Turbo, essence, 200 ch. Boîte double embrayage à 7 rapports. Châssis 4Control. 7 places. La Clio RS des familles ?
La vie de famille doit-elle conduire à l’ennui automobile ? Voilà un fort beau sujet pour le prochain bac philo, mais laissez-moi vous donner d’emblée ma réponse. Elle tient en trois mots : Oh que non !
Laissez-moi d’ailleurs vous confier une anecdote, absolument véridique : une de mes amies, devenue récemment mère de famille, a dû choisir une auto plus adaptée à sa nouvelle condition. Elle a donc jeté son dévolu sur… une Porsche 911 Targa. « Tu comprends », me disait-elle, « c’est super pratique, je jette le siège bébé par le toit et ça se passe très bien. Franchement, la vie est super trop courte pour rouler triste, non ? Sérieux, tu me vois dans un Touran ? ». Je ne peux que lui donner raison d’autant que, autre anecdote tout à fait véridique, j’ai passé les premières années de ma vie à l’arrière d’une Alpine A110 Berlinette, coincé dans les petites cavités faisant office de sièges et m’accrochant à l’arceau dans les virages. C’est quand ma petite sœur est née que ça a commencé à devenir compliqué. Et que ma mère à commencer à râler. Heureusement, à l’époque, il n’y avait pas de monospaces. Mais maintenant, avec l’Espace TCe 200, on peut espérer avoir le meilleur des deux mondes ? Ou pas ?
Bref, le monospace qui ne renie pas la notion de performances ni le plaisir de conduite, ça ne fait peut-être pas des gros scores de vente, mais en tous cas, ça fait sens, au moins pour une petite proportion d’épicuriens. D’où ma curiosité sur cet Espace au châssis affûté et aux dessous de Clio RS.
Mon collègue, l’excellentissime Stéphane, vous a déjà fait part de ses impressions sur le Renault Espace 5 au cours d’un essai de 1200 kilomètres dans sa définition Initiale Paris et sa motorisation dCi 160 ici. Cela m’a suffisamment intrigué pour vous proposer à mon tour un complément d’essai, dans cette version moins grand public, mais qui n’est pas moins intéressante conceptuellement.
Feel Good Factor
Malgré ses 4,86 m de long, je trouve que mon Espace Initiale Paris présente bien avec ses jantes de 19 pouces, ses feux à LEDs et ses touches de chrome qui soulignent la ligne sans en faire de trop ; de plus, je trouve qu’il ne ressemble pas trop à un gros frigidaire à roulette, même dans cette couleur. C’est que c’est rare, un Espace 5 blanc ! Il faut dire que le nuancier d’aujourd’hui est bien moins audacieux que celui de l’époque, qui osait le rouge, l’orange, le jaune paille et le vert pomme ! Maintenant, pour faire premium, il faut faire sobre. Car oui, l’Espace est premium. Donc, à part deux blancs et un bleu « céleste », le nuancier propose six autres teintes, dans des gris, marron ou noir… La quête du premium est à ce prix ?
Et pour atteindre ce but, Renault a mis le paquet, avec pas moins de 420 millions d’euros investis pour remettre à jour les unités de fabrication dans l’usine de Douai, et ce programme a inclus des collaborations avec les meilleurs experts de chez Mercedes et Infiniti pour un contrôle qualité aux petits oignons. Renault a même investi 200 000 euros dans un tunnel lumineux fourni par BASF, pour l’inspection finale de la peinture.
Tout ça pour faire premium. Donc, quand on monte dans l’Espace 5, est-ce que l’on se sent surclassé ? Stéphane vous ayant déjà détaillé par le menu le riche équipement de la finition Initiale Paris, je me concentrerai donc sur l’essentiel.
