La société anonyme à capitaux publics La Poste est connue de tous pour ses célèbres véhicules jaunes. Mais l’on sait moins qu’avant 1960, ceux-ci étaient de couleur vert foncé. A l’heure où les entreprises mélangent greenwashing et prise de conscience environnementale, la Poste (re)passe au vert en se dotant massivement de véhicules électriques : vélos et caddies à assistance électrique, scooters, quadricycles, et une flotte de 10.000 Renault Kangoo Z.E. d’ici 2015. Utilisés essentiellement dans un environnement urbain et pour de courts trajets, assurées d’avoir une place de parking pour se recharger quotidiennement, les Kangoo électriques semblent prédisposés à un destin postal. Quels progrès et quels inconvénients apportent-ils ? Comment se sont-ils intégrés aux activités de transport et de distribution ? En clair, l’utilitaire de l’année 2012 est-il un efficace postier ? Nous sommes allés en juger à la Plateforme de Production et Distribution du Courrier (PPDC) du Havre.
Le Kangoo Z.E., on a tous à y gagner ?
Arrivés au mois de novembre 2012, ce n’est que fin juin que la Poste a officiellement célébré l’arrivée d’une flotte de 10.000 Kangoo Z.E. Au Havre PPDC, ceux-ci représentent ainsi une bonne moitié du total des véhicules postaux du parc, dont les formats varient des plus petits (Citroën Nemo & Fiat Fiorino) aux camions (Jumper avec container), sans oublier des camionnettes aux volumes intermédiaires (Jumpy, Master). Les nouveaux Kangoo remplacent d’autres Kangoo, qui carburaient au gazole. Ils sont affectés au service des collectes/remises aux entreprises, c’est-à-dire des tournées de distribution et de retrait de courrier et de paquets directement chez les clients. La grande majorité des tournées se fait en ville, mais quelques unes desservant notamment Sandouville (ville ô combien évocatrice pour Renault) doivent emprunter l’autoroute, permettant aux véhicules jaunes de faire montre de toutes leurs capacités.
L’arrivée de ces Kangoo a obligé la Poste a faire des transformations sur son parking : autant de prises électriques que de véhicules ont été amenées, suspendues au plafond pour éviter que les fils trainent au sol, un gigantesque transformateur (l’équivalent d’une wallbox mais pour 10 voitures) a été installé, et le réseau électrique du centre postal a dû s’adapter pour suivre la consommation quotidienne que nécessitent les Kangoo. Ceux-ci sont rechargés pour la plupart la nuit, même si les véhicules les plus sollicités (pour les parcours autoroutiers) et se déchargeant plus vite sont branchés à tout moment. Au départ des facteurs pour leur tournée “voiture”, vers 8h30, ils débranchent donc leur Kangoo, qui, l’hiver, grâce à la programmation du chauffage, a pu préchauffer l’habitacle pour plus de confort. A l’inverse, l’été, l’absence de moteur thermique se ressent à l’intérieur qui est un tantinet plus frais, même en l’absence de toute climatisation.
Pour recharger un Kangoo Z.E., il faut compter 5h30 environ, tout en sachant qu’ils ne reviennent pas de tournée batteries vides. Selon l’utilisation faite du véhicule, celui-ci indique une estimation de l’énergie restante mais aussi du temps potentiel de recharge nécessaire (par exemple, 3h30) pour arriver à 100 %. Renault promet de son côté une charge complète entre 6 et 8 heures de branchement, soit un branchement quotidien et effectué en soirée et la nuit. Le branchement se fait via la trappe situé sur le bouclier avant en-dessous du capot moteur.
Si le passage des Kangoo diesel aux Kangoo Z.E. ne se voit presque pas, tout du moins il s’entend, et nombreux sont les passants à interpeller les agents pour leur demander le secret de leur discrétion. Les conducteurs et conductrices redoublent de vigilance à l’abord des passages piétons notamment, car le silence de leur moteur ne rend pas les piétons conscients de leur présence. Il est regrettable qu’aucun dispositif autre que le bon vieux klaxon n’ait été prévu prévenir l’approche du véhicule de façon plus douce.
