Comme vous l’annonçait Eric il y a peu, à mon tour d’essayer de vous faire voyager en prenant une direction totalement à l’opposé de la sienne (encore qu’aux dernières nouvelles la terre étant ronde on finit toujours par y arriver en prenant n’importe quelle direction…). Cap à l’Est donc, l’extrême Est même pour un long et fabuleux séjour au Japon et une incursion en Corée qui, s’ils ne m’ont pas permis de conduire les véhicules locaux (même si j’ai testé à peu près tous les autres moyens de transport et en particulier les trains), me permettent en tout cas de vous dresser un panorama assez large du paysage automobile local. Dépaysement garanti.
Au Japon, tout est petit…
La contrainte au Japon c’est un concept qui fait partie de l’identité même du pays : 127 millions d’habitants sur un archipel aux plaines ridiculement étroites composé de milliers d’îles qu’il faut connecter entre-elles, un territoire essentiellement montagneux régulièrement frappé par la généreuse activité sismique et volcanique de la ceinture de feu du Pacifique ou par les tsunamis qui en découlent, où il fait plutôt froid en hiver et sacrément chaud en été et qui en plus reçoit la visite annuelle d’une trentaine de typhons en moyenne (particulièrement nombreux et précoces cette année). Un véritable petit paradis sur terre où la difficulté majeure est avant tout de placer les éléments nécessaires à la vie quotidienne, genre les habitations, les entreprises, les voies de chemin de fer et naturellement les routes.
Résultat, on construit comme on peut et ce n’est visuellement pas toujours très réussi, d’ailleurs on peut même dire que la plupart du temps c’est franchement raté. Tant que les autoroutes sont dans des tunnels ça passe encore mais il arrive très régulièrement, notamment à Tokyo qu’on les construise allègrement à peu près n’importe où et sans se soucier particulièrement de l’impact visuel ou même des éléments historiques, du moment qu’il y a de la place… Exemple le plus marquant, en plein cœur de la ville on retrouve des autoroutes sur pilotis à deux ou trois niveaux qui se faufilent à travers les buildings ou carrément par-dessus les vestiges historiques comme ici sur les remparts du palais impérial ou, encore plus marquant, par dessus le pont de Nihombashi, l’un des plus anciens de la capitale et point zéro du système de mesures kilométriques nippon.
Je vous laisse imaginer la construction d’une telle autoroute par-dessus la place Vendôme ou le champ de Mars à Paris… Dans le même ordre d’idée le stationnement est particulièrement encadré dans toutes les villes. Il faut ainsi savoir qu’il est nécessaire de justifier d’une place de parking pour faire l’acquisition d’un véhicule sur l’archipel, et du coup on trouve extrêmement peu de voitures garées dans les rues, cela marque visuellement car effectivement vous arpentez des trottoirs aux bords desquels il n’y a pratiquement jamais de voitures et les véhicules que vous voyez sont uniquement ceux de la circulation. C’est la raison pour laquelle la plupart des photos que je vous présente sont de qualité moyenne car il est bien difficile de prendre son temps pour immortaliser les engins, et comme en plus je n’ai ni le talent ni le matériel de nos photographes maison je n’ai plus qu’à m’excuser platement auprès de vous…
Gagner de l’espace partout est donc un maître mot et cela commence par les voitures. Presque instantanément, la première image automobile à laquelle on songe quand on évoque le Japon c’est celle de la Kei car et, pour tout dire, on a bien raison d’avoir cette image en tête tant il y en a mais il faut tout de même savoir nuancer les choses. Les Keijidōsha (véhicule léger) sont apparues après la seconde guerre mondiale par le biais d’une politique fiscale du pays se basant sur les dimensions du véhicule ainsi que sur sa cylindrée. Cette législation a évolué plusieurs fois depuis et aujourd’hui l’obtention du statut de Kei et de la plaque jaune spécifique qui va avec est réservée aux engins dont les dimensions ne dépassent pas 3,40 m en longueur, 1,48 m en largeur et 2 m en hauteur pour une cylindrée maximale de 660 cm3 et une puissance maxi de 64 ch. Mais rassurez-vous, ces contraintes sont loin de brider l’imagination des constructeurs (oui bon OK elle est facile, il fallait bien que je la fasse à un moment ou à un autre, c’est fait on n’en parle plus…).
Ces Kei, qui peuvent tout aussi bien être des véhicules privés et familiaux que des utilitaires, sont donc légion et on s’amuse beaucoup à les regarder et surtout à les identifier car, et c’est une caractéristique bien plus large du parc automobile japonais, les variantes sont incroyablement nombreuses, à tel point qu’il n’est pas si fréquent de croiser deux véhicules parfaitement identiques. La plupart de ces Kei sont comparables à des cubes à roulettes, la forme générale étant souvent assez similaire, mais elles n’hésitent pas à adopter des « gueules » variant de la bonne bouille joviale d’une Cocoa ou d’une Lapin à celle franchement méchante (Goldorak inside) d’une Nissan Roox en version Custom ou au côté crapahuteur en culotte courte du Suzuki Hustler. Dans cette univers à la fois bigarré et uniforme mais surtout très franchement Kawai certaines petites, que l’on remarque encore plus, notamment parce qu’elles se vendent visiblement bien, me sont apparues particulièrement sympathiques et même pour certaines carrément craquantes. C’est le cas de la Daihatsu Cocoa avec sa petite bouille de bisounours, de la rigolote petite Suzuki Lapin ou encore de la très réussie Honda N-One et de ses dérivés N-Box ou N-WGN.
