Les fameuses répliques… on en a tous croisé, plus ou moins réussies, plus ou moins fidèles. Elles permettent à des amateurs de s’offrir un bout de rêve bien souvent inaccessible et de vivre à fond une passion automobile dévorante.
Il y a un autre côté de la médaille, moins reluisant pour les amateurs : par définition, la réplique tend à se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Et, parfois, il ne s’agit plus vraiment de répliques mais de vraies anciennes, les fameuses continuations…
Entendons-nous d’abord sur quelques définitions…
…que l’on puisse ensuite tous discuter de la même chose dans les commentaires ci-dessous ou sur notre page Facebook.
Par réplique, j’entends une voiture plus ou moins conforme à l’originale, construite sans obtenir forcément l’aval du constructeur et généralement pourvue d’une mécanique standard, type V8 Ford ou 6 en ligne BMW. On trouve de tout ici, de la simple évocation que même ma grand-mère distinguerait de l’original à la réplique extrêmement fidèle, avec parfois des pièces d’origine ou issues de modèles proches mais plus courants et abordables.
La reconstruction, consiste à rebâtir à 100% une voiture sur la base d’un simple numéro de châssis dont on est propriétaire. C’est là le destin de nombreuses voitures de course accidentées et refaites entièrement.
Par continuation, j’entends une voiture assemblée de rien par le constructeur lui-même, bénéficiant d’un vrai numéro de châssis, mais dont la production a été réalisée bien après les derniers exemplaires de la première série.
Entre ces catégories, on trouve également les voitures dont la production ne s’est jamais véritablement arrêtée, dont la licence a été parfois transmise à une autre entreprise. Le cas le plus emblématique étant celui de la Lotus Seven, toujours produite par Catheram ou les Shelby Cobra 427 flambant neuves qui sortent encore des ateliers américains.
Un récent engouement ?
Ces dernières années, dans le contexte d’un marché de l’automobile ancienne des années 50 et 60 qui atteint des sommets inégalés, quelques constructeurs ont cru déceler un filon rémunérateur. Détenteurs de la légitimité sur leur production passée, ils ont choisi de proposer à la vente de nouveaux châssis de leurs voitures les plus emblématiques. C’est Jaguar qui a ouvert le bal avec la XKSS, la Type E Lightweight et la Type D et, de façon différente, la Type E mue par une propulsion électrique. Aston Martin a suivi en lançant de nouvelles DB4 GT.
La marque britannique avait d’ailleurs initié le mouvement pendant les années 90 en assemblant 6 nouveaux châssis de DB4 Zagato, les Sanctions II et III, venant compléter les 19 existants. Il faut d’ailleurs noter que la décision de produire ces voitures a été prise dans une période comparable à celle que nous vivons actuellement : une croissance exponentielle (déraisonnable ?) des prix des voitures de collection. Derrière l’artisanat et la passion, il y a parfois un peu d’intérêt financier… Les proportions étaient toutefois bien différentes : une Zagato avait en effet atteint la somme de 1,7M£ lors d’une enchère. Comptez, à la louche, 6 fois plus de nos jours.
Aujourd’hui, c’est Ferrari qui semble vouloir entrer dans la danse. Compte tenu des prix atteint par de nombreux modèles et son statut de société cotée devant rendre des comptes publics à ses actionnaires anonymes, il eut été surprenant que la question n’ait pas au moins été posée. Avant son décès prématuré, Sergio Marchionne avait en effet laissé entendre que la marque italienne allait se lancer dans la production de nouvelles 250 GTO. On vise directement le sommet, sans passer par la case départ.
Et alors ?
Les répliques tout d’abord : je n’ai rien contre tant qu’elles s’affichent comme telles : différences sensibles, absence de logo. On peut trouver de jolies choses, de beaux hommages sans pour autant vouloir passer pour ce que l’on n’est pas. Le point sensible sera ici les propriétaires à l’honnêteté à géométrie variable et qui laissent parfois croire aux âmes pures ou pas assez informées qu’elles ont croisé un mythe plutôt qu’une simple copie.
Cependant, j’ai parfois un peu de mal à comprendre pourquoi vouloir vivre sa passion automobile par procuration. Ces répliques coûtent à minima quelques dizaines de milliers d’euros. Pour cette somme, le choix d’une authentique voiture passion est particulièrement vaste, et ce, dans toutes les grandes familles de l’automobile : berlines, sport, roadster, anciennes, course, etc. Parce qu’une évocation de 330 P4 mue par un V8 de Chevrolet ne pourra jamais, je pense, vous faire vivre l’émotion de l’authenticité.
De plus, certaines de ces répliques (c’est d’autant plus vrai pour les voitures vraiment très chères) sacrifient des autos moins prestigieuses mais dont l’intérêt historique est certain. Prenez ces Ferrari 250 GT ou 250 GTE dont le châssis se trouve aujourd’hui habillé de carrosserie de 250 GTO. Jamais les modèles ayant servi de base n’atteindront la cote de la GTO mais il est dommage de voir disparaître ces voitures qui, dans l’absolu, ne manquent pas d’amateurs. Tout ceci pour finalement ne pas avoir de GTO supplémentaire à admirer. On ne peut même pas parler de gain financier : personne ne paiera un châssis de 250 GT plus cher qu’une vraie 250 GT parce qu’il aurait changé de robe.
