La Citroën Ami va-t-elle marcher ?

A quoi mesure-t-on le succès d’une voiture ? A ses chiffres de ventes ? A son impact sur le marché ? A l’héritage qu’elle laisse ? La présentation il y a quelques jours de la Citroën Ami m’a permis de réfléchir à cette problématique. Je me suis un peu creusé la tête et je vous livre mon point de vue.

La Citroën Ami ne pourra jamais marcher. C’est un fait : elle n’a pas de jambes. Et puis même. Le communiqué a beau vanter sa polyvalence et sa facilité d’usage, je trouve la proposition bien trop contraignante. Ne serait-ce que pour la recharge, tiens. Oui, elle se branche sur n’importe quelle prise 220 V. Oui, la batterie est pleine en trois heures maximum. Mais encore faut-il la trouver, cette prise 220 V. Je vous parle ici en tant que parisien : depuis la fin d’Autolib’, les stations de recharge dans la petite couronne ont fondu comme neige au soleil. Et l’autonomie affichée de 70 km oblige à recharger la Citroën grand maximum une fois tous les deux jours. Donc, trouver une prise tous les deux jours. Bon courage, ai-je envie de vous dire !

Alors vous allez me dire : “on n’a qu’à la louer à la minute via Free2Move alors, on ne s’occupe ni du stationnement ni de la recharge”. C’est vrai, d’autant plus que le tarif de location (0.26 € la minute) est globalement intéressant : une trottinette électrique coûte environ 0.20 € la minute hors frais de déverrouillage (1 € dans la majorité des cas), et vous ne retrouverez en aucun cas la protection face aux conditions climatiques que peut offrir l’Ami. Seulement voilà (et je me replace ici dans ma peau de vieux schnock de Parisien) : a-t-on réellement besoin d’avoir quatre roues pour se déplacer dans une grande ville ? 

Tous les jours, des places de stationnement disparaissent, de belles voies cyclables, spacieuses et sécurisantes, font leur apparition, permettant aux vélos (personnels comme en libre-service) de fleurir un peu partout. Le problème des trottinettes sauvages semble réglé et on voit de plus en plus d’objets de mobilités individuels, compacts et faciles à transporter, aux pieds des habitants. Sans compter les bus, trams et métros. Bref, vous l’aurez compris : chaque jour qui passe nous éloigne un peu plus de l’intérêt de rouler en bagnole dans la capitale. Je vais faire mon devin au rabais : je ne crois pas au succès de l’auto-partage strictement urbain.

Pas d’utilisation en grande agglomération, donc. Utilisons l’Ami dans les campagnes, alors ! Deux problèmes semblent résolus : on y a obligatoirement besoin de se déplacer avec un moyen de transport individuel et, la majorité des habitations étant des maisons, le souci de la recharge semble s’éloigner. Mais voilà, l’Ami est sans permis, et qui dit sans permis dit vitesse limitée à 45 km/h. Être limité à 45 km/h, ça interdit légalement l’accès aux rocades, aux autoroutes (fussent-elles urbaines), ça rend compliqué la moindre portion de nationale/départementale. Bref, c’est pour la ville, un point c’est tout. Mais pour un usage urbain, bah…on en revient au point précédent.

On l’a donc vu : l’Ami ne se vendra jamais. Ah bon ?

Ah bon, parce que la Citroën avance tout de même des arguments assez massue. Le premier, c’est son prix : à 6 000 € bonus déduit, l’Ami pulvérise toute la concurrence. Aucune Ligier ni Aixam n’est trouvable sous les 9 000 €, et les (très rares) propositions électriques se facturent aux alentours de…15 000 €. Plus du double de l’Ami, pour des prestations similaires en termes d’autonomie et de recharge. Voilà. Les 15 000 VSP vendues en 2018 ont donc toutes leurs chances de se faire grand-remplacementer dans les mois qui suivent.

Vous pourrez me rétorquer : “peut-être mais la voiture elle est moche”. Déjà, on ne dit pas “elle est moche”, on dit “j’aime pas”. Et puis ensuite, le coup de génie de Citroën, c’est de dire que NON, l’Ami n’est PAS une voiture : c’est un objet de mobilité. Je pensais comme vous que ce terme n’était qu’une énième expression de communicants bas de gamme, mais en y réfléchissant un peu, je me rends compte au contraire que c’est du génie. Dire que l’Ami n’est pas une voiture la désacralise totalement. Plus besoin de ressembler à un phallus géant avec un capot extrêmement long, des roues de 5439 pouces, des meurtrières espaces vitrés réduits au max, bref, ça lui donne un grand bol d’air frais. Comme on l’avait vu sur le pimpant concept Ami One de l’année dernière : la symétrie est de mise ! Les portes, bas de caisse, boucliers et autres vitres latérales sont identiques à gauche et à droite de l’objet. Le nuancier ? Monochrome, avec un gris-bleu qui se fond partout -des autocollants seront disponibles pour se l’approprier un peu plus. Le style est donc pour le moins innovant, mais ces petites astuces permettent de limiter les coûts de fabrication & d’après-vente. Ingénieux !

