« Quitte à être une légende, autant être une légende vivante ». Ce slogan signait la campagne de lancement de la cinquième génération de VW Golf, faisant référence à John Lennon ou Marilyn Monroe. Tout le monde ne peut pas en dire autant, et, à l’image de Van Gogh, la DeLorean DMC-12 n’a pas eu le privilège d’être une icône de son vivant. Alors plutôt que de vous parler d’absinthe et d’entaille à l’oreille, je vais vous narrer l’histoire de cette voiture désormais culte.
En effet, cher lectorat, je suis de cette génération qui a sincèrement cru que David Bowie avait repris une chanson de Nirvana, de cette génération qui a découvert les Rolling Stones en regardant un spot de pub Snickers [ne me jugez pas], de cette génération qui a grandi avec la trilogie « Retour Vers le Futur ». Alors lorsqu’un ami de ma génération m’a suggéré d’écrire un article sur la DeLorean, je n’ai pu qu’approuver l’idée. Surtout si l’on considère que ledit ami est le sosie de Ramzan Kadyrov. Mieux vaut obtempérer.
John Z. be good…
L’histoire commence il y a plus de 40 ans lorsque John Z. DeLorean, talentueux ingénieur délaisse le poste de vice-président de GM, poste auquel il était parvenu à se hisser en 1972 (devenant au passage, et à 47 ans le plus jeune haut gradé du puissant constructeur de Détroit). Sa carrière a débuté chez Packard jusqu’à ce que GM le débauche en raison de sa renommée. Il y a développé plusieurs succès du géant américain dont la Pontiac GTO, considérée comme la première muscle car, ou les Chevy Nova puis Vega. En dépit de sa fulgurante ascension et de ses succès professionnels, John Z. DeLorean nourrit un désir qu’il ne peut assouvir chez GM : fabriquer sa propre voiture de sport. C’est le 24 octobre 1975 qu’il fonde la DeLorean Motor Company dont l’acronyme évoque un joli duo avec Aerosmith. Mais je m’égare. Si Bank Of America a assuré la plupart des prêts nécessaires aux investissements de DeLorean, ce dernier a également fait appel à des stars comme Samy Davis Jr., Roy Clark ainsi que Johny Carson, présentateur du Tonight Show. Plus tard, du capital sera également injecté par le réseau de distribution de la voiture : chaque établissement s’engageant à vendre des DeLorean sera actionnaire dans l’entreprise.
Mais ceci n’est bien entendu pas suffisant pour devenir constructeur automobile de relativement grande série. C’est ainsi que John Z. DeLorean choisit d’implanter son usine dans un pays susceptible de subventionner l’entreprise en échange de création d’emplois. Autrement dit, autant négocier avec des pays où le chômage est une plaie. La vie étant « bien » faite, plusieurs opportunités s’ouvraient à lui. Alors que l’Irlande semblait toute indiquée, DeLorean n’obtint pas l’appui du gouvernement et se tourna vers Porto Rico avant que le Royaume-Uni ne lui accorde 60% des fonds nécessaires à l’entreprise si cette dernière choisissait d’établir sa production dans la tumultueuse Irlande du Nord en proie au chômage et aux luttes ethniques. L’idée étant de donner du travail à la population plutôt que cette dernière n’aille se distraire à coups de violences. La construction de l’usine démarre en octobre 1978 à Dunmurry dans la banlieue de Belfast, entre communautés catholiques et protestantes. La légende voudrait que l’on ait construit deux entrées principales dans l’usine afin que les communautés ne se croisent pas. La réalité est sans doute plus pragmatique : le fait d’avoir deux entrées était tout simplement plus commode pour le personnel venant de différents quartiers. A moins qu’il n’y ait un peu des deux dans cette histoire… Toujours est-il que la production, initialement prévue pour 1979 ne démarra qu’au début de l’année 1981 en raison de dépassements budgétaires, de problèmes liés à l’ingénierie de ce nouveau véhicule et d’une main d’œuvre peu qualifiée (il n’y avait pas d’industrie automobile en Irlande du Nord et un fort taux de chômage, corollaire, aucun employé n’avait de passif en production). La qualité des véhicules en sortie de chaîne étant problématique, des centres d’assurance qualité (QAC) ont été mis en place aux USA afin de remettre les voitures à niveau avant leur livraison dans les showrooms. Pour la notion de « bon direct », on repassera. Ceci étant, la production verra ses défauts diminuer au fil des mois. Mais je m’égare : à trop me focaliser sur cet aspect de la production j’en oublie presque de vous présenter la voiture.
