moins hybride, voire tout électrique, mais qui sera encore utilisable dans la vraie vie sans trop de contraintes (Bugatti Chiron ou Porsche 918 par exemple) et de l’autre les bêtes de piste teigneuses, extrêmes, cherchant avant tout la performance maximum au mépris de toute règle esthétique, pratique ou homologative. Et entre les deux, c’est un compromis avec une position forcément inconfortable, ce qui nous amène à la génération actuelle, pas à l’aise dans la rue, mais pas aussi performante qu’elle le pourrait si elle pouvait se passer d’une homologation.
D’ailleurs, McLaren semble suivre cette voie avec une très probable version GTR de sa Senna, dédiée à la piste, tandis que le tout jeune Brabham Automotive va faire le chemin inverse en civilisant sa BT62 pour la route. Quoi qu’il en soit, les gamins devraient continuer à se retourner sur les belles carrosseries dans les années à venir, pas d’inquiétude à avoir là dessus ! Et pour mettre fin à ce dilemme, la toute puissante FIA vient de décider de changer radicalement le règlement des courses d’endurance WEC en l’ouvrant aux véhicules de type hypercar. De quoi peut être arriver à concilier les deux mondes ? Reste à voir de quoi sera fait exactement ce règlement. Affaire à suivre.
Crédits photos : constructeurs respectifs, Ugo Missana, Nicolas Jeannier, Régis Krol