Dire que l’Ami est un objet plutôt qu’une voiture, ça casse également la barrière de la distribution. On achète la Citroën comme on achète une trottinette électrique : depuis son salon en se rendant sur le site internet de la marque, ou en allant directement en magasin. Et là, boum, énorme innovation : l’Ami va être vendue à la Fnac et chez Darty, à côté des téléviseurs et des machines à café -tout en restant, bien entendu, disponible dans le réseau Citroën “normal”. C’est dingue ! Je trouve ça juste dingue. Quel énorme doigt d’honneur à tout l’imaginaire archi fantasmé de la bagnole : Citroën fout le pied en plein dans la fourmilière et je trouve ça simplement jouissif. Citroën, c’est trop des punks.

Regardez-moi ces gros punks

Dernière chose qui saute : ce que les gens pensent de l’Ami. Le fait qu’elle ne soit pas vendue comme étant une voiture peut intéresser des publics peu amène à la chose automobile. Je pense aux jeunes, notamment : mis à part vous & moi, plus personne de moins de 30 ans n’a que faire d’une voiture. Autant ne pas lui en donner, alors ! Et mettons-lui à disposition un objet n’ayant pour seul usage que celui donné par son utilisateur. A vous d’inventer la vie qui va avec, comme dirait l’autre 🙂

C’est là qu’on se rend compte de la puissance de la force de frappe d’une grande marque : on sent que Citroën veut vendre de l’Ami et y met les moyens. Déjà par l’extensivité des offres d’acquisition, mais également par le parcours client en mon humble avis tout à fait unique dans le segment de la mobilité individuelle. Ce qui fait que Citroën pourrait bien avoir un coup à jouer dans le secteur. D’autant plus que l’Ami n’est pas la première à tenter le coup, oh que non. Vous vous souvenez de la mia ?

La mia, c’est toute une histoire. C’est avant tout un concept top moumoute : gabarit très compact (3.87 m de long), trois vraies places à l’intérieur (comme une McLaren F1 : chauffeur au centre, passagers en diagonale), deux portes coulissantes pour un accès archi facile et même de la place pour un petit coffre. Le tout capable de prendre l’autoroute grâce à sa vitesse maximale de 100 km/h et de parcourir entre 70 et 100 km entre deux recharges, selon la taille de la batterie sélectionnée lors de l’achat. La voiture urbaine parfaite, donc. Seulement voilà… La mia est arrivée en 2011, il y a déjà neuf ans, sur un marché de l’électrique alors totalement vierge. Mia electric aurait pu faire comme Tesla en sortant des sentiers battus…mais se planta lamentablement. La communication était inexistante, les voitures étaient laides, jugées trop chères (malgré un prix de base tout de même attractif de 10 500 €), le réseau de distribution était pour ainsi dire inexistant, bref, après deux petites années de vivote, la société ferma ses portes pour de bon avec un peu moins de 800 mia produites.

Vous pouvez rendre votre Ami trop facheunne

Pourquoi je vous raconte ça ? Parce que la mia a énormément de choses à voir avec l’Ami. Ou disons plutôt que, sur le papier, la mia surclasse la Citroën : trois places au lieu de deux, une vitesse maximale lui permettant de prendre l’autoroute, un vrai coffre (le communiqué de presse de l’Ami parle bien d’un rangement pour stocker un bagage cabine…dans les pieds du passager), une autonomie supérieure, bref, toute une polyvalence que ne peut proposer la Citroën. Et la mia fit flop. Que peut-on espérer pour l’Ami, dans ce cas ? 

Eh bien la seule chose à espérer, c’est que l’Ami arrive au bon moment. Il y a dix ans, les gens ne devaient pas être prêts à troquer bon nombre des attributs d’une “vraie” voiture en échange d’un simple moyen de locomotion. Les choses ont-elles changé aujourd’hui ? J’ai bon espoir. La mobilité aujourd’hui (dans les grandes agglomérations en tout cas) s’est transformée, s’est désacralisée, s’est démultipliée : la voiture ne devient qu’un moyen de transport parmi d’autres. Faites attention : l’Ami pourrait tout à fait se glisser dans une petite case qu’elle s’inventera toute seule…

Crédits photos : Citroën (Ami), Jean-Baptiste Passieux (mia)

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