… mais il ne faut pas exagérer non plus.
Certes les Kei sont bien présentes au Japon mais il faut savoir mettre de l’eau dans son saké et nuancer ses propos car elles ne sont, et de loin, pas les seuls véhicules qu’on croise dans les rues. D’ailleurs il est assez surprenant de remarquer que ces micros voitures taillées pour les villes y sont en réalité moins présentes qu’à la campagne et il y a une sorte de proportionnalité entre la taille des villes et celles des véhicules qui les parcourent. Petite bourgade de campagne, Kei à gogo, grande ville côtière (genre Nagoya ou Osaka) voitures compactes et berlines tricorps en masse, Tokyo et ses grandes avenues, voitures de standing de toute taille… mais grande de préférence et pour vous en convaincre il n’y a qu’à jeter un œil sur la concession Ferrari de Roppongi Hills.
Les Kei ne disparaissent pas mais elles se font nettement plus discrètes et cèdent le pas aux grandes stars du marché japonais. Et ce qui marque tout d’abord dans ce marché c’est son attachement incroyablement fort à la production nationale. Pas forcément une surprise naturellement mais tout de même largement au delà de ce que nous avons l’habitude de voir en Europe. Je ne parle pas ici de la France où l’on préfère critiquer nos marques nationales plutôt que d’acheter leurs produits (et je me fais tout petit car si je n’ai pas pour habitude de critiquer nos constructeurs que j’aime beaucoup je ne circule hélas pas dans une de leur production…) mais je tourne plutôt mon regard vers nos amis germains dont on connaît l’attachement aux marques teutonnes et qui sont pour l’occasion à des années lumières des japonais.
Je tiens naturellement à préciser que je ne me base pas sur des données statistiques précises, uniquement sur mes observations et mon ressenti personnels en 5 semaines sur place mais je dirais qu’au bas mot le marché japonais est à 95 % composé de véhicules nippons. Toyota tout d’abord puis Nissan trustent les premières places puis suivent les autres marques de l’archipel et on est tout chose de croiser autant de Subaru dans les rues… En vrac, parmi les stars du marché, on retrouve la Prius et ses nombreux dérivés, en particulier la Toyota Aqua qui fait un tabac, et l’on remarque aussi que Toyota a implanté son système HSD sur un très grand nombre de véhicules de sa gamme comme sur la Crown, déclinée en plusieurs versions (Royale, Athlète, Majesta…) et qu’on croise à tous les coins de rue.
Arrêtons-nous une minute sur cette icône de la marque de Nagoya (enfin d’Aïchi pour être précis) dont c’est la 14e version depuis 1955 et qui donne aussi depuis 1995 son nom à un dérivé qui constitue l’immense majorité de la flotte de taxi au Japon : la Crown Comfort. Délicieusement rétro, et complètement obsolète également, cette voiture est le taxi par excellence (même si Nissan avec sa Cedric tente désespérément de lutter) et qui dit taxi au Japon dit ponctualité, propreté absolue, gentillesse (absolue aussi), prévenance, gants blancs, napperons sur les sièges et en prime tarifs relativement raisonnables. Ça c’est fait…
Chez Nissan les cartons se nomment bien évidement Cube (qui n’est pas une Kei), Note, X-Trail ou encore Fuga et on croise par ailleurs nombre de véhicules qui nous sont familiers comme les productions de chez Mitsubishi (mais pas le Delica par exemple qui porte rudement bien son nom…), Mazda (dont les voitures ont encore un nom là bas) ou Subaru mais aussi, de très nombreux grands monospaces au style pour le moins tranché, des véhicules plus ou moins baroques ou loufoques, des étrangetés au goût discutable (la Will Cypha par exemple…) et même des petites raretés, il faut ouvrir l’œil et le bon.
Et le reste alors ?
Eh bien le reste c’est fort logiquement la portion congrue et dans les quelques pourcents que les marques étrangères se partagent certaines s’en tirent mieux que d’autres et comme par hasard c’est un peu toujours les mêmes. Car oui les premiums se portent bien aussi au Japon (quelle surprise !!!) et Mercedes, BMW et, dans une moindre mesure, Audi constituent l’essentiel des importations (et à propos des prémiums vous remarquerez peut-être dans mes photos que j’ai croisé la route d’une BMW i8 encore en phase de test). Viennent ensuite les généralistes, Volkswagen en tête, notamment avec sa Beetle/Coccinelle particulièrement appréciée sur place, et juste après les marques françaises et italiennes au coude à coude. Sur ces dernières c’est incontestablement Alfa qui s’en tire le mieux mais Fiat semble tirer son épingle du jeu avec sa 500. Quant aux françaises il n’y a pas photo, si la première que j’ai vu était une Twingo (mais la plus vendue des Renault est sans aucun doute la Kangoo) c’est surtout PSA (et Peugeot en particulier) qui semble bien installé.
