Essai collection : Škoda Felicia. Tu prichádza slnko

Toujours au fait de l’actualité automobile et des nouveautés, Blog Automobile a été convié à essayer le dernier cabriolet de Škoda : la Felicia. Et avant que mon cher lectorat me fasse remarquer que la voiture est sortie il y a près de 55 ans, je tiens à préciser à la décharge de notre glorieuse publication que je n’étais pas né à l’époque, pas plus que l’Internet. Alors comme pour mieux rattraper notre retard, je vous convie en pleine orthodoxie communiste tchécoslovaque à travers une balade en cabriolet Škoda Felicia de 1960. Poďme sa prejsť!

Si vous posiez la question à chaque population des pays satellites de l‘URSS, ils vous répondraient qu’ils étaient les plus chanceux du Bloc de l’Est. RDA, Pologne, Hongrie, chacun s’estimait être le plus heureux (ou était invité à le penser, allez savoir). Qui disait vrai ? Les tchécoslovaques, pardi. Et je m’en vais le prouver avec cette Škoda Felicia. Et quel rapport y a-t-il entre le bonheur et ce cabriolet, me direz-vous ? Tout simplement que le cabriolet est la silhouette la plus cool qui soit sur le marché automobile. Partout où il y a des cabriolets, il y a une certaine joie de vivre. Et la joie de vivre, ce n’était pas nécessairement le cœur de métier du Bloc de l’Est : combien connaissez-vous de découvrables de l’autre côté du Rideau de Fer ? Outre le privilège de pouvoir boire du Kofola à la pression, le peuple de Bohème et Moravie était bien le seul à pouvoir disposer d’un cabriolet de grande diffusion ; je vous fais grâce de l’éphémère cabriolet Wartburg 311 de RDA et des quelques ZIL soviétiques destinées aux chics parades des hauts apparatchiks. Puisque nous évoquions la coolitude du cabriolet, on ne compte plus le nombre de personnalités plus ou moins légendaires mortes en cabriolet. Jane Mansfield, James Dean, Jackson Pollock, John Fitzgerald Kennedy, Isadora Duncan,  y a-t-il plus cool façon de mourir, je vous le demande ? Moralité, les tchécoslovaques étaient bien les plus gâtés, CQFD.

Mais revenons à notre jolie Škoda Felicia. Son nom vous évoquera irrémédiablement la Felicia de 1994 premier modèle de l’ère VW et habile restylage de la Favorit lancée juste avant la chute du régime communiste (je vous épargne la version découvrable signée MTX). Le cabriolet Felicia, produit à 14 863 exemplaires entre 1959 et 1964, est quant à lui une profonde évolution du cabriolet 450 sorti en 1957, de la même manière que les berlines 440 et 445 sont techniquement remaniées pour devenir la gamme Octavia en 1957. Notre beau cabriolet est un modèle 1960, disposant ainsi du train avant à ressorts hélicoïdaux à bras triangulés en lieu et place des lames transversales ainsi que du tableau de bord redessiné inaugurés par les berlines Octavia. Esthétiquement, c’est une sympathique et fluette silhouette qui caractérise la Felicia dont les ailes avant  présentent un original renflement surlignant les passages de roues. L’immense calandre chromée signe la face avant tandis que les ailes arrière se parent d’ailerons s’achevant par la pointe supérieure des feux. Le bleu ciel d’origine cède ici la place à un rouge (couleur du catalogue d’alors) attestant de la récente restauration de cet exemplaire qui rappelle ceux que l’on croise ici ou en parcourant les rues de Prague. La ligne est plutôt aguichante et, combinée au menu gabarit de l’auto, suscite une vraie sympathie de la part des passants. Tant de frivolité pour une voiture lancée sous Novotný semble étrange. Ce cabriolet serait-il le prélude automobile au vent de liberté qui soufflera sous la brève présidence Dubček ? Une chose est sûre, à l’image du Printemps de Prague, il n’aura pas fait long feu : l’arrivée des Škoda 1000 MB en 1964 signe l’arrêt de mort des cabriolets au sein de la marque tchécoslovaque, les prototypes basés sur la remplaçante des Octavia étant restés sans suite.