Les sièges en cuir ? Ils sont top, ils présentent bien, ils sont épais au toucher, ils ont de solides bourrelets sur les côtés. Ils seraient même dignes d’être montés dans certaines Volvo. C’est très premium, ça. Quand j’aurai réussi dans la vie, j’aurai une déclinaison de ces sièges façon canapé dans mon salon… Et en plus, ils sont confortables sur long parcours. Deuxième bonne surprise : l’ergonomie générale, la position de conduite ajustable et pas trop haute, justement pas trop façon monospace traditionnel, ainsi que l’environnement épuré conféré par la grande console centrale et sa tablette tactile de 8,7 pouces, et l’économie de boutons qui en résulte. Par contre, quelques manipulations sur le système me laissent l’impression qu’il va falloir un petit temps d’acclimatation pour tout paramétrer, même si l’amplitude des réglages possibles reste inférieure à ce que permet un Volvo XC90 (essayé pour vous ici). Il faut reconnaître que les subtilités de l’infotainment demandent un peu de temps pour être apprivoisées comme il le faut, même si le bouton « Multi Sense » au pied au pied de la molette sur la console centrale permet de changer facilement d’univers de conduite. On y reviendra.
En attendant, confort, espace et ergonomie épurée concurrent à donner un vrai sentiment de bien-être, d’autant qu’en démarrant le 1.6 turbo, la sonorité est très discrète et le ralenti bien silencieux. Alors, premium, cet Espace ? Je dirais oui, mais en lui mettant un très correct 16/20, la faute à quelques détails à peaufiner : le bruit des clignotants, très « plastique », un peu de jeu dans l’appuie-tête « confort », quelques bruits de mobilier venant du coffre sont encore présents, tandis que les placages « Silver Wood » façon bois foncé sur la console centrale restent un peu « plastifrène® » dans leur aspect. Rien de dramatique, mais ça empêche juste de recevoir la mention…
Je dois vous faire une autre confidence (le blog aurait-il une fonction psychanalytique façon divan d’Henri Chapier ?) : mon propre père, qui a travaillé toute sa vie pour Renault, a eu moult voitures de fonctions parmi lesquelles un Espace 2000 TSE en 1984. Le 2000 TSE était un vrai haut de gamme ; à l’époque le Diesel n’avait pas tout phagocyté. Le 2.0 essence sortait 110 ch à 5500 tr/mn et 16,6 m/kg à 3000 tr/mn (pour 1225 kilos à sec, alors que maintenant c’est plus de 1600), ce qui me paraissait suffisant pour être plus qu’à l’aise dans le trafic routier de l’époque. Il changeait globalement de voiture tous les trois mois (et toute la gamme nous est passée entre les mains, d’où de jolis souvenirs d’adolescence avec des R5 Turbo 1 et 2, des Alpine A 310 V6, ainsi que, plus prosaïquement, tous les modèles de l’époque qui se faisaient turbocompresser), et il avait eu l’Espace lors de sa première année de commercialisation. En même temps, vu le bide commercial des premiers mois, tous les collaborateurs de la Régie devaient être poussés à en prendre un et à lui mettre des kilomètres pour le montrer le plus possible. Bref, nous avions eu un Espace 2000 TSE pour les vacances d’été. À l’époque, l’auto m’avait laissé un grand souvenir par ses surfaces vitrées généreuses et sa modularité tout simplement géniale (ah, les fauteuils modulables qui permettaient de faire un petit salon !) d’autant que lorsque l’on avait la chance d’en croiser un autre sur la route, cela se traduisait par des appels de phare et des gestes de sympathie. Eh oui, il y a eu une communauté de l’Espace !
Tout cela a très certainement disparu même si l’Espace V se fait quand même remarquer dans la circulation. Au volant, en tout cas, on est très zen. Les premiers tours de roue en ville mettent en exergue la souplesse du 1.6 turbo, le bon filtrage des suspensions. À part quelques à-coups occasionnels de la boîte EDC7 lors des évolutions à basse vitesse (il semblerait que l’ED6 soit plus douce dans son fonctionnement, si un ingénieur de chez Getrag nous lit, merci de nous expliquer…), l’Espace est un monde de douceur. Et il ne faut pas longtemps pour être pris d’un sentiment de bien-être : qu’il fait bon vivre dans cet habitacle ! Bon point aussi pour la grande précision des aides au parking qui permettent de le placer au millimètre lors des manœuvres.
