Of course I still love you

Il y a des voitures propices à l’introspection. Et là, au volant de ma Model S rouge filant sur l’autoroute, tous les moments passés en compagnie de la grande berline Tesla me reviennent en mémoire. Et quels moments…

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Tout commence en 2013. La vie, à l’époque, semblait simple. Je me débrouillais bien dans mon école d’ingénieur, mon état de santé était excellent, tout roulait. Suffisamment simple en tout cas pour que je décroche mon téléphone un après-midi de mai et aller, complètement au débotté, demander un essai à mon nom auprès de Tesla France qui venait de recevoir ses deux premières Model S. Le commercial de l’époque (“le”, car il était seul), devant croire à un vrai adulte avec des sous dans ses poches, accepta de me réserver un créneau. Il faisait moche, ce jour-là. Les 45 minutes passés à conduire la Model S 85 passèrent incroyablement vite, mais furent tout de même instructives. Il m’a fallu très peu de temps pour comprendre que Tesla tenait quelque chose de très fort, en rupture complète avec l’offre de l’époque (vous vous souvenez de la Fluence ZE ?). Elle était belle, spacieuse, confortable, rapide, technologique et offrant une autonomie jusque là jamais vue dans le monde des voitures électriques. Je me suis alors juré de la réessayer.

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Boum ! Voyage spatio-temporel, direction la glamoure zone industrielle de Gennevilliers onze mois plus tard. De mon côté, pas grand chose à signaler : la vie suit son cours, les études se poursuivent, j’aime toujours autant écrire pour le site. De son côté, Tesla commence à s’implanter en France : une vraie concession, avec showroom et atelier, a même vu jour. Que s’est-il passé dans la tête du directeur de la communication Europe de l’époque ? Je ne le saurai jamais, mais il a tout de même accepté de me prêter une Model S archi haut de gamme (la P85+, nec plus ultra de l’époque) pendant tout un week-end. Week-end qui fut scandaleux : je suis parti au Touquet avec quatre de mes amis -il faut ici préciser que la moyenne d’âge dans la voiture ne devait pas dépasser les 19 ans. Il fallait nous voir sur l’A16 : cinq jeunes cons, dans une voiture quasiment inconnue en France, rejoignant la mer, baffles à fond. Ce qu’il faut ici préciser, c’est que les stations de recharge étaient à l’époque -pour rester poli- assez rares : les Superchargeurs n’existaient que dans le tête d’Elon Musk, le projet Ionity n’arrivera que cinq ans plus tard ; quant au réseau Corri-door…quel réseau Corri-door ?

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Du coup, le voyage s’est un peu transformé en aventure. On est arrivés au Touquet avec fort peu de batterie restante, où tous nos espoirs se concentrèrent sur une pauvre prise 220V dans le garage de mon ami -anecdote rigolote, on aurait pu rester bien plus longtemps au Touquet que prévu si nous n’avions pas remarqué qu’un voisin (jaloux ?) avait débranché la Tesla dans la nuit. Que retenir de ce périple ? Premièrement, j’ai énormément de souvenirs de ce week-end -dont la majorité ne peuvent être décemment pas atterrir dans le domaine public. Mais pour revenir à la Model S, j’ai pu me rendre compte qu’elle était tout à fait capable de parcourir de “longues” distances (encore une fois, un trajet de 250 km réalisé en une charge sur autoroute avec chauffage, radio, phares et tutti quanti était, pour l’époque, absolument révolutionnaire), que la technologie absolument omniprésente restait accessible, que 4.4 secondes pour passer de 0 à 100 km/h c’est pas beaucoup. Voilà pour cette fois.

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Allez, acte III. Rendez-vous à Gennevilliers un matin de Mars 2015 où nous attendent deux Model S, une grise et une rouge. Cette fois-ci, on rentre dans les choses sérieuses : on est là pour tester les Superchargeurs (au réseau alors embryonnaire). Objectif ? Faire l’aller-retour entre Paris et Mâcon dans la journée, soit 800 km d’autoroute à se farcir. Pour nous assister, on pourra compter sur une importante nouveauté : un régulateur adaptatif, première étape d’une (à l’époque) hypothétique conduite 100% autonome. Concernant le régulateur, on va dire poliment qu’il mérite quelques améliorations (ce qui semble alors totalement de l’ordre du faisable, la voiture étant -rappelons-le- connectée h24 à Internet et pouvant ainsi recevoir des mises à jour sans passer par la case concession) ; concernant les Superchargeurs, c’est nettement plus probant. Un chargeur capable de balancer jusqu’à 120 kW de puissance, c’est une nouvelle fois du jamais vu dans le monde des voitures électriques. De fait, les 800 km passeront comme une lettre à la poste. Les longs trajets en voiture électrique (en Tesla, tout du moins) commencent à devenir vivables, et c’est une énorme avancée.