Deux étonnements supplémentaires à rajouter sur ce parc automobile, la quasi absence des américaines qui sont vraiment très très rares sur l’archipel et surtout l’absence tout court des coréennes dont je n’ai pas vu le moindre capot en 5 semaines (enfin presque vous le verrez plus loin…), preuve s’il en était encore besoin du fort nationalisme japonais et surtout des relations délicates de l’archipel avec ses voisins, héritage d’une Histoire pour le moins tumultueuse (pour rester très poli) du Japon en Asie…
Un mot sur la conduite ?
Oui on peut le faire en un mot : respect.
Mais je vais quand même un peu développer car ça me tient à cœur. Je n’ai pas conduit au Japon car nous avons effectué tous nos déplacements en train, bus, bateau, métro, télécabine, funiculaire et taxi (une fois). L’explication est évidente, tout d’abord le coût nettement plus faible qu’en voiture (l’essence est grosso modo au même tarif qu’en Europe mais le stationnement est lui hors de prix et il représente presque systématiquement un casse tête), ensuite la praticité car les transports en commun japonais sont tout bonnement phénoménaux : propres, ponctuels, ultra fréquents, confortables et simples. Malgré ce choix j’ai observé attentivement les comportements routiers locaux et je répète le mot inscrit plus haut, à l’image d’ailleurs de toute cette société, ils sont dictés par la notion de respect. Respect des autres, respect du bien commun, respect des règles. Les véhicules sont pour leur immense majorité dans un état remarquable, propres, très rarement endommagés, même légèrement (et ça vaut pour les camions), car il serait particulièrement malpoli et outrancier d’oser “bumper” dans le véhicule garé à côté ou derrière vous. Il est ainsi très fréquent de voir des conducteurs faisant une manœuvre pour se garer avec une extrême précaution (et une certaine lenteur c’est vrai) et ce quels que soient la taille et le prix du véhicule.
En ville il est bien rare d’entendre un klaxon retentir et tout simplement inimaginable de ne pas laisser un piéton traverser… s’il est naturellement sur un passage piéton car gare à celui qui s’aventurerait en dehors des clous, il serait vivement rappelé à l’ordre. Enfin je vous laisse vous-même vous faire une opinion sur le respect des limitations de vitesse (globalement identiques aux nôtres) et éventuellement réfléchir sur une question existentielle en France : pourquoi trouve-t-on toujours si anormal de respecter les lois dans notre pays ? Et ne venez pas me taper dessus, je suis le premier à me poser la question et j’avoue honteusement qu’une des premières choses que j’ai fait à mon retour à été de traverser à pied une rue en dehors du passage piéton et au rouge encore…
Un truc à voir en particulier ?
Des tonnes pour être précis, outre les temples et les paysages, la vie des gens et les musées sans oublier la nourriture (j’adôôôre les sushis) il y a aussi pour les amateurs d’automobile que nous sommes beaucoup de lieux importants. Je n’ai hélas pas eu l’occasion d’en faire tant que ça, mon programme étant spécialement chargé, mais à Tokyo il ne faut en tout cas pas manquer le Toyota MegaWeb (quel drôle de nom) sur l’ile d’Odaïba et sa magnifique collection de voitures anciennes et de miniatures et sa gigantesque concession Toyota.
Post-scriptum
Pour en finir vraiment avec cet article (merci aux courageux lecteurs (au courageux lecteur ?) de m’avoir suivi jusqu’ici) juste quelques propos sur le paysage automobile coréen que j’ai également observé quelques jours sur Séoul.
On y remarque beaucoup de similitudes mais aussi pas mal de différences avec le voisin japonais et tout d’abord on y retrouve l’attachement patriotique (nationaliste ?). A quelques nuances près le parc automobile est le même qu’au Japon, sauf qu’il faut remplacer les marques japonaises par les marques coréennes et qu’on arrive tout de même à croiser quelques japonaises (j’ai bien dit quelques) sur le sol coréen. En moyenne les voitures sont également plus grandes, l’espace est nettement moins compté, c’est perceptible, et Séoul est parcouru par des centaines de très grandes berlines noires comme la très baroque Equus et surtout la nouvelle et très réussie Egeus. Néanmoins c’est un parc qui m’est apparu globalement peu séduisant, non que les coréennes soient laides, bien au contraire, mais le style est vraiment très uniformisé (et il devient même parfois difficile de distinguer les modèles) et surtout c’est le marché le plus triste que j’ai jamais vu tant le nuancier de couleurs est réduit puisque la quasi-totalité des véhicules sont soit noirs, soit gris, soit blancs… déprimant au possible, surtout sous les nuages du typhon n°12…
Pour information j’ai même essayé de vous rapporter des informations sur les voitures nord-coréennes mais je n’ai pas pu pénétrer plus de 10 mètres dans le pays et il n’y avait pas de véhicule à cet endroit, seulement des caméras (certains diront comme sur les routes de France, je les vois venir…)
Crédit photo Eddy P., Peggy S., Honda.co.jp