Les Experts PSA / Episode 2 : Le Design (+ bonus ADN)

Le design prend une place prépondérante dans la conception d’une automobile et participe à la réception du produit fini par le public. Or PSA a connu ces dix dernières années des mutations importantes de son design : révolution de l’image de Citroën, création de la Ligne DS, et renouvellement des codes esthétiques Peugeot. Pour mieux en parler, PSA a invité BlogAutomobile à l’ADN, l‘Automotive Design Network de Vélizy (78), pour le second rendez-vous de #meetPSAexperts.

C’est plus précisément le département Couleurs/Matières de Citroën que la réunion #meetPSAexperts proposait de découvrir. Du point de vue du Design des Chevrons, la future C4 Cactus marque la concrétisation du tournant vers l’Essentiel qu’avait amorcé, bien avant qu’il ne devienne le nouveau positionnement de la marque, le concept Cactus… de 2007. Preuve en est que le design, loin de n’être que tendances et poudre aux yeux, sait influer jusque dans le processus industriel et le positionnement marketing, y compris dans le seul domaine des couleurs et matières. Voyons tout cela.

Le département couleurs/matières

Situés au rez-de-chaussée du très secret “ADN”, les bureaux du département couleurs/matières de PSA sont un vaste studio en open spaces, volontairement exposé au Nord pour ne pas pâtir de la lumière naturelle. Seules de fines cloisons séparent les marques du groupe : la partie Peugeot est juste derrière le mur ! Auparavant, les deux marques partageaient même ces bureaux, avant que leurs ambiances ne soient distinguées afin de mieux différencier leurs produits. Cette nouvelle considération accordée au design se remarque également dans les moyens mis à disposition : le budget consacré y est ainsi beaucoup plus important qu’il n’était il y a 10 ans, mais c’est une nécessité afin de suivre une concurrence qui elle aussi mise beaucoup sur le design.

Dans les bureaux de la partie Citroën, tous occupés en un jour “normal” (les projets les plus sensibles ayant été cachés avant cette réunion), travaillent 12 personnes avec un point commun : aucune ne vient du monde automobile. C’est la garantie, selon Christophe Poinlane qui dirige ce département, d’avoir un regard extérieur au monde “auto-centré”. Le quotidien d’un designer couleur-matière comprend un temps important consacré à la veille concurrentielle, afin de cerner les tendances de la décoration d’intérieur, de l’architecture, de “la mode” en général, pour mieux proposer des produits en phase avec leur époque. C’est pourquoi on demande à ces designers de créer des “planches tendance”, c’est-à-dire des tableaux badgés “Citroën” où n’apparaissent… aucune automobile ! Il s’agit de cette façon de montrer l’esprit d’un projet, le monde dans lequel il s’intègre.

Chacun est spécialiste d’un domaine précis : il s’agit notamment des teintes de carrosserie, des plastiques, des textiles, et des divers matériaux extérieurs et intérieurs. A chaque projet de nouveau modèle, tous travaillent en symbiose avec le chef de projet, qui fait la liaison avec les départements du design extérieur et intérieur. Au total, si la durée est connue il s’agit de la rappeler : la conception complète d’une voiture prend au minimum 3 ans, ce qui nécessite à tous les niveaux une anticipation de long terme des tendances pour que le véhicule, à sa commercialisation, sorte en phase avec son temps. L’on comprend en outre que certains choix esthétiques fassent que les voitures se ressemblent entre des constructeurs, car ceux-ci optent pour les mêmes tendances globales.

La Ligne C…

La Ligne C est jeune : officiellement entérinée en 2013 pour se distinguer de la Ligne DS, elle vise à proposer des Citroën sous un esprit “Essentiel”. Ni low-cost, ni bas-de-gamme, il s’agit de proposer des véhicules simples, allant directement à ce que réclame le client. Pour l’heure, cette définition reste vague dans la mesure où les derniers produits Citroën, la gamme C4 Picasso II, a un esprit haut-de-gamme et technologique, qui n’est pas le reflet de l’Essentiel, en raison de l’intervalle entre la naissance d’un projet (né dès 2009 pour B78/B787 Picasso) et sa mise sur le marché. C’est le C4 Cactus, présenté le 5 février prochain, qui définira l’esprit de la “nouvelle” Ligne C. Dans cette même veine, une berline luxueuse comme la C5 n’étant plus en phase avec la philosophie essentielle, sa remplaçante sera badgée DS6.

…et la Ligne DS

Responsable Couleurs-Matières de Citroën, Christophe Poinlane est également le responsable de la ligne DS, juste en-dessous du directeur du style DS, Thierry Métroz. Le défi de la Ligne DS se résume en une question: comment faire un véhicule de grande série qui soit personnalisé sur mesure tout en étant rentable ? A ce problème apparemment insoluble, la première salve de “DS”, à savoir les DS3, DS4 et DS5, ont servi, de l’aveu même de M. Poinlane, de véhicules “tests” : c’est pourquoi la DS3 se fixe comme mantra d’être “ultra personnalisable” ; c’est pourquoi des équipements sont disponibles sur certaine (caméra de recul sur DS5) et pas sur d’autres (l’intérieur cuir est réservé à la DS4 et non à la DS5).

