1945 : la Jeep sauve l’Occident du joug nazi. Sept décennies plus tard, la France, reconnaissante, lui colle 10 000 € de malus dans les dents. Y z’auraient préféré qu’on marche en cadence et qu’on parle allemand, ou quoi ? Quelle ingratitude !
L’année 2016 a été carrément cruelle pour l’humanité. Car notre civilisation a dû accepter l’idée de se défaire définitivement des personnalités telles que l’icône de la pop David Bowie, du roi de la sape Papa Wemba, du géographe Jean-Christophe Victor (fils de Paul-Emile), mais aussi d’Umberto Eco, Bud Spencer, Prince, Nancy Reagan, Gotlib, George Michel, Mohamed Ali et Carrie Fisher… Et, cela sans compter Yvette Henry, doyenne (89 ans) du village d’Azannes (55, Meuse), et que personne ne connaissait et dont globalement, tout le monde se fout, mais c’est pas pour cela que c’est moins important. Leur présence et leur inspiration nous manqueront. A titre personnel, plus Gotlib que Bud Spencer, d’ailleurs.
Bien évidemment, l’objet de ce paragraphe n’est pas de vous filer le bourdon (on est sur un blog de bagnoles, quand même, faut se détendre du string), mais de vous faire prendre conscience du contexte. Car on l’a dit, ça craint.
Hélas, la force des faits s’impose aux incantations de légèreté, et même les Ouzbèkes sont perdus, puisque leur planche à voile céleste depuis 1990, Islam Karimov, a lui aussi rejoint les étoiles. Il en est de même pour les Thaï, paumés dans le brouillard sans Bhumibol Adulyadej, qui était le plus vieux monarque en exercice (1946). Le monde part en couilles, mes frères.
Hélas (bis), ce n’est pas tout. Une mauvaise nouvelle en appelant une autre, nous avons aussi perdu en 2016 le moteur Diesel du Jeep Wrangler : trop vieux pour passer les normes Euro 6, le vénérable 2.8 CRD est parti à la casse et le bloc essence 3.6 V6 Pentastar de 284 chevaux avait pour mission d’assurer seul la transition. Une motorisation pas simple à vendre dans notre beau pays qui aime tant taxer l’automobile…
Devant la gravité de la situation, je vous propose un moment solennel de recueillement et vous demande donc de faire une pause d’une minute avant de poursuivre la lecture de cet article. Le respect et l’hommage aux défunts, c’est important.
(une minute plus tard…)
Alléluia !
Sauf que, mes frères et mes sœurs, dans un grand moment de miséricorde, des forces supérieures (en fait, les motoristes de FCA…) sont parvenus à nous faire ressusciter le moteur Diesel du Wrangler ! Joie !
C’est toujours un bon gros 4 cylindres de 2777 cm3, qui développe 200 chevaux à 3600 tr/mn et 460 Nm de couple dès 1600 tr/mn. Un bon gros cube, donc, pas trop porté sur le downsizing, et qui de fait envoie une conso officielle mixte de 9,1 l/100 et qui lui vaut à la fois 239 grammes de CO2 et 10 000 € de malus ! Aie.
J’avais par le passé essayé un Wrangler Euro 5 en BVM6 et j’avais été assez impressionné par ses performances, ayant presque même des scrupules à employer le mot « dynamisme » à son égard. En même temps, j’ai possédé (voire même : adoré !) un Land Rover Defender 110 pendant 2 ans mais avec ses 200 chevaux, le Wrangler m’avait fait voir les dépassements sous un autre jour et avec une toute autre célérité que ma vénérable anglaise. D’où l’utilisation du mot dynamisme : j’assume.
Le Wrangler Euro 6 n’est pas devenu un gros trainard, malgré son poids de 2238 kilos à vide (dans cette version Sahara Unlimited) et son Cx équivalent à celui des falaises d’Etretat : la vitesse max est donnée pour 177 km/h chrono et le 0 à 100 couvert en 11,7 secondes. Pas une balle de guerre, mais y’a quand même de quoi dépasser des Estafettes.