Nous nous retrouvons dans le parking de Škoda France pour nous faire présenter le véhicule. C’est un cabriolet produit à Kvasiny au Nord de l’actuelle République Tchèque, un site qui fabrique désormais les Škoda Roomster, Yeti et Superb. Démarrage : un important panache de fumée noire vient littéralement souiller le mur blanc du parking. Manifestement, le conclave n’a pas encore élu le nouveau Pape… On nous montre comment décapoter et, bien que l’opération n’ait pas l’air bien compliquée, je me fais le serment de ne pas remettre la capote en place, certain de mon inaptitude à effectuer une tâche manuelle sans dégât. Ca tombe bien, un magnifique soleil irradie la Capitale dont je pourrai admirer les moindres détails du fait d’une excellente visibilité périphérique (traduisez : absence totale de sécurité passive). Sortie de parking par le monsieur de chez Škoda, je m’entasse avec l’ami Dom sur la banquette arrière, paraît-il prévue pour trois (et dotée de zéro ceinture) et comprends que la conduite ne sera pas de tout repos. Une fois dans la rue, je m’installe à bord, prenant la mesure de l’imposant volant derrière lequel se cache une direction à la précision digne d’un gouvernail par gros temps. Škoda n’a pas encore achevé la remise en état de la voiture. Il est temps de comprendre la manipulation de la commande de boîte de vitesses située à côté de la colonne de direction. En haut à gauche, la première, en bas, la seconde, en haut à droite, la troisième, sous elle, la quatrième. Quand tout va bien. Mais Pani Felicia a ses sautes d’humeur et il n’est pas rare que la première se montre récalcitrante. En pareille situation : passer la seconde puis revenir en première. En général, ça marche. Sauf quand la seconde se montre récalcitrante. Auquel cas, je passe la troisième, reviens en seconde puis mets la première. Avant de débrayer et enfin, d’avancer. Facile.

Le temps de réaliser qu’il n’y a pas non plus de ceinture à l’avant, je mets le clignotant via l’interrupteur au tableau de bord. Clignotant, qui dépourvu d’asservissement à la direction restera bien trop souvent engagé. Notez que les warnings sont aux abonnés absents. L’immense banquette en simili beige à dossiers séparés n’offre quant à elle aucun maintien, tandis que les suspensions font ce qu’elles peuvent. Vient alors le délicieux instant du freinage. Dépourvu d’une quelconque assistance, il délivre une puissance directement proportionnelle à la force appliquée par votre jambe droite. Je reste persuadé que mon vélo freine mieux que cette Felicia qui requerra quelques précautions d’usage pour éviter tout contact inapproprié avec le postérieur d’une autre voiture en ville. Bref, on anticipe et on garde ses distances. Après avoir tenté un arrêt photo sur le Champ de Mars, nous nous rendons à l’évidence : tous les badauds veulent être pris en photo à côté ou à son bord, éclipsant l’espace d’un instant la Dame de Fer. Il est temps de fuir les lieux si l’on veut pouvoir profiter un peu de la voiture. Nous nous échappons en direction des quais de Seine non sans nous être arrêté à côté d’une BMW i3 se chargeant sur une borne Bolloré Avenue de la Bourdonnais. Nous discutons avec son conducteur, visiblement un peu pressé. Nous sommes le 29 août (oui, l’article a un peu traîné) et l’affaire d’espionnage éclatera 10 jours plus tard… Tous candides, nous reprenons la route vers notre prochain spot photo. Une occasion de s’attarder sur l’habitacle à la planche de bord digne des standards de l’époque et finalement loin d’être indigente. L’instrumentation comprend un grand tachymètre encadré par une jauge à essence atteinte de la maladie de Parkinson ainsi que par une jauge de température moteur. L’aspect intérieur est impeccable, qu’on se le dise. Le coffre, quant à lui, se distingue par un  volume assez important et surtout une commande d’ouverture cachée sur la tranche de l’aile arrière, accessible porte ouverte.