Une boîte 8… secondes !
Sur la route, l’Espace se laisse bien évidemment apprécier. Le velum rabattu laisse apprécier un beau crépuscule d’automne via le grand toit vitré. Je prends le temps de bien m’imprégner de l’auto en mode « confort » avant de jouer avec toutes les configurations disponibles. Une lumière bleutée baigne l’habitacle. Bravo aux ingénieurs de chez Renault qui ont su bien travailler l’ambiance de l’Espace. Et malgré la présence d’un pare-brise acoustique dès la version de base (Zen), quelques tous petits bruits aéro se font légèrement entendre. Mais à part ça, l’Espace trace sa route et je n’ai pas envie que ça s’arrête. Une mention à la boite EDC7, qui en usage tourisme et à un rythme raisonnable, se fait totalement oublier et séduit elle aussi par sa grande douceur.
Etant donc parfaitement détendu et avant de risquer la somnolence, je passe en mode « éco » d’une pression sur le Multi Sense. L’habitacle se drape d’un vert très doux, le compte-tours fait de nouveau son apparition à l’écran, mais très discrètement, tandis que je regrette, au fond, que l’EDC7 ne dispose pas d’une fonction roue libre « coasting » au moins sur ce mode, histoire d’aller au bout du concept. Entre les modes « confort » et « éco », je n’ai pas ressenti de différence majeure en termes de feeling du volant ou de gestion des suspensions ; ce n’est pas comme chez BMW où la voiture est métamorphosée à chaque changement de mode.
Par contre, la boîte EDC7 jouant l’économie sur les changements de rapports et les régimes moteur, l’Espace TCe laisse apparaître un petit manque de couple. Déjà, sur le papier, trouver 260 Nm à 2500 tr/mn sur la fiche technique, ça n’a rien de renversant, mais dans les faits, après avoir apprécié la souplesse et la disponibilité du moteur à bas régime, on se rend compte que la puissance n’arrive vraiment qu’au-delà de 4000 tr/mn. En réalité, le couple est un peu juste au vu du poids et du gabarit de l’auto. D’ailleurs, je ne cesse de m’étonner de la capacité des motoristes de chez Renault à se compliquer la vie. Ce bloc, identique dans sa configuration à celui que l’on trouve dans la Talisman TCe 200 EDC7 (fraîchement essayée par mon collègue Ugo ici), existe dans deux autres versions : la Clio RS ne dispose que de 240 Nm et la boîte EDC6 (mais 220 ch et 280 Nm dans la Clio RS Trophy) tandis que la nouvelle Megane GT TCe 205 profite de 280 Nm et a droit aussi à la boîte 7. Bref, un peu plus de couple dans l’Espace, çe ne ferait pas de mal. La version dCi 160 essayée par Stephane délivre 380 Nm de couple, de quoi en tenter certains… Mais que voulez-vous : Renault a décidé de séduire la clientèle du haut de gamme avec des 4 cylindres 1.6, c’est une stratégie qui comporte des limites, que connaît bien Volvo qui a décidé de faire pareil avec des 4 cylindres 2.0, mais qui ont au moins le mérite de pouvoir dépasser les 300 ch.
Évidemment, quand on conduit en bon père de famille, ça va… mais est-ce que les bons pères de famille achètent des monospaces essence de 200 chevaux ? Ces mêmes pères de famille sportifs qui n’auront qu’une envie, celle de rouler constamment en mode « sport » ! Là, l’Espace se pare de rouge !