The power of love
La DeLorean DMC-12 est typiquement un produit issu de la passion automobile. Combien connaissez-vous de voitures issues de la volonté d’un homme voulant concrétiser un rêve au point de quitter son poste de numéro deux du premier constructeur automobile mondial pour s’y consacrer ? Un peu comme si je quittais mon poste de rédacteur en chef adjoint de Blog Automobile pour ressusciter la BX… A ceci près que je tiens trop à mon salaire mirobolant et à mon train de vie de pacha pour envisager un tel projet. Dessiné par Giorgetto Giugiaro, à qui l’on doit une flopée de sportives, de show cars et de voitures à succès (Golf, Panda, Matiz…), le premier prototype voit le jour en 1976 présentant les caractéristiques du véhicule de série : portes papillon, structure en fibre de verre sur laquelle viennent se poser des panneaux de carrosserie en inox brossé ainsi que ce look caractéristique de la période, taillé à la serpe. Mécaniquement, en revanche, bien des aspects ne passeront pas à la série. Ainsi, le châssis, devait initialement avoir recours à la technologie Elastic Reservoir Moulding (ERM) que DeLorean avait acquise afin de parvenir à abaisser les coûts de production et optimiser la masse de la voiture. Cette innovation ne se révèlera pas industrialisable et la DMC-12 recourra à une solution conventionnelle : un châssis tubulaire proche dérivé de celui de la Lotus Esprit. Il en allait de même pour les suspensions (double triangulations à l’avant, multibras à l’arrière). D’autre part, il était prévu que le moteur soit en position centrale arrière et ne soit autre qu’un bloc issu de la JV Comotor i.e. la coentreprise Citroën / NSU produisant des moteurs à pistons rotatifs. La dissolution de Comotor et les quelques contrariétés du bloc (fiabilité, consommation, vous connaissez vos classiques), auront raison de cette idée. Ne feignez pas l’étonnement derrière vos écrans, vous saviez que c’était voué à l’échec. La version de série optera pour le V6 PRV (Peugeot-Renault-Volvo) produit à Douvrin à la Française de Mécanique, propriété, depuis peu du Groupe PSA. Oui, la voiture de Retour Vers le Futur avait le moteur des Tagora, 505 et autres R25 sous le capot. La puissance ? Pas de miracle : John Z. Delorean visait les 150 kW, il se contentera des 150… chevaux du PRV. Et encore, pas pour toutes les destinations. Les normes environnementales étant plus sévères aux USA, la DMC-12 perdra une vingtaine de chevaux une fois catalysée. La sportivité ? J’ai bien peur qu’il faille en faire notre deuil dans la mesure où la voiture pesait 1230 kg. Inutile de dire qu’une BX Sport de 126 ch lui donnerait une leçon d’humilité. Sans même parler de la BX GTi 16 Soupapes et de ses 160 ch. On en revient toujours à la suprématie de la BX, non ? Pour votre culture, la DMC-12 passait de 0 à 100 en 10’5”, soit plus ou moins l’impressionnant score d’une sportive de renom comme la Mondeo TDCi 115 ch. Gardez votre sarcasme pour vous, je vous prie. Quoi qu’il en soit, l’existence d’au moins un prototype de DMC-12 doté d’un PRV biturbo prouve que la marque travaillait à corriger le manque de punch du véhicule.