Le plein de confiance
Le Kangoo Z.E. marque des points auprès des entreprises grâce à son intérieur strictement identique à la version thermique. En clair, passer à l’électrique n’exige aucun sacrifice en terme de surface, volume et charge utile, à savoir que vous disposez de 3 m3, voire 3,5 m3 si vous repliez le siège passager (pour installer deux bacs de courrier supplémentaires et un diable), pour un poids ne dépassant pas les 650 kg. Les dimensions du Kangoo Z.E. sont elles-aussi inchangées (L/l/h): 4,213/1,829/1,818 m. Le plancher de la partie cargo est entièrement plat, bien que sillonné de rigoles, et accessible par deux portes basculantes à l’arrière ou une porte coulissante sur le côté latéral droit. On ne peut pas accéder au chargement depuis l’intérieur, qui est entièrement galvanisé par une coque métallique noire.
Dans cette version électrique, le Kangoo postal dispose de quelques raffinements dont n’était pas pourvu son prédécesseur thermique : rangement gouttière au-dessus du pare-brise, plastiques moins salissants sur le haut de planche de bord, et un vaste rangement sous l’accoudoir central (qui remplace un frêle accoudoir collé au dossier de siège). Le frein à main a par conséquent changé : c’est une poignée façon levier de vitesse (ce dernier étant installé directement “sous la main” à hauteur du tableau de bord) qui le remplace. Évidemment, la vocation utilitaire décevra les toqués des plastiques moussés à cœur, néanmoins on saluera la qualité d’assemblage et l’absence de tout bruit de mobilier durant le parcours. Les sièges pèchent par un manque de maintien latéral ; la sellerie est mi skaï/mi tissu.
On pouvait s’interroger sur la sécurité d’un branchement électrique par temps humide ou pluvieux : celui-ci semble sans problème, dans la mesure où les prises de courant sur le parking sont aux quatre vents (et comme souvent au Havre, aux quatre pluies également !), sans que cela n’ait causé aucun court-circuit. Mieux, les forts orages de ces dernières semaines n’ont eu aucune incidence. On remarquera toutefois que Renault a pris toutes les précautions en mettant à disposition un “pack rechargement” comprenant un étui pour le transformateur et la prise de branchement ainsi que des gants de protection aux chocs électriques.
Postvan Kangoo
Prenons la route maintenant. Comme pour tout véhicule électrique, le silence règne à bord, et les accélérations sont fulgurantes. On est parfois surpris, néanmoins le plus agréable -outre d’avoir l’impression de ne pas perdre de temps- est que ces accélérations sont linéaires, puisque la boîte de vitesse est automatique. Autre surprise agréable, la maniabilité de la direction, qui n’a pas progressé mais qui reste suffisamment légère pour l’apprécier : c’est particulièrement utile lors des manœuvres sur parking, aussi nombreuses que les arrêts que doit marquer le véhicule à chaque collecte de courrier. A l’ère des dos d’âne et gendarmes couchés dont usent avec excès certaines municipalités, le moelleux de la suspension est particulièrement plaisant et assez étonnant pour un tel utilitaire. Ainsi, les objets transportés ne sont pas trop ballotés, et le comportement routier sain participe au sentiment que l’on a entre les mains un véhicule doux. On ne dirait pas que le Kangoo Z.E. pèse 1374 kg dont 260 de batteries lithium-ion & manganèse.
Côté motorisation, c’est un bloc de 44 kW, soient 60 chevaux, pour un couple (disponible dès 0 km/h) de 226 Nm ; comparé au bloc diesel 1,5 l dCi 70 ch des Kangoo postaux thermiques, l’électrique n’a pas à rougir. Sa puissance est amplement suffisante pour circuler en zone urbaine dense, et la vitesse maximale est limitée à 110 km/h. Si l’autonomie, promise pour 170 km, varie selon l’utilisation, les parcours des tournées et la charge transportée, on peut tabler sur plus d’une centaine de kilomètres d’autonomie à chaque fois. Cependant, les véhicules contraints de passer par l’autoroute, et qui donc utilisent pleinement la pointe de vitesse de 110 km/h, ont tendance à se décharger bien plus vite et à n’avoir jamais une autonomie supérieure à la centaine de kilomètres : on les remarque sur le parc car ce sont ceux qui sont branchés en permanence. Rare manque que l’on peut déplorer pour ce moteur électrique: l’absence de SREC (Système de Récupération d’Energie Cinétique), qui serait pourtant bien pratique et très sollicité lors des nombreuses phases de freinage.
