Essai : Tesla Model Y Performance. Désenchanté

Le Model Y, prévu comme étant la Tesla la plus vendue au monde (et même voiture la plus vendue au monde d’après ce cher Elon), est arrivé sur le marché. M’a-t-il autant plu que les trois autres modèles de la gamme ? Pas forcément.

Commençons par un peu d’histoire : après la Model S en 2012, le Model X en 2015 et la Model 3 en 2017, ce Model Y clôt le cycle “SEXY” de la marque (car oui, la gamme a été nommée dans le seul but d’écrire SEXY -je ne sais pas si je trouve ça drôle ou d’une écœurante stupidité). Ce qui est bien, c’est que je les ai toutes testées : j’ai adoré la Model S pour ses performances d’une autre galaxie, je kiffe le côté “too-much” totalement assumé du Model X et la polyvalence de la Model 3 m’a rassuré sur la capacité de Tesla à produire des voitures plus abordables. Le Model Y a fort à faire.

Débarrassons-nous du style extérieur : je trouve le Model Y moche -et encore, ma version Performance apporte un châssis abaissé et des jantes de 21″. Il s’inscrit dans la thématique du X de proposer une version grasse et molle d’une berline mais, là où le X part de la belle et élégante S, le Y doit se baser sur une 3 au style déjà pas foufou. Les goûts et les couleurs, me direz-vous, mais la majorité des avis recueillis durant le prêt ne sont pas des plus mélioratifs ; la foule, elle, n’a rien à cirer de cette énième Tesla blanche.

Moins de surprise concernant l’habitacle, puisque la planche de bord du Model Y est intégralement partagée avec la 3. On retrouve donc ce vaste espace à l’agréable épure, où le volant et la tablette centrale ne sont que les deux protubérances s’extrudant de l’ensemble. La qualité et l’assemblage des matériaux arrivent à une maturité extrêmement agréable : tout ce qui est accessible est agréable à l’œil ou au toucher, rien ne bouge, c’est du bon travail. A noter que mon exemplaire, à l’instar de tous les autres Model Y Performance, est sorti de la toute nouvelle usine Tesla près de Berlin : de bon augure pour la production à venir !

Mais l’argument numéro 1 de vente du Model Y (du moins par rapport à la 3), c’est bien entendu ceci :

Car oui, un hayon, c’est quand même bien plus pratique qu’une simple malle. Sur quoi s’ouvre ce hayon ? Sur un coffre…dont je ne saurais pas vraiment vous dire sa capacité. Le chiffre avancé par Tesla, un impressionnant 854 litres, représente la capacité totale, prenant donc en compte le volume partant de sous le plancher jusqu’au toit -à l’inverse des concurrents, qui annoncent le volume du plancher à la tablette. La comparaison avec d’autres SUV électriques devient tendu mais, à titre indicatif, sachez qu’une Hyundai Ioniq 5 propose 527 litres sous tablette, un VW ID.4 promet 543 litres et un BMW iX3 annonce 510 litres. Résultats qu’il faut de plus nuancer par la taille du Model Y, plus grand & gros que la concurrence (un gros bébé de 4.75 m de long x 1.98 m de large x 1.62 m de haut) et que cela devrait se répercuter sur le volume intérieur ; terminons enfin sur son coffre avant de 117 litres, bien plus généreux qu’ailleurs (quand il y en a un !).

Terminons cet ennuyeux chapitre habitabilité par la banquette arrière. Là, pas grand-chose à dire : accès aisé, bon espace aux coudes, excellente hauteur sous plafond, espace aux jambes royal, points bonus pour les deux ports USB-C et pour la ventilation. J’aurais une seule petite réserve sur le confort du siège du milieu qui m’a semblé un peu raide -mais bon, c’est souvent le cas et le passager central est ici bien mieux accueilli que dans de nombreuses concurrentes grâce à la bonne largeur et au plancher totalement plat.

Il est temps de ranger chiffons et mètres mesureurs. Qu’est-ce que mon Model Y Performance a dans le ventre ? Deux moteurs électriques, d’une puissance et d’un couple…inconnus (ah, Tesla et les chiffres 🙂 ), mais capables d’après la marque de dégommer le 0 à 100 km/h en 3.7 s. 3.7 s, pour remettre un peu dans le contexte, c’est le score d’une Audi R8 V10 RWD, d’une Lexus LFA, d’une Ferrari F50…ou même d’un Tesla Roadster Sport (la boucle est bouclée !). Bref, des supersportives à deux places se font talonner par un SUV familial. Moche, qui plus est.

Précisons ici que la version Performance ajoute en plus des Model Y “normaux” une vitesse de pointe portée à 250 km/h, des grosses jantes, un système de freinage amélioré, un aileron en fibre de carbone, une suspension abaissée et, cerise sur le gâteau, un pédalier en aluminium.

