Mondial 2016 : interview d’un homme pressé, Carlos Ghosn

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Porte de Versailles, jeudi après-midi, première journée presse. Nous sommes cinq blogueurs à avoir un rendez-vous particulier avec un des hommes les plus puissants de la planète automobile. Carlos Ghosn nous accorde quelques trop courtes minutes.

Trop courtes, car son temps est compté alors que nous avons tous une liste de questions suffisantes pour l’occuper un après-midi entier. Trop courtes, car les interviews précédents ont naturellement débordé et qu’ils doivent tous s’enchaîner selon un timing très précis. Trop courtes, mais intéressantes, et permettant d’aborder des points variés de l’actualité automobile. Trop courtes mais exceptionnelles, car c’est la première fois que des blogueurs ont la chance de le rencontrer. Vous en retrouvez ci-dessous le compte-rendu in extenso.

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  • Anne-Charlotte Laugier (Charlotte au volant) : une question sur les femmes : avez-vous atteint le quota de 40% de femmes au conseil d’administration ?
  • Carlos Ghosn : pas encore. Mais c’est planifié, nous serons dans les temps. Nous demandons la contribution de tout le monde car nous avons bien sûr les indépendants mais nous avons aussi les représentants de l’Etat, des représentants de Nissan, des représentants syndicaux et nous demandons à tout le monde de respecter le quota des 40%. Alors évidemment, nous avons une responsabilité directe sur les indépendants. Par contre les autres actionnaires il faut qu’ils fassent un effort pour remplir le quota des 40%. Mais c’est planifié. On sera dans les temps
  • Anne-Charlotte : de toutes façons, vous êtes pour la mixité, ça vous intéresse d’avoir de la mixité ?
  • Carlos Ghosn : évidemment !

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  • Yoann Nussbaumer (Automobile Propre) : Vous présentez la nouvelle Zoé. Elle fait maintenant 400 km d’autonomie, 300 km dans la vraie vie. Est-ce qu’on a encore besoin de bornes de recharges ?
  • C.G. : Ah oui ! Oui ! Attention, le problème de l’autonomie est très aigu aujourd’hui parce qu’il n’y a pas de point de chargement. Je dirai c’est tout à fait normal. Vous auriez une voiture à essence, on vous dirait il n’y a pas de pompe à essence sur le territoire français, vous hésiteriez à acheter une voiture à essence. Donc aujourd’hui on comprend les réticences de beaucoup de consommateurs à acheter une voiture électrique quand ils ne savent pas où sont les points de chargement. Donc la multiplication des points de chargement, qu’ils soient aussi disséminés sur le territoire que les stations à essence ça m’apparaît fondamental pour traiter tout problème d’autonomie. Ce n’est pas le cas, même si la situation s’est bien améliorée au cours des 3 dernières années, puisque je rappelle qu’il y a près de 80 000 points de chargement en Europe aujourd’hui et qu’il n’y a pas plus de 80 km d’autoroute sans qu’il y ait un point de chargement, ce qui est déjà une amélioration énorme. Mais les gens sont quand même préoccupés. C’est pourquoi amener un niveau d’autonomie de 300 km en usage réel, qui est essentiellement un usage urbain et suburbain, désensibilise le problème mais ne le résout pas. La résolution du problème c’est que le territoire soit maillé de points de rechargement électriques, et ça on n’y est pas encore, mais on y arrive.

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  • Fabrice Spath (Breezcar) : pourquoi être allé vers l’électrique en 2009/2010, et qu’avez-vous à aujourd’hui dire à la concurrence qui se targue de vouloir devenir le leader d’ici 5/10 ans ?
  • C.G. : Pourquoi l’électrique ? Parce nous voyons arriver tous les problèmes que nous voyons aujourd’hui. Nous avons vu électrique parce que :
    • Je vous rappelle qu’en 2008 / 2009 le problème de la trop grande dépendance au pétrole était un problème réel
    • La volatilité des prix du pétrole faisait qu’on ne pouvait pas avoir une stratégie fiable avec un baril qui oscille entre 110 et 25 $ le baril sur une période assez courte. Personne n’est fichu (sic) de voir vraiment où l’on va
    • Les problèmes d’émission qui deviennent de plus en plus stricts et qui dans tous les cas vont vous amener à avoir une très grande partie de ce que vous vendez en zéro émission, sinon vous n’arriverez pas à atteindre les niveaux d’émission qui vous sont demandés dans tous les pays : les Etats-Unis, la Chine et l’Europe.