La conduite douce est permise par la boîte automatique, dont le fonctionnement est enfantin avec quatre lettres : P pour Parking (arrêt du moteur), R pour Recul, N pour Neutre, et D pour Drive qui est le seul rapport permettant d’avancer. Pour passer d’un rapport à l’autre, il faut enclencher le bouton à gauche de la manette de vitesse, ce qui est une sécurité au cas où par erreur le conducteur passerait de la marche avant à la marche arrière. Comme sur les voitures thermiques, il faut appuyer sur la pédale de frein pour pouvoir débrayer au démarrage. Ainsi, à chaque arrêt au feu rouge, il faut d’abord mettre le véhicule au point mort sur N, débrayer via la pédale de frein, enclencher le levier de vitesse sur D, lâcher le frein pour appuyer sur l’accélérateur et libérer la cavalerie des 60 chevaux et leurs 226 Nm immédiatement disponibles. En théorie ça paraît long, mais en pratique c’est très vite assimilé.
On dit que le véhicule électrique est silencieux : c’est presque vrai. On peut contester l’affirmation par le petit sifflement qu’émet le moteur dès qu’il passe les 30 km/h et qui s’amplifie plus on va vite. Et à l’intérieur, si le volume sonore est bien moins bruyant qu’en version thermique, au point que l’on entend aisément un passager, les bruits environnants (la partie “cargo” du Kangoo n’est pas isolée phoniquement) ou que l’on écoute moins fort la radio, reste que toute ouverture de porte, changement de position de la boîte de vitesse, et jusqu’au lancement du moteur est signalé par un “bip”. Il y a donc un bip pour le passage de la vitesse de recul R, le bip du radar de recul (le plus utile de tous), les 3 bips rapides de l’ouverture de portière, les 2 bips d’allumage du moteur… Cette symphonie de bip n’est malheureusement pas déconnectable. Et si l’on pense à mal, chaque mot sonnera “bip” pour ne choquer personne !
Alors, ce Kangoo Z.E., électrisant ?
Le jugement que l’on peut porter sur ce Kangoo électrique est plutôt positif : c’est dû au fait que l’usage auquel il est cantonné convient parfaitement aux besoins de l’entreprise postale qui dispose de surcroît des infrastructures nécessaires à son accueil. Certains équipements nouveaux (radar de recul) et la finition légèrement supérieure des véhicules (équipés d’enjoliveurs plutôt que de jantes à tôle apparente) distinguent ces nouveaux Kangoo dans la circulation, mais c’est par leur silence qu’ils interpellent le plus. Cet utilitaire reste contraint par les défauts inhérents à la motorisation électrique, par la faible autonomie et le coût d’installation (ici étendu à une flotte complète de 10 modèles) d’un transformateur adapté (la fameuse wallbox). Les utilisateurs regrettent pour leur part la disparition du lecteur CD -même le lecteur radio installé est une option au catalogue-, ainsi que l’absence de tout système d’alerte pour signaler doucement leur approche aux piétons et aux cyclistes.
De l’ensemble du programme Z.E. de Renault, ce Kangoo, qui fut le premier modèle lancé, apparaît aussi comme le plus homogène, avec une intégration du moteur et des batteries totalement invisible, et qui ne change en rien les capacités de chargement du modèle thermique. C’est l’essentiel, et cela s’ajoute à la rentabilité d’une telle opération. En effet, à raison d’environ 20.000 € hors-taxes, remises et primes étatiques, et entre 72 et 125 € de loyer mensuel pour les batteries, il faut compter entre 10.000 et 12.000 km pour rentabiliser le choix de l’électricité face à celui du gazole. Pour une entreprise utilisant 6 jours sur 7 ses véhicules, le seuil de rentabilité est atteint au bout d’environ deux ans. Et même si l’électricité havraise est fournie par une centrale thermique, qui vient ternir l’initiative verte, cela n’apparaît pas si coûteux pour l’entreprise postale que de s’offrir une image citoyenne, ou à tout le moins, écologique.
Crédit photographique : François Mortier
Remerciements à l’agent Patricia Derrick pour ses explications et sa gentillesse, ainsi qu’à la direction de la PPDC du Havre.
Et avant Benoît XVI, c’est Eric qui a pu essayer le Kangoo Z.E. en version Maxi et grand public.