Le cas de conscience des continuations
Je vais rapidement éluder le cas des voitures dont la production ne n’est pas jamais véritablement arrêtée : après tout, aucune loi n’impose une durée de vie à un modèle, y compris sans changement majeur, si ce ne sont ceux nécessaires aux homologations. La Shelby Cobra en est le parfait exemple, même si l’on compte également des milliers de répliques de par le monde.
En revanche que dire de la liste suivante de continuations récentes :
- 50 Shelby Cobra Daytona, il en existe 6 originales ;
- 25 Aston Martin DB4 GT, il en existe 75 originales ;
- 6 Jaguar Type E Lightweight, il en existe 12 originales ;
- 9 Jaguar XKSS, il en existe 16 originales ;
- 25 Jaguar Type D, il en existe environ 75 originales.
Bien qu’Aston Martin ait été le précurseur comme on l’a vu, c’est Jaguar qui a pour l’instant profité à plein de cette nouvelle tendance exclusive. Les considérations financières sont évidentes : hormis la Shelby, chacun de ces exemplaires aura été facturé plus d’un million de dollars. Même si la fabrication à l’ancienne coûte plus chère que la relative grande série, la marge nette s’approche très probablement de celle de l’industrie du luxe, entre 20 et 40%. Aucune de ces entreprises n’est une association à but non lucratif, il serait hypocrite de leur reprocher « de vouloir faire du fric », s’agissant de leur objectif premier, au détriment souvent d’un certain respect de l’histoire. C’est lorsque le cœur parle que l’on peut émettre quelques réserves.
Alors oublions le monde réel pour nous attarder sur la part artistique et historique de l’automobile.
Les voitures continuées dont il est question ici sont considérées comme des mythes, légendes modernes, des odes à la mécanique et au design automobile. Et je ne parle même pas de la GTO puisque l’on n’a aucune certitude sur sa production. Entre lignes tenant au chef d’œuvre et palmarès en course en béton armé, ce sont les références de tout passionné par les automobiles d’après-guerre. Celles d’une époque bénie pendant laquelle la course était plus simple, moins cadenassée par les logiques commerciales – un peu quand même, le marketing ne date pas des années 80. Il s’agit de voitures conçues par des petites équipes d’ingénieurs pionniers et passionnés, assez loin des armées entières de diplômés travaillant sur ordinateur dans une ambiance que l’on devine plus froide, à tort ou à raison. Ces voitures d’Hommes et non de technique font résonner une histoire de nostalgie à ceux qui ont réussi dans la vie et dont les poches profondes font grimper les prix tandis que les yeux de ceux qui n’étaient pas nés brillent à la moindre évocation des courbes de leurs ailes et du son de leurs échappements.
Quelle place pour ces continuations de mythes ?
Il serait malvenu de les rejeter d’office, ce sont bien leurs constructeurs qui en possèdent les droits. Pour avoir pu approcher une XKSS et une Type D de continuation, le travail est remarquable. Avoir raté une DB4 GT Zagato Continuation II lors de la dernière édition du Mans Classic m’a donné un petit pincement au cœur. A l’œil du passionné que je suis, ce sont des « vraies » automobiles originales et dignes de porter le nom de leurs jumelles plus anciennes. Les méthodes de fabrication sont les mêmes, les plans originaux ont été sortis des archives et les meilleurs ouvriers se sont penchés sur leur berceau. S’agissant d’ailleurs de voitures montées et équipées comme les premières versions, elles ne peuvent pas être immatriculées : seule l’utilisation privée sur circuit est possible. Ceci dit, on peut compter sur nos amis britanniques pour trouver une faille à cet état de fait, ils sont très forts pour ça.
Si l’on tient compte également des restaurations très poussées que la plupart des originales ont reçu (réfection moteur complète, carrosserie, intérieur, etc.), leur caractère original n’est plus tout à fait assuré. Notre camarade et grand amateur de numéro de châssis du cheval cabré du site Arthomobiles.fr nous avait fait part des regrets d’un ancien propriétaire de la 250 GTO de Ralph Lauren quant à cette tendance : « je vois 3987 (son ancienne voiture donc, ndlr) sous la forme d’une réplique plutôt que de l’originale (…) une voiture générique plutôt qu’une GTO avec une personnalité ».
Certes, toutes ces mamies bien conservées n’ont pas reçu autant de chirurgie esthétique que l’exemplaire dont il était question mais aucune n’est dans son jus. C’est donc finalement la possession du numéro de châssis qui procure à la voiture son caractère unique et de facto sa valeur. Si l’on peut penser que les versions récentes soutiendront une cote financière élevée, leur absence totale de palmarès et de vie d’époque devrait leur valoir une décote certaine. En revanche, personne ne pourra contester l’attribution par le dépositaire de la mémoire d’un véritable et unique numéro à chacune de ces autos.
Pour conclure…
Chacun se fera bien évidemment son opinion sur les faits et positions exprimées dans cet article. Pour ma part, je porte un regard bienveillant sur ces productions surnuméraires tant qu’elles restent modestes en volume et évitent les améliorations modernes trop voyantes. Le respect du modèle original passe avant toute chose. Je conçois que l’on soit choqué par le versant mercantile du projet. Mais ce sont des œuvres reproductibles et il sera toujours préférable qu’elles le soient par l’artiste que par des copistes.
Crédit photos : Aston Martin, Shelby, Jaguar, Pierre Clémence