Après quatre ans, les équipes design de la ligne DS estiment avoir fixé leur cap, ce qui leur impose une “nouvelle démarche” : le pack extérieur “Faubourg Addict” en est le reflet, celui d’un renforcement de la cohérence de la gamme, avec un parti pris sur le chic.

Couleurs & matières d’un habitacle…

Dans un habitacle, plus que le dessin général que l’on veut appliquer à une planche de bord, aux sièges, ainsi qu’à chaque surface visible au quotidien, c’est la définition des grains de matière ainsi que de l’harmonie couleurs de l’ensemble qui est la plus longue à maîtriser. On juge en effet les projets sur leur cohérence : garnissage et décors d’un habitacle doivent être en accord avec la teinte de la carrosserie dans laquelle ils sont embarqués. C’est pourquoi depuis la DS3 (2010) une nouvelle dynamique a été insufflée : outre la nomination de Jean-Pierre Ploué à la tête de l’ensemble du design PSA, la conception des véhicules a été repensée. Il n’y a plus dans les têtes d’opposition stricte entre véhicule de masse et personnalisation. Alors qu’avant le positionnement du véhicule était proportionnel à son “niveau” de finition, désormais on se doit chez PSA de penser des finitions de niveau 4 (i.e., de haute facture) y compris pour de petits formats, petits moteurs, tout en ayant un large catalogue d’options. Le luxe n’est plus l’apanage des grands formats de carrosserie.

…à la carrosserie

Le choix des teintes de carrosserie d’une voiture relève en partie d’une logique de partage des coûts sur les sites industriels. Ainsi, certaines teintes sont propres à certaines usines : le bleu teles partagé par le C4 Picasso et la C-Elysée ont pour point commun leur usine, le site de Vigo, en Espagne. Évidemment, des teintes peuvent être développées hors de ces logiques d’économies d’échelle, mais cela grève la rentabilité du produit. C’est pourquoi les teintes spécifiques, à l’image du violet fusion de la 208 XY ou du whisper des “Faubourg Addict, sont réservées aux finitions haut-de-gamme à plus forte valeur ajoutée. En outre, chaque site industriel a un canevas des peintures les plus répandues (noir –onyx, gris –shark, blanc -banquise, rouge -babylone et gris -aluminium). Tous les deux ans, ces cinq teintes cadre sont renouvelées, via des modifications progressives de vernis, densité du pailletage etc. On pourra évidemment regretter la trop rare présence de verts, oranges, ou d’autres couleurs rafraichissantes, dont PSA fait généralement la promotion lors des présentations presse et salon. Mais in fine ce sont les clients qui choisissent, notamment en raison de la revente potentielle de leur achat, des teintes mainstream qui expliquent les 50 nuances de gris du parc automobile français.

Les évolutions de conception des véhicules vers plus de flexibilité des cahiers des cahiers permettant de marier personnalisation et grande série offre en outre la possibilité de faire plus de séries limitées. Chez Citroën, selon l’esprit des produits, on planifie plus tôt des séries limitées plus nombreuses, telles que sur DS3 des séries sur la fashion week. On pourra cependant rétorquer que l’ère de séries “funs” à l’image de la Saxo Bic (voire, de la 2cv Charleston !) est révolue, mais c’est l’image des produits qui a évolué en ce sens : les séries limitées se font aussi plus discrètes afin de ne pas donner l’impression que les produits sont régulièrement en promotion.

Percer les tendances

Nous vous disions en début d’article que les designers faisaient de la veille concurrentielle. Ce n’est néanmoins pas le seul oracle consulté par les autorités stylistiques et marketing de PSA : ils ont recours à des cabinets de prospective… comme toute la concurrence. “Tout le monde les suit, ils sont peu spécialisés dans l’automobile, et ils diffusent leurs informations à tous leurs clients, précise Christophe Poinlane, c’est pourquoi nous devons faire attention aux collusions entre constructeurs”. A intervalles réguliers ont lieu des présentations de tendanceurs, des spécialistes de tendances issus de cabinets privés mais aussi en interne. Chacun a le même matériau : l’information, à suivre sur Internet, sur magazines papiers, dans les sphères de la mode ou de la décoration. “L’automobile est comme la mode : beaucoup d’idées reparaissent, telles que le cuir, le chrome etc.”