Nous avions vu ça, mais nous ne savions pas à quelle vitesse cela allait se développer. Pourquoi nous avons misé sur l’électrique ? Parce ce que c’était la seule technologie qui était prête en matière de zéro émission. L’autre technologie c’est la pile à combustible, mais on est très loin du compte. L’avantage de l’électricité c’est que vous pouvez la fabriquer à partir de beaucoup de choses, vous ne dépendez pas d’une seule matière première. Vous pouvez faire de l’électricité à partir du vent, du solaire, du nucléaire, de l’hydraulique. Vous pouvez faire de l’électricité à partir de tout. Une voiture électrique ne dépend pas d’une seule matière première. Et les gens sont très familiers avec l’électricité, en comparaison avec l’hydrogène qui est très différent et qui demande des contraintes auxquelles les gens ne sont pas habitués. Tout cela nous a poussé vers l’électrique.

Je suis très content de voir aujourd’hui que tout le monde se découvre une mission électrique alors qu’il y a 7 ans Renault a été un peu raillé. On nous disait que nous faisions de l’électrique parce qu’on n’avait pas d’hybride, alors que nous pensions que l’électrique allait réellement jouer un rôle très important dans l’automobile, et nous y arrivons. Aujourd’hui nous sommes un peu déphasés : nous parlons du présent alors que d’autres parlent d’avenir. On vous dit : on va lancer 4 voitures, 5, 10, 15, en 2020, 2025. On va atteindre 400 km dans 3 ans. Mais aujourd’hui, nous sommes là, on a les voitures. Les 400 km d’autonomie NEDC (300 km réels) c’est maintenant. Vous pouvez commander la voiture aujourd’hui, vous l’avez avant la fin de l’année, on n’est pas en train de parler de dans 3 ans. Pourquoi nous sommes un peu plus mesurés pour parler de l’avenir, c’est parce que si nous parlons de la voiture de dans 3 ans, c’est parce que cela enlève beaucoup d’appétit sur la voiture actuelle. Or nous, notre intérêt c’est de vendre déjà la technologie actuelle. Alors que ceux qui n’ont pas de voiture actuelle peuvent se permettre de faire beaucoup de discours sur la technologie de demain. Tout ceci fait partie de la concurrence, c’est tout à fait normal. Mais comme en général la presse parle de tout sans faire de distinction entre le réel et le fictif, on me dit parfois que Renault est en retard sur la voiture électrique alors que 50% des voitures électriques vendues dans le monde sont vendues par l’Alliance. Zoé est la voiture électrique la plus vendue en Europe et l’annonce que nous venons de faire (300 km en réel) va certainement booster encore les ventes de Zoé.

  • A-C. : cependant vous croyez maintenant à l’hybride aussi ?
  • C.G. : nous répondons à des demandes très ponctuelles en matière de marché mais nous ne poussons pas l’hybride, nous sommes beaucoup plus pour les voitures électriques. C’est l’avantage de l’Alliance : nous ne sommes pas prisonniers d’une technologie. Nous avons des moteurs à essence qui s’améliorent, des moteurs diesel que nous continuons à améliorer, des hybrides, des plug-in hybrides, des véhicules électriques. C’est l’accord avec Nissan – bientôt Mitsubishi va rejoindre le groupe – qui nous donne une surface suffisante pour développer toutes ces technologies et ne faire aucune impasse. Cela dit, il y a des technologies dans lesquelles on croit plus que d’autres et que nous poussons plus que d’autres. L’électrique en fait partie.