Et là, comme dirait Audiard, « quand ça change, ça change ! ». Soutenue par le système audio, la sonorité devient plus profonde et pour tout dire, assez artificielle, hélas ! Le tout est distillé par l’audio Bose, par ailleurs de bonne qualité. Cependant, elle change complètement l’atmosphère ressentie dans l’Espace : de doux, il passe à communicatif. En étant plus généreux avec les gaz, le caractère moteur décelé auparavant en mode cruising se confirme : pour la puissance, c’est entre 4000 et 6000 tr/mn que ça se passe. Ainsi mené, l’Espace TCe 200 dévoile une belle allonge, mais sans brutalité. Le 0 à 100 est couvert en 8,6 secondes, et la vitesse de pointe est plutôt anecdotique à 211 km/h, en tout cas elle ne marque pas de différence notable avec la version dCi 160 qui pointe à 202 km/h.
Et dommage qu’il n’y ait pas de palettes au volant, car en mode manuel, les vitesses sélectionnées repassent en Drive au bout de 8 secondes si l’on opère pas une nouvelle manœuvre. Dommage, effectivement, car en jouant avec le levier, la boîte EDC7 se révèle plutôt efficace et réactive. Mais l’apport absolument génial de ce mode « sport », c’est le nouveau calibrage qu’il apporte au système 4Control : Ugo vous a dévoilé tout le bien qu’il en pense dans la Talisman et je ne peux qu’abonder en son sens.
Le 4Control est juste un système absolument génial. En mode normal, neutre, confort ou éco, j’avais déjà noté l’agilité de l’Espace. Pour rappel, le 4Control ajuste les roues arrières jusque 3,5° en opposition de la direction à basse vitese, et de 1,5° parallèlement, à haute vitesse. Le seuil de déclenchement commence à 7 km/h et va jusque 50 km/h en modes confort et éco, et 60 km/h en mode neutre. Mais en mode sport, ça change tout : le seuil passe à 70 km/h (donc, dans les épingles et virages serrés, ça braque fort), et avec une vitesse d’activation renforcée… Résultat : l’Espace 5 avale les successions de virage avec la grâce d’une GTI d’antan, sans efforts et sans roulis. Magique, tout simplement magique !
Parlons sous…
Au final, pour une catégorie d’acheteurs, dont je fait partie, qui met un point d’honneur à toujours rouler dans des véhicules non conventionnels, l’Espace reste une proposition séduisante : une auto stylée, spacieuse, confortable, bien équipée, et terriblement française dans ce sens où elle étale ses prestations avec suffisamment de singularité pour ne pas être en concurrence frontale avec des références (allemandes ?) plus établies.
Parmi les points forts, il y a les performances honnêtes (mais pas transcendantes) du TCe 200. Et ce châssis 4Control absolument génial qui ravira les amateurs de conduite, au point qu’on en serait presque à demander plus de chevaux. Et à lorgner du côté de chez Ford qui, par exemple, colle un 2.0 Ecoboost de 240 ch dans ses autos familiales, telles que la Mondeo Vignale ou le monospace S-Max (0 à 100 en 8,4 sec. et 226 km/h en pointe). L’initiative est louable, même si en France, 240 ch essence dans de tels engins, ça risque de se vendre comme des housses à cathédrale…
Bref, l’équation n’est pas simple. Celle du prix est assez facile à défendre : à 45 700 € tout équipé, l’Espace TCe 200 Initiale Paris est bien placé (il est 1500 € moins cher que le Diesel essayé par Stéphane, à 47 200 €), mais le problème, c’est qu’il consomme un peu.
Lors de la première prise en main de l’Espace 5 par la blog, mon collègue Guillaume avait réussi à faire du 7 l/100 avec le TCe 200 (ici), pour une conso officielle mixte de 6,2 l/100. Il va falloir qu’il me donne des cours d’éco-conduite, car tous mes relevés se sont situés entre 10,4 et 11,9 l/100. Cela dit, je me souviens avoir en d’autres circonstances roulé en Espace IV 2.0 T 165 ch à boîte auto et avoir eu du mal à faire moins de 14 l/100. C’est que malgré son Cx de 0,30, l’Espace V reste un joli bébé, dont je garderai en souvenir le charme de sa posture globale et de l’ambiance intérieure, ainsi que son talent à avaler les successions de virages. Avec lui, le monospace peut encore rimer avec le plaisir de conduite.
Photos : Gabriel Lecouvreur