D’ailleurs, comment reconnaît-on une Wrangler Euro 6 ? Par la rampe de feux sur le toit ? Non, c’est une option. Par les feux à LEDs de position, implantés dans les ailes à l’avant ? Non, ça, c’est une option aussi. Par les garnitures argentées à l’intérieur des 7 échancrures de la calandre ? Oui, c’est ça.
Et il y a aussi une différence majeure : désormais, le Wrangler Diesel vient impérativement avec une boîte auto, une bonne vieille unité à 5 rapports. Tiens, ça me rappelle l’essai récent du Mistubishi Pajero 3.2 Di-D.
Alors, maintenant que les boîtes auto ont 8 voire 9 rapports, une BVA5, c’est suspicieux. Ça renvoie un peu à l’époque où René Coty était président… Donc, on peut se poser quelques questions fort légitimes.
Le divan d’Henri Chapier
Bon, boîte auto à 5 rapports de Jeep Wrangler 2.8 CRD, allonge toi sur le canapé, le moment est venu de me parler de ton enfance, de tes frustrations et de tes désirs, de tes traumatismes… Confie toi à moi, boîte auto de Jeep Wrangler.
- BVA de Jeep Wrangler, est-ce que tu patines dans la semoule ?
- Pas trop, non. Nettement moins qu’un Pajero.
- Est-ce que tu es douce au passage des rapports ?
- Dans l’Encyclopédie Universalis, à l’entrée « douceur », il y a une photo de moi !
- Et est-ce que tu aimes bosser et changer de vitesses tout le temps ?
- Ca, non. Je suis une grosse feignasse !
- Ah…
- Attends, j’ai pas tout dit. Déjà, ça me fait deux qualités sur trois, et en plus, j’ai le mérite de pas tirer trop long, ce qui fait que même si j’aime bien glander, c’est pas trop mal pour les reprises…
On a frôlé le drame. La BVA du Wrangler a une philosophie : j’y suis, j’y reste. Quand elle est sur un rapport, elle déteste repasser celui d’avant. C’est une grosse paresseuse. Du coup, on se retrouve régulièrement en impression de sous régime, d’autant que la pédale d’accélérateur est assez dure et que sa course est longue. A vitesse moyenne, elle ne rétrograde pas et on se retrouve quasiment en roue libre sur les fins de freinage. So 1950’s !
Franchement, j’avais objectivement préféré la BV6 manuelle, même avec ses débattements de camion, ça faisait partie de l’ambiance.
Pour autant, faut-il jeter la Jeep dans les orties (d’autant qu’avec ses aptitudes en TT, elle risque de trouver ça bien !) ?
Réponse : non. Car, certes la BVA retire un peu du dynamisme de cet engin. En même temps, vu le feeling de la direction et les réglages du châssis, si vous souhaitez entrer dans chaque virage comme si ils avaient insulté votre mère, vous avez juste fait une erreur de casting. Avec ce moteur Euro 6 et cette BVA, la Jeep joue sur le registre de la nonchalance et passé la période d’adaptation, ça lui va plutôt bien.
Tranquille le chat
Car la Wrangler s’apprécie plus en douceur. Au quotidien, j’ai bien aimé la position de conduite surélevée qui aide à se sentir à l’aise dans le trafic, d’autant que si ses dimensions sont assez généreuses (4,75 m de long, 1,87 de large et 1,84 de haut), elle sont aussi très cubiques et donc finalement faciles à appréhender. Car la Jeep se modernise progressivement, mais elle n’a pas les derniers gadgets des autos modernes. Pas de caméra de recul ni de capteurs, on y va au feeling ! Il y a certes un régulateur de vitesse, mais pas d’alerte de maintien de ligne ni de freinage d’urgence ; il y a l’allumage des feux automatiques, mais dans les tunnels franciliens, ils mettent au moins les deux-tiers de la longueur avant de s’allumer. C’est à l’ancienne et c’est très bien, à l’image des contre-porte, rustiques.
