Essai : Škoda 1000 MBG. Srdečné pozdravy z Mladé Boleslavi

La Škoda 1000 MBG… Toute une histoire : j’ai commencé la Traversée de Paris à son volant jusqu’à ce que les freins ne fassent grève. Comme disent les rabbins, il a fallu couper court. Mais une fois la voiture réparée, une seconde chance m’est offerte de vous pondre un essai un tant soit peu exhaustif de la berline tchécoslovaque. Avec 45 ans de retard, je l’admets. Mais vu que vous n’aviez pas encore Internet en 1967, vous me pardonnerez, j’en suis certain.

Présentations

S’il est un véhicule qui incarne à mes yeux la République Socialiste Tchécoslovaque, c’est bien la Škoda 1000 MB. Cette « nouvelle » république, proclamée en 1960, est la concrétisation du Coup de Prague de 1948 grâce à la bénédiction d’une nouvelle constitution voulue par le président d’alors, Antonín Novotný, en poste depuis 1957 (et premier secrétaire depuis 1951). Pour l’anecdote, Castro n’hésita pas à le qualifier de « cas clinique de médiocrité ». Mais revenons à la 1000 MB. Développée dès le milieu des années 50 par les ingénieurs de Škoda, la voiture devait obéir aux prérogatives gouvernementales i.e. peser 700 kg et consommer entre 6 et 7 litres aux cents. La solution retenue par le constructeur tchécoslovaque est une berline 4 portes, propulsion et moteur arrière, préférée à l’option traction/moteur avant, un temps étudiée mais écartée pour des raisons de coûts. Si l’architecture choisie paraît aujourd’hui obsolète, il faut la replacer dans le contexte des années 50 et 60 où elle était encore populaire en Europe (VW, Renault Dauphine, Simca 1000, Fiat 600, Hillman Imp, NSU Prinz…) sans même vouloir évoquer l’américaine Chevrolet Corvair, de peur de froisser la Dictature du Prolétariat nouvellement établie. De là à qualifier cette architecture mécanique de moderne, il n’y a qu’un pas qu’un citroéniste ne franchirait pas. Après tout, si les Doubles Chevrons faisaient des tractions à moteur avant depuis les années 30, ce n’est pas sans raisons…

Comme tout véhicule du Péril Rouge qui se respecte, son temps de développement est désespérément long (près de 8 ans) et la Škoda 1000 MB n’est présentée qu’en 1964 à la foire de Brno (ville qui a vu naître Kundera puis une flopée de barres préfabriquées sous l’ère Kroutchev). Pour produire la voiture, de nombreux investissements sont faits, à commencer par une usine flambant neuve à Mladá Boleslav (d’où les initiales MB) et fief actuel de Škoda. De nombreux fournisseurs étrangers sont sollicités pour ce site de production, à l’image de Renault et Chausson qui fourniront des machines de transfert et la chaîne d’emboutissage à la firme tchécoslovaque. 440 624 exemplaires de la berline (MB et MBG) seront produits entre 1964 et 1969, auxquels il convient d’ajouter 2 417 MBX, dérivé deux portes sans montant central (la Mercedes CLK du prolétariat). Des variantes break et cabriolets sont restées à l’état de prototypes.

Esthétiquement, la voiture se caractérise par des lignes assez douces évoquant plutôt la fin des années 50 que le milieu de sixties, tandis qu’une arête dorsale court du volet avant au capot arrière en passant par le pavillon. Ce modèle 67 troque en outre ses ouïes de refroidissement latérales stylisées pour une banale grille rectangulaire inaugurée l’année précédente lors de l’avènement de la MBX. La lunette arrière, quant à elle, est aussi panoramique que le restaurant de Nový Most. Les feux arrière en forme de boomerangs sont assez élégants tandis que la face avant, dépourvue de calandre abrite la roue de secours derrière un volet basculant. La voiture donnerait presque l’impression de tirer la langue lorsque l’on sort la cinquième roue. Cette version MBG coiffant la gamme, elle se distingue en outre par un cerclage de jante chromé en sus de l’enjoliveur dont disposent les MB. Je terminerai par le détail le plus sympathique de la voiture : la trappe à carburant dissimulée sous le logo Škoda de l’aile avant droite. Cette 1000 MBG est le seul exemplaire encore immatriculé en France et cristallise à lui seul le rêve de nombreux tchécoslovaques à l’époque : il a franchi le Rideau de Fer sans encombres.

Vie à bord

Comme évoqué plus haut, le moteur de la berline tchécoslovaque est à l’arrière, la « Tatra du prolétariat », en quelque sorte. Corollaire, le compartiment à bagages migre à l’avant, au dessus du logement de la roue de secours. La banquette arrière rabattable permet également d’accéder à un coffre d’appoint situé entre le tablier et ladite banquette. A noter que celle-ci, modulable par moitié peut encore voir son assise rehaussée au besoin. A l’avant, il est possible d’ouvrir le fenestron et la vitre (coulissante), tandis qu’à l’arrière, contrairement aux apparences, seule la custode peut s’entrebâiller. Cependant, la manivelle de vitres avant est suffisamment mal placée pour que la main opposée à la vitre soit plus à l’aise pour effectuer la manœuvre d’ouverture. A moins, que vous ne préféreriez ouvrir la porte pour accéder plus facilement à la manivelle…

Cette exécution luxueuse MBG vous offre, en outre, deux crochets et deux plafonniers situés sur les montants B, un cendrier avant rotatif et une sellerie en véritable similicuir de synthèse. En revanche, on déplorera l’absence de porte-gobelets : votre canette de Kofola ne trouvera malheureusement pas sa place à bord, d’autant plus que la boîte à gants n’est pas réfrigérée. Remarquez, il n’y a pas la clim. Côté ergonomie, la plupart des commandes est regroupée autour de la gaine colonne (vu le peu d’équipements, ça donne une demi-huitaine de switches), les clignotants sur le comodo rotatif de gauche, les phares à droite, un rhéostat et des commandes d’HVAC se trouvent entre les deux sièges avant, à côté de l’indispensable frein à main. Enfin, la position de conduite est d’époque : les pédales sont sur un axe, le volant sur un autre et le siège conducteur sur un troisième. Une Trabant fait certes pire, mais force est de constater que vous conduirez aussi droit que Liam Gallagher devant son micro.