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Acte IV ? Acte IV. Juin 2015, toujours à Gennevilliers, toujours une Model S rouge, mais les dessous sont tout autres : la transmission intégrale Dual Motor est sortie ! A cela s’ajoute une version tout à fait démoniaque, sobrement prénommée “P85D”. P pour Performance, 85 pour les 85 kWh de la batterie, D pour Dual Motor. Le point fort de cette version ? Sans aucun doute son 0 à 100 km/h expédié en 3.3 s. 3.3 secondes, c’est suffisant pour faire blêmir un ami, pourtant responsable d’une concession de voitures à caractère (très) sportif. 85 kWh, c’est suffisant pour faire un Paris-Bordeaux-Paris en une journée, aidé cette fois-ci d’un régulateur adaptatif bien mieux calibré. L’article fut une sorte de grand défouloir : en grand fan de Quentin Dupieux, j’avais nommé mon article d’après sa devise : No Reason. En grand fan de vidéos cheloues, j’avais trouvé une vidéo totalement terrifiante qui résumait bien l’expérience vécue lors de l’accélération de la Model S. En grand fan des films où apparaissent Tilda Swinton (épouse-moi Tilda), je l’avais conclu par un GIF d’Ezra Miller, tiré du somptueux We Need To Talk About Kevin. J’étais content de mon article.

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Mais retournons au Touquet, voulez-vous ? Plus précisément quelques jours avant Noël 2015. Mon Windows Phone de l’époque (je t’aimais je t’aime et je t’aimerai mon petit Windows Phone) se met à vibrer et le nom de [responsable-presse-de-Tesla-France-dont-on-doit-taire-le-nom] s’affiche sur l’écran. “Allô Jean-Baptiste, qu’est-ce que tu fais en Janvier ? – Pas grand chose pourquoi ? – Parce que je t’emmène en Autriche tester notre système de transmission intégrale ! – Ah OK, faisons comme cela”. Boum, nous voilà dans le Tyrol autrichien, découvrant plusieurs Model S couvertes de neige parquées sur un circuit de glace. L’expérience fut extrêmement instructive : l’électronique arrive à gérer les deux moteurs de façon absolument infaillible, et jamais je me suis senti en danger -Dieu sait pourtant que j’ai fait des conneries à son volant : j’ai même tapé une consommation moyenne de…100 kWh/100 km.

PS – message personnel : [responsable-presse-de-Tesla-France-dont-on-doit-taire-le-nom], je t’aime beaucoup mais je suis ici obligé de t’avouer que cette opération est de très loin la plus bordélique de tout ce que j’ai pu connaître jusqu’à présent 🙂

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La suite ne se fit pas attendre : à peine deux mois plus tard, je remonte dans une Model S P90D (qui se trouve avoir fait le voyage en Autriche) pour tester une énorme avancée : l’Autopilot. Pour le coup, je suis allé dans le Nord voir des potes et la mer, et mon Paris ➝ Lille ➝ Calais ➝ Lille ➝ Paris s’est réalisé en ne touchant quasiment jamais le volant. Vraiment ! L’Autopilot gère à l’époque tout : la direction, la vitesse, le changement de voie, le stationnement automatique. Avec, cerise sur le gâteau, une assistance loin d’être encombrante pour le conducteur : le système ne réclame que très très peu d’attention, et ne demande qu’une infime pression sur le volant une fois de temps en temps pour s’assurer que tout allait bien. Le système était bluffant de maîtrise, de mise en confiance, de performance. Ce petit clip l’illustre bien :

Sinon, cet essai fut l’occasion de se rendre compte que le réseau des Superchargeurs s’étoffait et que la version P90D “Ludicrous” était simplement diabolique, avec un 0 à 100 km/h en 3 secondes tout rond. Seul problème : les 0.3 secondes grattées par rapport à la P85D se moyennait…11 200 € !

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Après cette frénésie, on se calme un peu et on arrive en Mai 2017. Période assez compliquée de mon côté, et cet essai sera l’occasion de partir à Montbéliard chercher quelques affaires et adresser un triste au revoir à un incroyable (mais fugace) fragment de vie. La route ne posa aucun problème, vu que la taille de la batterie a encore progressé: désormais, ce sont 100 kWh qui logent dans les soubassements de la Model S. Par exemple, j’ai réussi à rallier Beaune depuis Paris (soit ~350 km) en une charge…avec encore de la marge. Tout ne fut pas si noir cependant : j’ai pu revoir des amis qui m’étaient (qui me sont !) chers et en ébahir une bonne partie. Car ma Model S avait peut-être une grosse batterie, mais elle cachait une autre caractéristique : elle accélère très, très, très fort. 2.28 secondes pour passer les 100 km/h. C’est juste dingue ! Le tout sans se départir de son confort de pullman et de son absurde facilité d’utilisation. Le prix, lui, commence à flirter avec les hautes sphères, puisque mon exemplaire s’affichait à 174 650 €. Bonus déduit, évidemment.