Mais le relatif déficit de puissance de la DeLorean n’était pas son seul problème : à l’image de Stéphane, la DMC-12 est chère. Proposée à 25 000 $ (ajoutez 650 $ pour la BVA 3 rapports), c’est à peu près l’équivalent de 65 000 $ actuels et près du double d’une Pontiac Firebird de l’époque (i.e. la voiture de Michael Knight dans K2000 mais sans KITT… et sans David Hasselhoff). Proposée dans son unique livrée inox, la DMC-12 disposait d’une dotation assez complète (climatisation, radio cassette AM/FM, sellerie cuir…) mais ne permettait pas de personnalisation par le biais d’options. Seuls quelques accessoires furent proposés au public. Plusieurs évolutions notables ont toutefois écumé la courte vie de la DeLorean. Vous ne l’avez sans doute pas remarqué et vous n’en avez probablement strictement rien à faire, mais le capot a connu plusieurs formes. D’abord rainuré et doté d’une trappe à carburant, celle-ci disparut sous le capot (toujours pourvu du relief au dessus de l’orifice) avant de passer à un capot totalement lisse sur les derniers exemplaires. Pourquoi ? Parce que le directeur de l’usine n’aimait pas le design du capot originel paraît-il.
Autre information qui vous empêchait de dormir, plusieurs modèles de radio se sont succédés, certains dotés d’une horloge intégrée. Dans le cas contraire, une horloge venait prendre place devant le levier de vitesse. Je pourrai également vous parler de l’ajout de lanières pour fermer les portes, les poignées étant trop hautes pour les gens qui, comme moi, n’ont pas eu le privilège de croître autant que John Z. DeLorean (son grand gabarit a par ailleurs dicté l’habitabilité de la voiture). Puisque vous y tenez, sachez qu’un intérieur gris clair est venu seconder le noir initialement disponible tandis qu’un alternateur renforcé s’est chargé de corriger les faiblesses du composant originel. L’amélioration continue en quelque sorte. Mais tous superficiels que vous êtes, je vous vois venir : la couleur ? Ou plutôt son absence : DeLorean travaillait à une base transparente pour appliquer une couleur sur la carrosserie en inox. Aucune solution n’aura été industrialisée, et la clientèle a dû se contenter de la teinte « Autolib’ » au naturel. Aucune solution disais-je ? Ah, si : pour les besoins promotionnels d’American Express, trois exemplaires ont été plaqués or. Deux d’entre eux disposent en outre d’un inédit intérieur beige. Vous avez dit rareté ? On terminera le chapitre des étrangetés avec les versions à conduite à droite : afin de satisfaire notamment les marchés qui, par le passé, ont montré quelque hostilité à l’égard de Napoléon, plusieurs exemplaires ont été réalisés avec le volant du « mauvais côté » (c’est, si je ne m’abuse, obligatoire en Australie pour homologuer un véhicule et je n’abuse que rarement de moi-même). En raison du coût prohibitif des outillages nécessaires à la réalisation de versions spécifiques, une société extérieure a été chargée de convertir les voitures a posteriori. Seize ou dix-sept exemplaires ont ainsi été retravaillés par Wooler-Hodec Ltd, basée dans le Hampshire, selon les sources du Dieu Internet. Afin de réduire les coûts, les conversions ont été réalisées à partir de véhicules de présérie et non à partir de voitures destinées à être commercialisées en premier lieu.