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  • Régis Krol : une question sur l’Alliance. Aujourd’hui l’Alliance c’est Renault, Nissan, demain (ou peut être dès aujourd’hui) Mitsubishi, Infiniti, Dacia. Comment vont s’articuler toutes ces marques ? Est-ce qu’il y aura des spécificités, est-ce que trois généralistes peuvent coexister ? Comment vous voyez l’avenir pour l’Alliance ?
  • C.G. : Je pense que trois généralistes peuvent coexister puisque deux généralistes coexistent très bien aujourd’hui. Quand Renault et Nissan ont fait leur Alliance en 1999, tout le monde disait que nous allions nous cannibaliser, que les voitures allaient se ressembler, qu’on allait se marcher sur les pieds. Aujourd’hui en Europe, Renault est en voie de devenir la deuxième marque européenne, Nissan est le premier constructeur japonais en Europe. Il n’y a absolument aucune cannibalisation. Vous regardez les voitures de Nissan et les voitures de Renault : elles ne se ressemblent pas du tout. Il y a très peu de cross-shopping entre Nissan et Renault. Et pourquoi ? Parce que ce n’est pas planifié. On laisse les gens de Renault libres de développer leur propre gamme selon leurs propres envies, avec leur propre marque et les gens de Nissan font la même chose. Et les gens de Mitsubishi feront la même chose.
  • R.K. : et les partages de plate-forme ?
  • C.G. : les plates-formes c’est autre chose. Les plates-formes, c’est la technologie
  • R.K. : mais sur le produit en lui-même, il y a une liberté ?
  • C.G. : bien sûr. Parce que finalement une voiture c’est quoi ? C’est une architecture. Les briques de cette architecture seront communes : les moteurs, les transmissions ou les systèmes multimédia seront communs. Mais la façon dont vous les assemblez ensemble, les fonctionnalités qui seront vos fonctionnalités d’appel seront très différentes selon les marques. Je crois beaucoup en ce système car cela donne de la liberté aux marques. Cela donne de la créativité aux équipes de Renault, Nissan et bientôt Mitsubishi. L’autonomie est donnée à chacun pour sa propre exploitation, mais ce qui n’est pas possible, ce sont les duplications technologiques, les duplications de plates-formes, les duplications des fonctions support. Tout ceci est en commun, mais le reste est très libre.

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  • François Mortier (The Automobilist) : quel est l’avenir commercial de Renault dans l’Alliance ? Et au-delà, dans ses positions commerciales ? On sait que Renault est implanté dans des marchés qui sont plus ou moins en difficultés comme le Brésil ou la Russie. L’Inde explose grâce à Kwid. Quels sont les futurs de Renault sur ces différents marchés qui sont en croissance comme la Chine ou l’Inde ou en difficulté comme le Brésil ou la Russie ?
  • C.G. : Renault est le constructeur automobile qui a eu la plus grosse croissance sur les deux dernières années. Cette année sur le premier semestre nous sommes à +13% de croissance, ce qui est le top de tous les constructeurs. Cela va continuer au deuxième semestre et aussi l’année prochaine. Tout cela est dû au fait qu’il y a eu un renouvellement de gamme très fort. Non seulement nous avons renouvelé une quinzaine de produits qui marchent très bien. Quand je dis « renouvellement », je dis nouvelle Clio par rapport à ancienne Clio, nouvel Espace par rapport à ancien Espace. Mais nous avons également rajouté 11 nouvelles voitures qui n’existaient pas avant. Des voitures comme Captur, Kadjar, Kwid ou Alaskan qui n’existaient pas avant. Cette expansion de la gamme et un fort renouvellement de produits font qu’aujourd’hui on progresse très fortement en part de marché en Europe. Et c’est ça que pour l’instant vous retrouvez dans les résultats de Renault. Ce que vous n’avez pas encore vu, et qui n’apparaît pas encore dans les résultats, ce sont tous les investissements faits en Russie, où Renault-Nissan-Avtovaz est le premier groupe russe, au Brésil où Renault est dans les 5 premiers constructeurs. Et vous n’avez pas encore vu l’Inde ou la Chine. La Chine, nous venons de commencer, et Kwid vient de démarrer en Inde. Ce que nous avons en réserve c’est le redémarrage des marchés russes et brésiliens, l’amplification de Kwid, qui est un succès mais qu’il faut évidemment continuer, et surtout l’entrée en Chine. Nous y vendons quelques milliers de voitures sur un marché de 25 millions. Nous avons une avenue devant nous.

Mes plus vifs remerciements à Maxime, German et toute l’équipe de Renault qui ont rendu cette rencontre possible, et un salut à mes chers confrères

Crédits photos : Renault

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