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Voilà, c’est fini ? De mon côté, j’ai goûté à d’autres fruits. J’ai essayé un Model X, pris en main la fameuse Model 3, conduit bien d’autres voitures électriques. Et la Model S a fait sa vie de son côté. Mais un mail de Tesla, arrivé un jour d’octobre dernier, raviva la flamme. “Notre Model S a reçu de nombreuses retouches depuis ton dernier essai ; voudrais-tu passer quelques jours en sa compagnie ?” Oui, bien sûr que oui.

Et, dès le moment où je suis sorti de la concession de Chambourcy au volant de ma Model S Grande Autonomie (on ne précise plus la taille des batteries, c’est bien trop mainstream), tout m’est instantanément revenu en mémoire. Qu’est-ce que j’aime la Model S, putain. J’aime sa ligne, et encore plus depuis son restylage. J’aime ses vitres sans encadrement. J’aime son confort -d’autant plus que de nouvelles suspensions à air sont arrivées il y a peu. De fait, j’aime cet état d’esprit d’amélioration continue, aussi bien niveau software qu’hardware. Et puis j’aime cette incroyable facilité de conduite. J’aime ses reprises stratosphériques. J’aime le diamètre de la jante du volant. J’aime la position de conduite. J’aime la consistance de la pédale de frein, j’aime la calibration du freinage régénératif. J’aime le bruit du clignotant. J’aime l’ergonomie générale. Comment ont-ils réussi à rendre un écran de 17” regroupant 98% des fonctionnalités de l’auto aussi facile à utiliser ? J’aime sa frugalité : j’ai parcouru 1 007 km au bord de la Tesla rouge, en y allant franco dans les si jolies routes du Morvan ; résultat, 18.3 kWh/100 km. Et puis j’aime le parcours client. Les superchargeurs sont un exemple parfait : on se gare, on se branche, on va aux toilettes, on prend un café, on débranche, on s’en va. Point. Pas de badge à passer, pas d’application à télécharger, pas de stress en se demandant si la charge va démarrer, si la puissance va être suffisamment élevée ou que sais-je. Aucune question à se poser. Quelle tranquillité d’esprit…

Mais ce n’est pas pour autant que je ferme les yeux sur les points négatifs. La finition, tiens. Oui, je sais, l’amélioration de la qualité perçue est évidente au fil de mes essais ; mais tout n’est pas encore au niveau. Les ajustements de carrosserie sont à peine acceptables, la contre-porte conducteur avait semble-t-il des envies d’indépendance. Je n’aime pas le manque évident de rangements, même si la console centrale arrivée avec le repoudrage de la voiture a bien fait progresser les choses. Je n’aime pas le sort qu’elle réserve à ses passagers arrière : absolument aucun rangement et, même si une nouvelle banquette plus creusée a fait son apparition, leurs pieds sont encore trop proches du bassin. Et puis…c’est quoi cet Autopilot ? J’ai l’impression qu’il n’a que régressé depuis son introduction en 2016. Moins de prises de décision, moins d’autonomie, une supervision fortement nécessaire, moins de confiance apportée. Sur mon exemplaire, la voiture a plusieurs fois pilé très fort en plein dépassement, la direction était erratique… Ni top, ni rassurant. Tesla essaye de se dédouaner en précisant bien que l’Autopilot est bridé par les lois et directives européennes mais je doute quand même un peu : j’ai conduit une Hyundai à 25 000 € quelques semaines plus tard et son système d’assistance, dont les promesses sont identiques à celui de ma Model S, était aux petits oignons. Passons, faisons confiance au bénéfice du doute.

Alors non, la Tesla Model S n’est pas parfaite. Quelle voiture l’est ? Et surtout, quelle voiture peut se targuer d’avoir joué un si grand rôle dans l’évolution de l’automobile dans son sens le plus global ? J’hésite à écrire qu’elle a changé le cours de l’histoire ; ce serait un peu pompeux, mais elle restera dans les livres comme étant la première voiture électrique à être viable au quotidien et (surtout) la première à être désirable. Car elle est désirable, la Model S. Je vais d’ailleurs recopier ce que j’ai écrit plus haut, lors de la première rencontre : elle est belle, spacieuse, confortable, rapide, technologique et offre une autonomie encore difficilement atteinte chez ses concurrentes. Vous savez quoi ? Je m’y suis attaché. Elle a en quelque sorte grandi avec moi :  je peux lier un essai de la belle Tesla à chaque moment important de ma vie. Et ne prends pas cet article pour une oraison funèbre, ma jolie. De beaux jours t’attendent encore, et une surpuissante version Plaid (dont on ne sait rien sinon qu’elle aura trois moteurs) devrait pointer le bout de son nez l’année prochaine. Evidemment que je t’aime encore.

Evidemment, j’adresse une pensée à Tesla France/Europe pour leur confiance continue. Vous voulez lire l’intégralité de mes articles ? Il suffit de cliquer (par ordre chronologique) ici pour la découverte parisienne, puis ici pour la virée au Touquet, puis ici pour la découverte des Superchargeurs, puis ici pour la P85D, puis ici pour l’essai de la transmission intégrale, puis ici pour la P90D en Autopilot, puis ici pour la P100D. Voilà, vous êtes incollables.

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