Votre soif de savoir est-elle assouvie ? Allez, terminons ce chapitre par une dernière modification. En effet, une évolution notable apparaît en 1985 avec la greffe d’un convecteur temporel fonctionnant au plutonium, permettant à la DeLorean de voyager dans le temps une fois les 88 mph atteints. Ca m’inspire surtout deux remarques : la première est que les américains, aussi civilisés et créatifs soient-ils, ne sont toujours pas fichus d’adopter le système métrique. La seconde est que Doc et Marty auraient peut-être pu profiter de leur machine pour sauver l’entreprise de John Z. Delorean une fois l’almanach des sports récupéré en 1955. En effet, commencée en janvier 1981, la production de la DMC-12 prendra fin en décembre… 1982 après seulement 9 200 véhicules. On notera que les derniers exemplaires ont été enregistrés comme modèles 83, la voiture ayant ainsi connu trois millésimes. Seulement trois…
Fight for your right
Car oui, le business model de DeLorean supposait, pour être rentable, d’atteindre une production annuelle minimale de 10 à 12 000 exemplaires. Malheureusement loin du compte, l’entreprise était mal engagée. La firme est rapidement restructurée et un plan d’émission d’action est envisagé avant d’être abandonné faute d’avoir démontré sa viabilité. John Z. DeLorean essaie alors d’autres options comme l’octroi d’une aide gouvernementale britannique qui ne lui sera pas accordée en raison du manque d’appui de l’entreprise par d’autres investisseurs. Le coup de grâce arrive en octobre 1982 lorsque DeLorean est arrêté par le FBI dans une affaire de trafic de cocaïne. L’idée aurait pourtant été brillante vu les marges opérationnelles dans le secteur des narcotiques [ça me fait penser que ma mère n’a de cesse de dire que son blogueur automobile de fils devrait bosser dans une filière plus porteuse…], mais voilà : ses avocats démontrent l’innocence de DeLorean. A défaut d’avoir eu la présence d’esprit de sombrer dans la malhonnêteté, DeLorean voit sa réputation à jamais ternie par cette affaire dont les médias se sont vite emparés [tous des pourris sauf Blog Automobile, qu’on se le dise]. Dans ces conditions, l’entreprise ne passe pas l’hiver et la production cesse à la fin de l’année 1982 laissant un paquet de pièces détachées vendues pour liquider les biens de DeLorean Motor Company. Mais comme disait Lavoisier reprenant une citation de mon prof de physique : rien ne se perd… En effet, le stock de pièces restantes ainsi que les outils de production ont été rachetés par une entreprise de Colombus dans l’Ohio tandis qu’en Californie, un entrepreneur choisit de se spécialiser dans la maintenance des DeLorean en circulation. A force de voir les propriétaires se passer le mot, la société s’est doucement développée au point de se porter acquéreur des pièces détachées, outillages ainsi que du nom DMC. C’est ainsi qu’en 2008, la société DMC, désormais basée au Texas s’est mise, non seulement à restaurer des voitures, mais à les reconstruire à partir de leur châssis dans le but de vendre des exemplaires dans un état proche du neuf (les numéros de châssis restant identiques, il s’agit de véhicules d’occasion). Parmi les projets notables de DeLorean Texas, une option consistant à remplacer le PRV par un moteur électrique, initialement prévu pour 2013 mais qui semble tarder un peu. Il se peut que les 1,21 gigawatts soient difficiles à obtenir… Quoi qu’il en soit, DMC Texas continue de nos jours d’entretenir le mythe DeLorean. Au propre comme au figuré.
Alors, certes, l’histoire se termine mal pour son entreprise mais John Z. DeLorean, décédé en 2005, a fait en sorte de pouvoir concrétiser son rêve et a cherché au cours de sa carrière à aller au bout de sa passion, à y donner un sens. Ne serait-ce que pour ça, son aventure industrielle valait la peine d’être menée et une chose est sûre : il a pu se revendiquer de l’adage des McFly : nobody calls him chicken!
Il ne resterait aujourd’hui que 6500 exemplaires sur les routes (et dans les musées) de la DMC-12. Autant dire que la probabilité d’en voir une est peu élevée. Alors, autant mettre toutes les chances de votre côté si vous souhaitez approcher une DeLorean : rendez-vous le 21 octobre 2015 à Hill Valley sur la place de l’hôtel de ville, devant la station Texaco. Doc et Marty devraient arriver vers 16h30. Le Hoverboard de vos enfants risque d’être mis à contribution…
En guise de conclusion, je vous laisse en musique avec une belle reprise de Chuck Berry par Michael J Fox (à moins que ce ne soit l’inverse), un beau one-off de Huey Lewis et un bon gros Beastie Boys des familles :
Via : Wikipedia, PJGrady, The DeLorean Museum, DMC Texas.