Notamment parce que si le pare brise court et droit génère des bruits aéro assez prononcés, l’infodivertissement Alpine avec GPS intégré génère du bon gros son, et ça permet de savourer le voyage. L’intérieur allie de beaux sièges en cuir plutôt confortables, un écran GPS tactile un peu vieillot et lent dans son fonctionnement, mais s’en tenir à ces éléments serait passer à côté de la philosophie de la Jeep. A l’image des enceintes qui sont étanches (c’est marqué sur celle du coffre), elle est faite pour aller dans le dur, pas se donner un genre pour finalement faire la chochotte a l’image de la pléthore de « SUV » que l’on croise sur nos boulevards et qui seront en panique à la première aversounette (une aversounette est une petite averse) de neige.
Un vrai état d’esprit
Du coup, ceux qui prennent une Wrangler d’abord parce qu’ils ne veulent pas d’un SUV classique ou d’un monospace doivent quand même être sûrs de leur choix parce que le Wrangler, c’est un truc d’hommes. Malgré le cuir, la banquette arrière est éventuellement un peu droite et le coffre est assez généreux, mais la bâche de l’option toit souple (1500 €) prend un peu de place. Et retirer le toit en dur demande deux heures de boulot à trois personnes (et un peu de place pour le stocker). Un truc d’hommes, vous dis-je.
Non pas qu’il soit particulièrement dur ni viril à conduire : au contraire, ce monument d’histoire se manie en douceur, encore plus avec la boîte auto qui, finalement et au gré des kilomètres, s’apprécie en sérénité par les sensations un rien old school mais terriblement authentiques qu’il délivre ! Cette façon de voir la route à travers le pare-brise vertical et étroit, façon meurtrière. Le sens du détail, avec des logo Jeep savamment disséminés (base du rétroviseur, poignées de boîte à gants, jantes…), ce feeling des commandes, suffisamment ferme et consistant sans jamais être dur, cette façon de tailler la route, un rien détachée par rapport aux réalités des autres automobilistes.
Des sensations qui s’imprègnent en vous au fil du temps et qui finissent par faire sens. Et en fait, les reprises ne sont pas si mauvaises que cela, avec la 5ème qui tire à 2000 tr/mn à 90 km/h et à 2700 tr/mn à 130. Puisque l’on ne peut plus rouler vite (l’époque moderne conjugue le progrès avec une véritable régression), autant rouler différent !
Et cela, la Jeep Wrangler le fait magnifiquement bien.
La Wrangler est disponible dans 3 niveaux de finition : la Sport, à partir de 33400 €, dispose déjà de la clim’ auto et des jantes de 16 pouces. La Sahara (mon modèle d’essai), est nettement plus équipée : cuir, feux automatiques, régulateur de vitesse, vitres arrières teintées, ordinateur de bord, sièges chauffants, GPS et Bluetooth, Audio Alpine très correcte, jantes de 18, hard top modulaire… Elle vaut 43 000 € en 5 portes, les 5 portes coutant 2500 € de plus que les 3 portes. Il y a aussi la version Rubicon, nettement plus orientée TT : non seulement sa garde au sol est de 223 mm contre 183 sur la Sahara, mais elle dispose aussi de blocages de ponts avant et arrière, de protections supplémentaires et des barres stabilisatrices… mais un peu moins d’équipements de confort, avec les sièges chauffants qui sont en option.
Cela dit, a moins d’aimer le franchissement extrême, la Wrangler Sahara permet déjà de s’évader et sans risquer de le salir, puisque les tapis de sol sont conçus pour être lavés au karcher. C’est ainsi : le mythe est fortement malussé, mais il se révèle bien attachant à l’usage. Donné pour 9,1 en conso officielle mixte, j’ai fait bien évidemment plus, mais pas non plus dans des proportions irréalistes : 12,6 de moyenne, avec des extrêmes à 10 l en mode tranquille sur départementale et 13,5 sur autoroute.
Néanmoins, on parle aussi de son remplaçant, fidèle à l’esprit mais basé sur une toute nouvelle plateforme, et qui aurait même une version hybride, un nouveau bloc 2.0 turbo essence, et une BV8 plus moderne à 8 rapports. S’il conserve la philosophie originelle, avec toujours ce côté truck un rien décalé mais tellement attachant à l’usage, j’ai hâte de voir ça.
Crédit Photos : Gabriel Lecouvreur