Du coup, à conduire, c’est comment ? Pour une voiture qui fait un 0 à 100 km/h en 3.7 s, c’est bien. C’est vachement bien, même. La direction est super bien calibrée, le châssis hyper rigide encaisse tout sans broncher et les relances sont, vous vous en doutez, d’un autre monde. Ajoutons à cela un mode “une pédale” (on y reviendra) qui permet, à l’instar de la Honda e, d’aborder quasiment tous les virages en modulant simplement la pression du pied sur l’accélérateur : on peut faire des freinages dégressifs avec une facilité déconcertante, c’est cool. En fait, j’ai vraiment eu l’impression de me retrouver au volant de la Model 3 Performance, juste assis un peu plus haut. Remarquable.

En tant que SUV familial…c’est un peu moins la fête. Les suspensions rabaissées remontent la moindre imperfection de la route et c’est quand même un peu agaçant. Pour continuer sur les défauts au quotidien, le Model Y braque fort mal (12.13 m entre trottoirs, c’est un mètre de plus que pour le VW ID.4 !) et le gros gabarit couplé à l’absence de caméra 360° peuvent rendre les manœuvres rapidement délicates. Sans compter que les jantes de la version Performance dépassent littéralement du flanc du pneu, rendant leurs durées de vie en bon état plus qu’éphémères (j’en ai d’ailleurs fait les frais, milles excuses à Tesla). Une petite dernière ? Allez, je regrette encore l’écran format portrait des S/X qui permettait d’afficher deux menus simultanément ; sur ce Y (et comme la 3), ce sera navigation ou audio ou consommation. Ça fait des gestes en plus, donc une attention plus longtemps détournée. Dommage.

Puisque nous sommes dans le registre des reproches, il est temps de sortir JB-les-bons-tuyaux. Après vous avoir fait économiser 13 750 € avec la Peugeot 508 PSE (ou plutôt sans, mais je divulgâche l’article), me voilà prêt à vous annoncer une nouvelle clairement bénéfique pour votre pouvoir d’achat : ne cochez pas le pack “Autopilot amélioré” à 3 800 € dans les options. Dans le détail des fonctionnalités, la “Navigation en Autopilot” ne sert à rien, la plus-value du “Changement de voie auto” m’est conceptuelle, la “Sortie auto” ne servira qu’à épater votre voisin de parking (et ça, on s’en fout) et l’obligation de rester à moins de 6 m de la voiture pour la piloter à distance via la “Sortie auto intelligente” annihile la moindre notion de service rendu.

Mon avis est donc assez tranché, mais je me permets d’insister sur un point (je sens l’attaché de presse Tesla maudire ma descendance sur sept générations) : je ne tiens pas la marque pour responsable dans ces performances plutôt bof. Je pense plutôt que la législation est à pointer du doigt : on sait depuis longtemps que les vieux hommes de loi sont plus que frileux concernant la conduite autonome, et on sent bien que tous les systèmes de ce fameux pack “Autopilot amélioré” sont clairement bridés. C’est bien dommage. Acheter cette option, c’est faire un pari sur un allégement futur des lois, mais c’est tout de même un pari à 3 800 €…

Tout n’est pas noir ceci dit, oh là là certainement pas. Je vous parlais plus haut de la suspension bien trop ferme, il faut compenser ce fait par le réel confort des sièges avant qui permettent d’envisager des longs trajets sans craintes pour votre dos. En parlant de longs trajets, le double vitrage à l’avant et à l’arrière rend l’habitacle extrêmement feutré, permettant au choix de profiter du silence ou de l’excellente sono. Ajoutons à cela le mode “une pédale” du frein régénératif qui, s’il permet certes de prendre des virages à toute berzingue, apporte avant tout une souplesse et un confort dans la conduite difficilement égalables. Ah, et la voiture a récemment atomisé toute forme de concurrence aux crash-tests EuroNCAP. Tous ces éléments me font donc penser que les versions “normales” du Model Y doivent être des crèmes à rouler.

Et n’oublions pas deux arguments qui écrasent la concurrence. Petit 1 : le Model Y est sobre. Genre très sobre. La version Performance est homologuée à 17.3 kWh/100 km, promettant une autonomie de 514 km ; j’ai rendu le mien avec une conso de…15.7 kWh/100 km, soit une autonomie théorique calculée par mes soins de 566 km. 15.7 kWh/100 km, c’est un score de bonne compacte…sauf qu’on a ici un gros SUV *QUI ACCÉLÈRE DE 0 À 100 KM/H EN 3.7 SECONDES*. Même en restant sur l’autonomie homologuée, le Model Y Performance se place dans le très haut du panier.