Les designers Citroën ont aussi à leur disposition deux immenses ressources : la première est un ensemble d’archives de presse automobile s’étalant sur plusieurs décennies, à l’image d’un numéro de l’hebdomadaire Auto Plus de 1995 sur la Xantia Break (!) ; la seconde est tout simplement le Conservatoire Citroën, ce vaste hangar situé à Aulnay Sous-Bois qui rassemble 600 véhicules chevronnés de toutes époques. “Les designers y vont sans arrêt pour se renseigner sur les modèles du passé et sur les concepts déjà sortis. Il y a 15 ans, nous devions ‘penser demain’ ; avec la DS3, nous avons observé le passé, osé le reprendre, et cela a fonctionné. Maintenant, les aller-retours entre moderne et passé sont incessants : ils sont au coeur de l’actualité, et parfaitement cohérents”. C’est toujours Christophe Poinlane qui nous le dit, sous le regard bienveillant d’André Citroën dont la silhouette est imprimée sur le cuir de la banquette du concept Cactus 2013.

Le client est roi, même s’il ne choisit par une voiture noire

Reste qu’à la fin, c’est le client qui décide. Et pour les designers couleurs/matières, le défi est de faire avec des goûts qui évoluent finalement assez peu, et de solides exigences à faire que leur voiture soit néanmoins exclusive. C’est donc un travail invisible qui est produit, sur la qualité des matériaux, leur grain, leur durabilité. Il faut qu’un tableau de bord ait un aspect quasi neuf même 5 à 8 ans après son assemblage, et certaines surfaces comme les sièges doivent subir des écarts de températures des conditions d’humidité qui obligent à les traiter suffisamment pour les faire durer. Le tout en ayant pour consigne de s’adapter à des formes originales, à la façon des sièges “bracelet de montre” de la Ligne DS.A l’échelle de PSA, il s’agit aussi de faire avec des goût clients qui varient selon les continents. En Chine, où les DS sont signe d’exotisme et de différence statutaire assumée, il faut offrir une voiture dont les matières sont le reflet de ses prétentions. La fameuse trame DS est là pour être identifiable au même titre que le sont les trames Dior ou Louis Vuitton. La conception de produits dérivés relève de la logique de créer une “culture DS”, un “style de vie”. Avec ses ambitions dans l’Empire du Milieu, PSA doit être en mesure de suivre les tendances et c’est le sens de la présence d’un bureau de design PSA à Shanghai, composé en très grande majorité de designers locaux, pour mieux capter les tendances locales. D’où des différences d’aménagement décoratif : il fut un temps où les intérieurs beiges étaient préférés aux intérieurs noirs, de même que les inserts de ronce de plastique avaient meilleure presse que l’aluminium. Pour autant, les tendances culturelles occidentales tendent à s’installer dans les mœurs automobiles chinoises, réduisant au minimum ces modifications.

Des tests et des espions

Restent qu’une grande partie des validations de projets se fait à l’aune des tests cliniques menés sur des clients-échantillons. Ainsi, la DS3 ne devait pas avoir la calandre qu’elle a aujourd’hui avec les chevrons prolongés telles des ailes. Le test client avait d’ailleurs validé un tel dispositif, similaire à la calandre de la C3, mais avait pointé un risque de banalité et de confusion impropre à la distinction du label DS naissant. Résultat, on lui offrit une autre calandre et un lancement différé dans le temps. Pour mieux connaître ses ennemis, PSA disposerait de quelques espions dans la concurrence, pour savoir ce que les autres marques s’apprêtent à lancer… Cela ne les empêche pas de s’informer par les canaux traditionnels que son la presse spécialisée, les blogs dont celui-ci, avec des notes de synthèse des différentes parutions résumant chaque semaine les avis prononcés sur PSA. C’est grâce à un tel travail que lors des présentations de nouveautés de petites modifications peuvent être apportées en urgence, entre la révélation en salon et les premiers essais presse.

Soyons bien conscients que ce qui se fait chez PSA se fait aussi dans la concurrence. Il est néanmoins appréciable de voir qu’un groupe automobile ouvre les portes de quelques uns de ses lieux les plus secrets à la presse pour que celle-ci en fasse profiter les passionnés. De la communication, oui, mais qui permet aux amateurs d’en apprendre un peu sur le développement des produits et le fonctionnement de PSA.

Remerciements à toute les équipes de PSA intervenues lors de ce #meetPSAexperts, au premier rang desquels Caroline Brugier-Corbière et Christophe Poinlane
Crédit photographique : François Mortier pour BlogAutomobile.fr

Bonus : quelques photos de notre visite à l’ADN vous montrant les façades des bâtiments. L’intérieur est bien évidemment confidentiel, fait de couloirs suffisamment larges pour que des voitures y circulent, et seul le studio couleurs-matières pouvait être photographié. En revanche, une DS3 Cabrio Racing qui circulait ce jour-là en extérieur put être découverte, la voie reliant l’ADN au centre technique de Vélizy étant la propriété de PSA. Et, symbole de l’unité avec le passé, nous retrouvons dans le parking des designers/ingénieurs une 2cv de 1948 : le propriétaire doit en être heureux !

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