Le moteur de la Felicia est un 4 cylindres 1089 ccm de 50 chevaux (une version Super 1221 ccm de 55 chevaux est apparue en 1961) qui lui autorise de très correctes performances du fait de ses 930 kilos de la voiture (sans parler du poids du conducteur…) et du fait que l’on n’a vraiment pas envie d’être joueur. Le freinage ne pouvant compter que sur la force de persuasion de ma cuisse droite et aucun dispositif de retenue n’étant prévu, inutile de dire que je n’ai absolument pas envie d’abîmer le frêle minois de notre cabriolet d’un jour. Une fois la Felicia lancée, les vitesses passent plutôt facilement, ce sont surtout les démarrages qui mettent en avant le côté un brin récalcitrant de la commande de boîte. En dépit de l’imprécision de la direction, on se fait peu à peu à la conduite de la voiture. Au final, c’est même une impression de robustesse qui s’en dégage tandis que l’on aborde la ville dans un mélange de concentration et d’humilité. Bilan de la journée ? Une certaine aversion à l’égard du levier de vitesse, des bronches dans un état proche de celles de Václav Havel sur la fin (non, la Felicia ne passe pas Euro 6) mais surtout un grand sourire sur mon visage durant la conduite. Cette dernière réaction a visiblement été partagée par les passants qui, à défaut d’identifier le véhicule, confirmeront le grand capital de sympathie qui s’en dégage. Il est temps de ramener la voiture chez Škoda. Je reprends alors le volant de la première Mondeo qui passait par là : la direction me semble plus légère que celle d’une Lancia Ypsilon en mode City tandis que les freins me paraissent dignes d’une Porsche 911. Comme quoi, tout est question de référentiel : c’est fou ce que les voitures sont devenues « conduisibles » au fil des ans !

Vous l’aurez compris, la Felicia présente quelques menus défauts : une absence totale de sécurité active comme passive, une direction qui, en plus de vous offrir une séance improvisée de musculation, n’est pas forcément encline à guider le train avant, des sièges qui relèvent de la banquette de bistro, une commande de boîte aussi contraignante que les troupes du Pacte de Varsovie dans Prague… N’en jetez plus. Ce serait oublier l’âge du véhicule et surtout sous-estimer l’effet qu’il produit sur la foule spectatrice ainsi que sur son conducteur. Je vous avais dit que les cabriolets étaient synonymes de joie de vivre ? Exalté par sa rareté sous nos latitudes, son allure pimpante et proprement restaurée, ce sentiment est bel et bien celui qui ressort de ces quelques heures de conduite. Véritable exception dans un bloc où les animaux de la ferme étaient invités à être égaux, ce cabriolet Felicia incarnait-il à sa manière une résistance passive au totalitarisme d’alors ? De nos jours et en ces temps de crise où le moral des clients est à la baisse, les cabriolets populaires se raréfient. Conducteurs, signez la Charte 77 de l’automobile, rebellez-vous contre le diktat des berlines à toit fixe, conjurez le déclin conjoncturel des cabriolets : franchissez le pas… Je vous avais bien dit que je ferai le lien entre un cabriolet et le bonheur ! Quelque part, cette Felicia peut être fière de ce qu’elle représente et est enfin et surtout une preuve que Škoda n’a pas à avoir honte de son patrimoine avec qui les aléas de l’Histoire n’ont pas toujours été tendres.

 

Photos : Ugo Missana

Un immense merci à Škoda France pour leur confiance et le prêt de cette superbe Felicia.

Un penchant malsain pour les voitures de l’Est ? Lisez ce livre entre deux expatriations.

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