Petit 2 : la recharge. Alinéa A : le Model Y peut se charger jusqu’à 250 kW en courant continu, là où la concurrence atteint difficilement les 150 kW -excepté le duo Hyundai Ioniq 5 / Kia EV6 qui tape les 230 kW. Pour mieux situer : 250 kW, ça promet jusqu’à 241 km de rab en 15 minutes. Solide. Alinéa B : le Model Y est une Tesla, et qui dit Tesla dit Superchargeurs. Voici la carte à mi-octobre :

Il y en a partout. Et l’époque des deux bornes sur une palette est bien révolue : maintenant, c’est 8, 10, 12, 16, parfois même plus de 20 bornes délivrant 150 ou 250 kW dans chaque station. Sachant que, bien évidemment, vous pouvez brancher votre Model Y sur toutes les autres stations de recharge rapide. Dernier point important (crucial ?) des superchargeurs : l’expérience client. On se gare, on prend le câble, la trappe de recharge s’ouvre, on branche, on attend 20 minutes, on débranche, on s’en va. Même si les réseaux concurrents s’améliorent sur le point, pas de question à se poser sur la disponibilité des bornes, sur le badge à présenter ou que sais-je. C’est d’une tranquillité d’esprit…

C’est l’heure du paragraphe sur les tarifs. Si le Model Y débute à 49 990 € en version Propulsion (étonnamment moins cher que la Model 3 Propulsion, facturée 53 490 € !) avec, notamment, un ratio prix/équipements/performances bien placé (455 km d’autonomie – 0 à 100 km/h en 6.9 s), ma version Performance coiffe la gamme du haut de ses 69 990 €. C’est cher ? Pour un SUV familial, ça commence à faire, pour une voiture avec d’aussi grosses capacités sportives, c’est assez imbattable. D’autant plus que la liste d’équipements est presque sans fin : de série, on a les sièges avant électriques, les cinq sièges et le volant chauffants, le toit panoramique, l’entrée et démarrage depuis son smartphone, le régulateur adaptatif, le maintien en voie, la super sono, le hayon automatique, la pompe à chaleur et tant d’autres choses encore. De fait, on n’a qu’à choisir la cosmétique (couleur extérieure & intérieure + jantes), si on veut les fonctions avancées de l’Autopilot (rappelez-vous : non) et basta cosi.

1 844 mots, il est temps de conclure. Le Model Y, donc, est sensé devenir la meilleure vente mondiale automobile d’ici peu. Alors, certes, c’est Musk qui l’a annoncé, et on se doute bien que le petit a envie de croire en ses produits, mais 392 000 de ces autos ont tout de même été immatriculées en 2021, et on était loin d’être aux capacités nominales des différentes usines dans le monde (Berlin & Austin, principalement, sont toujours en phase de lancement). C’est là où on se rend compte de la puissance de l’image qu’a Tesla : même avec une voiture en cours de lancement, ils arrivent à enterrer la concurrence (la deuxième meilleure vente mondiale du secteur, le VW ID.4, n’a représenté que le tiers des ventes du Y en 2021 !). C’est donc un fait : il va y avoir tout plein de Model Y dans nos rues.

Le truc qui me gêne un peu dans ce tsunami annoncé, c’est que je n’ai pas été abasourdi par les qualités du Y. C’est une bonne voiture, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, mais il existe déjà de bons SUV électriques en vente ; hormis les capacités dynamiques de cette version Performance, seule la sérénité permise par les superchargeurs m’a paru apporter une vraie plus-value au Model Y -on remarquera que c’est une caractéristique externe à la voiture. Enlevez-la et vous obtiendrez un SUV électrique “comme les autres” (ne pouvant d’ailleurs pas compter sur sa plastique pour remplir les carnets de commande).

Et c’est ça qui me gêne. Comme je vous le disais en début d’article, je suis sorti de chaque essai d’une Tesla avec des étoiles dans les yeux. Leurs capacités de réécrire les lignes, de redéfinir les attentes qu’on pouvait avoir d’une électrique et de pulvériser la moindre forme de concurrence (quand il y en a une, rappelez-vous de l’arrivée de la Model S en France en 2013 quand on n’avait des Autolib’ et des iOn à disposition !) donnaient aux Model S, 3 & X une fabuleuse aura, un côté presque magique qui me rendaient dingue. Tesla était seul au monde et toutes les autres marques ne pouvaient qu’espérer atteindre ses talons. Le Model Y, à mon goût, n’a pas cette même saveur.

Le hype Tesla est toujours là, c’est évident, mais je me demande si elle est vraiment justifiée en rendant le Model Y. Bref. Les possesseurs de Y seront certainement aux anges de conduire une voiture si disruptive à leurs yeux, et n’auront probablement même pas envisagé d’acheter autre chose pour cette raison. Seulement voilà, lorsqu’on envisage les choses plus prosaïquement, la concurrence est là, féroce, et ne laissera pas la Tesla s’en tirer si facilement. De quel côté vous placez-vous ?

Crédits photos : Le Stagiaire de Hoonited (merci à lui !), Jean-Baptiste Passieux

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