Le Parti déplore un certain manque de complaisance de ma part, voire un léger cynisme à l’égard du produit destiné à mouvoir le prolétariat de Bohème et Moravie. J’entreprends donc, de ma propre initiative, un plaidoyer visant à réhabiliter la Škoda 1000 MB et sa supériorité face aux productions des capitalistes, furent-elles plus récentes.

L’architecture du véhicule vous intrigue ? Elle est pourtant d’une intelligence rare : comparons-la à un véhicule moderne pioché au hasard dans un foyer nanti de capitalistes occidentaux à la solde de l’impérialisme Yankee. Une Renault Modus, en l’occurrence. Le compartiment arrière de la voiture des oppresseurs du prolétariat ne permet même pas l’installation de la motorisation. Pas de tablier, volume réduit, pas de système de refroidissement à moins qu’il ne s’agisse de l’ouverture supplémentaire incluse dans le pack compacité des versions huppées. Conséquence fâcheuse, le moteur occupe le compartiment frontal. Il est alors impossible de loger le moindre sac à dos sous le capot avant, comme en attestent nos images. A contrario, la Škoda ménage un vrai coffre à l’avant, mais également à l’arrière entre le tablier et la banquette. Victoire à la production tchécoslovaque, affichant, si besoin était, la supériorité des pays alignés sur Moscou.

Sur la route

Cette parenthèse propagandiste étant close, autant évoquer les qualités dynamiques de notre tchécoslovaque après en avoir conchié la position de conduite. Le moteur s’ébroue dans un doux feulement évoquant un poids lourd plutôt qu’une fluette berline. On est très loin des sonorités plus aigües voire enrouées d’autres voitures de l’époque. En dépit de l’absence de moteur à l’avant, la direction se permet tout de même le luxe d’être un peu lourde. Le rappel du volant n’a, en outre, rien de naturel. La voiture ayant tendance à « brouter » à bas régime, il ne faut pas hésiter à accélérer franchement pour conduire plus souplement. On est alors partagé entre l’envie de ne pas forcer sur un véhicule vieux de près d’un demi-siècle et le besoin d’avoir le pied droit un peu lourd. Le levier de vitesses se caractérise par des débattements aussi longs que les séjours en prison de Václav Havel et les quatre rapports m’ont souvent inspiré l’envie de passer une imaginaire cinquième vitesse. Au vu du poids contenu (725 kg, soit une demi-Mondeo), les 52 chevaux du moteur sont assez suffisants. Il en est peut-être autrement avec le coffre chargé et quatre ex-tchécoslovaques à bord. Le quatre cylindres en ligne de 988 ccm (en aluminium) est refroidi par eau et se voit flanqué d’un double carburateur, à l’origine de cette pantagruélique cavalerie.

Si la voiture atteint les 120 km/h, votre serviteur s’est contenté d’une pointe à 80 sur le périph’, comme tout le monde. L’amortissement est naturellement un peu plus chaotique que sur une voiture moderne : le tarmac qui sert d’autoroutes entre Prague et Bratislava mènera la vie dure aux occupants. Les jours de pluie se révèleront, quant à eux, périlleux du fait de l’équilibre un peu précaire de la voiture ainsi que des essuie-glaces qui ne font que « caresser le pare-brise » dixit le propriétaire. Le beau soleil qui accompagna cet essai ne m’a pas permis de risquer ma vie à une seconde occasion, les freins m’ayant cette fois fait l’honneur de leur présence. Mes impressions de conduite ? Dépaysant. Comme toute voiture ancienne qui se respecte, elle n’offre par la facilité et le confort de conduite d’une voiture contemporaine, n’affiche pas l’ergonomie plus ou moins standardisée qui prévaut de nos jours et le niveau de sécurité est anecdotique. Mais le plaisir est ailleurs. Ne serait-ce que dans les sourires que décrochent les passants à votre passage. Mon Dieu, serais-je devenu altruiste ?

Conclusion

Pas de toit ouvrant électrique, pas d’infotainement à écran tactile, pas de xénons, pas de pare-brise chauffant, pas de sièges en cuir et Alcantara, pas d’ABS, pas d’ESP ou de TPMS : de qui se moque-t-on ? Inutile d’espérer un régulateur de vitesse adaptatif ou une boite de vitesses à double embrayage sur ce modèle : ce n’est pas avec ça que le camp adverse pourra gagner la Guerre Froide … Autant être franc, je ne peux décemment pas vous recommander cette Škoda 1000 MBG, fût-elle le haut de gamme. A moins que je ne sois pas fait pour les voitures anciennes. Allez savoir.

Via Wikipedia, Voitures des pays de l’Est (Bernard Vermeylen). Merci encore à Dominique W. Jacson pour cet essai.

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